Entretien avec Erik Orsenna « Il faut une cité verte… »

Snezana Gerbault

Erik OrsennaJardins de France > Les tissus urbains, plus ou moins denses, évoluent sans cesse : ils sont modifiés, remaniés, restructurés afin de préserver, autant que possible, le moindre espace naturel ou qui reste à végétaliser. Les cités d’aujourd’hui tendent vers un indispensable équilibre avec leur milieu environnant. Et les citadins français rêvent de plus en plus d’habiter des pavillons avec jardins ! Alors, peut-on concilier la ville et la nature, s’agit-il encore de deux tendances opposées ?

Erik Orsenna > Un homme sur deux vit aujourd’hui en ville, deux sur trois dans les prochaines décennies. Le choix de construire des villes plus humaines s’impose. Dans le cas contraire, nos univers urbains risquent de devenir, plus tôt qu’on ne le pense, des « jungles » insupportables. Pour une ville plus humaine, il faut du végétal au sein de nos cités. Il faut une cité verte. Depuis ses origines, l’homme est lié à la biodiversité végétale : les plantes l’ont nourri, soigné, habillé et chauffé, depuis des millénaires. Aujourd’hui, 90 % des citadins saluent la présence du végétal dans la ville. Il ne s’agit aucunement d’une mode, c’est une nécessité que les citoyens appellent de leurs voeux.

Jardins de France > Le végétal répond donc non seulement aux exigences du développement durable, mais aussi et surtout à une demande sociale. Il est de mieux en mieux intégré dans les projets d’aménagement et d’architecture. Que recherchons-nous avec le développement de « réseaux » verts de nos cités ?


Erik Orsenna > Les scientifiques se sont penchés sur cette problématique. De nombreuses études anglo-saxonnes et françaises, menées auprès des populations citadines, ont démontré que la présence des espaces verts, des parcs et des jardins publics, apporte réellement un bien-être. Pénétrer dans un écrin de verdure et rester en compagnie de plantes procure un effet apaisant, ralentit les battements cardiaques, apporte la fraîcheur… Le végétal a un impact psychologique et sanitaire. Il fixe par exemple les polluants et peut servir de « puits de gaz carbonique », jardiner est véritablement bon pour la santé. Un balcon fleuri ou une parcelle de jardin partagé, les deux  sont nos alliés pour retrouver un certain équilibre. Voici une image assez simple : dans la rue on se parle avec véhémence ; dans le square on s’ignore ; dans le parc on est plus serein ; et dans le jardin on va mieux.

Jardins de France > À la demande de l’interprofession Val’Hor, vous avez accepté de présider le groupe de réflexion « Cercle Cité Verte » qui réunit des professionnels du paysage et du végétal, mais aussi un économiste, une architecte ou encore un philosophe. Quelles sont les ambitions du Cercle ?

© MAP / Yann MonelErik Orsenna > Le défi de ce cercle est d’imaginer et de construire une ville durable, dans laquelle le végétal et le paysage, les jardins et la biodiversité végétale, assureront aux citoyens une meilleure qualité de vie. Car la ville n’est pas uniquement une agglomération urbaine. Les espaces urbains sont aussi des lieux où les liens sociaux se développent et où les interactions du vivant foisonnent grâce à la biodiversité. Lors des aménagements urbains, les producteurs, les entrepreneurs et les concepteurs du paysage et du végétal varient les compositions végétales, diversifient leurs plantations afin de favoriser le développement de cette biodiversité végétale… Cent cinquante mille personnes sont aujourd’hui directement attachées aux métiers liés à la végétalisation de nos cités. Ces activités sont gages d’une croissance verte à venir, une croissance équilibrée du point de vue économique, social et environnemental. C’est le message que porte notamment le cercle que je préside.

Jardins de France > Nous pouvons constater une mobilisation croissante et souvent très originale des citoyens et des associations. Sous quelle forme sont-ils impliqués dans votre réflexion ? Les citadins ne se contentent plus de regarder, mais agissent. À titre individuel ou au travers des associations, ils s’approprient la ville, « plantent » les trottoirs, partagent les jardins publics et souhaitent jardiner tout coin de terre laissé libre par le béton et l’asphalte… Que pensez-vous de cette nouvelle « guérilla verte » qui s’empare aujourd’hui des espaces urbains ?

Erik Orsenna > Notre défi est de rendre la ville plus fertile et donc plus agréable à vivre. Les citoyens, les jardiniers amateurs passionnés et amoureux de la nature, sont demandeurs de plus de nature en ville. Ce que l’on nomme les « espaces verts », et nous sommes nombreux à penser que ce terme est trop réducteur, eh bien… ces espaces de vie sont aussi des lieux pédagogiques riches pour l’observation. Pas besoin d’être jardinier pour apprécier les vertus d’un jardin. Les jardins, qu’ils soient collectifs ou non, privés ou publics, nous réconcilient avec nos villes.