Entre poésie et savoir-faire : la taille de l’olivier

Jacques Mouchotte

L’olivier, un des emblèmes de la Provence et de la culture du Sud-Est, peut vivre plurimillénaire. Pour obtenir de beaux sujets et une production qualitative, la taille s’avère indispensable. Suivez les conseils d’un poète varois.

La maturation des olives en automne nécessite une bonne surface foliaire - © N. Dorion
La maturation des olives en automne nécessite une bonne surface foliaire – © N. Dorion
Alain Monnani, le poète des oliviers, et Jacques Mouchotte, sous le soleil varois - © J. Mouchotte
Alain Monnani, le poète des oliviers, et Jacques Mouchotte, sous le soleil varois – © J. Mouchotte

La poésie ne connaît pas de frontière. Un poète de l’olivier à la tête chenue, à l’accent du Sud prononcé et à la chaleureuse hospitalité, m’a demandé, alors que je pénétrais, à Puget-Ville (Var), sur sa parcelle en restanques exposées au sud des premières pentes de la Provence calcaire, juste en face des derniers contreforts des Maures : «  Quelle est la différence entre un olivier et une voiture de course ?  » J’étais là pour rencontrer un tailleur d’oliviers, mais il était aussi amateur de course automobile.

Bien sûr, je n’avais pas la réponse à cette question iconoclaste, mais cela a permis au contact de s’établir. Ce tailleur d’arbres au verbe haut eut une réponse sibylline : «  Il vaut mieux savoir comment le moteur fonctionne pour être un bon pilote.  »

Il s’est ensuivi un cours de niveau universitaire : cycle végé­tatif, induction florale, pénétration de la lumière, croissance en arceau de futures branches productives, gourmand à potentiel productif, «  cague en route  » autres gourmands sans avenir, dormance estivale induite par la sécheresse, date de taille, fertilisation, arrosage raisonné en fonction des dormances estivales, du développement de la pulpe et tout le reste, que j’ai omis de noter pendant ces deux heures d’échanges.

La taille de fructification

Il ne faut jamais faire une taille sévère, et jamais plus d’un tiers de la surface foliaire présente - © delkoo Adobe stock
Il ne faut jamais faire une taille sévère, et jamais plus d’un tiers de la surface foliaire présente – © delkoo Adobe stock

Concernant la taille de fructification, il y a plusieurs choses à ne jamais faire.

Tout d’abord, il ne faut jamais écouter son paysagiste ! Si l’on vous propose une taille dite «  en nuage  », il convient de refuser. Cette façon de faire est d’inspiration japonaise et consiste à transformer un arbre majestueux en bonsaï de pleine terre. C’est un crime contre la nature et la culture méditerranéenne, une «  japo­niaiserie  » à proscrire.

Ensuite, il ne faut jamais tailler au moment de la récolte (novembre-décembre). L’induction florale est en cours. Il convient donc de la laisser s’accomplir.

Enfin, il ne faut jamais faire une taille sévère (sauf pour les tailles de formation dont on ne parlera pas ici), et jamais plus d’un tiers de la surface foliaire présente. L’olivier est un arbre à feuilles persistantes. C’est-à-dire qu’il profite des rayons du soleil douze mois sur douze : en hiver pour faire une bonne induction florale, au printemps pour faire pousser les fleurs, en été pour faire croître et produire des fruits. La maturation des fruits en automne nécessite également une bonne surface foliaire.

La date de la taille varie légèrement en fonction de la situation de l’oliveraie. Pour être pleinement efficace, il faut attendre le redémarrage de la végétation (fin d’hiver/début du printemps) afin de pouvoir bien identifier les bourgeons à fleurs, les bourgeons à bois et les cicatrices de la récolte précédente.

Première action

Pénétrez au cœur de l’arbre, quitte à vous frayer un passage à la scie à  émonder. Coupez toutes les ramifications qui se dirigent vers l’intérieur de la couronne au raz des charpentières (branches principales qui structurent cette forme en coupe). Il faut laisser entrer le soleil, comme dit la chanson.

Deuxième action

Réglez la hauteur en finissant sur une ramification orientée vers l’extérieur de l’arbre (on les appelle les sous-charpentières). Tant que l’on est au cœur de l’arbre, limitez la hauteur, à votre guise, en pensant à la récolte suivante. Si la récolte est manuelle, il sera plus confortable de garder l’arbre bas afin d’éviter d’utiliser une échelle, qui est toujours potentiellement dangereuse. Si la récolte s’effectue avec un filet au sol et un outil vibreur mécanique, une plus grande hauteur donnera une récolte plus abondante.

Troisième action

Elle n’est pas indispensable tous les ans, mais c’est la plus longue et celle qui demande le plus de savoir-faire et d’observations. Elle consiste à faire le tour de la couronne en identifiant les différentes ramifications.

Schéma d’une ramification typique d’une sous-charpentière productive. La forme en arcs successifs est caractéristique avant la taille.

Schéma d’une ramification typique d’une sous-charpentière productive. La forme en arcs successifs est caractéristique avant la taille.

 

> Repérez et éliminez les rameaux secondaires de la sous-charpentière (dite couronne ou gourmand) qui ont porté les fruits de la récolte précédente. On les reconnaît car, à l’aisselle des feuilles, il reste une petite tache noire, c’est la cicatrice des pédoncules des olives récoltées.

> Repérez et éliminez les rameaux secondaires de la sous-charpentière (dite couronne ou gourmand) qui ont porté les fruits de la récolte précédente. On les reconnaît car, à l’aisselle des feuilles, il reste une petite tache noire, c’est la cicatrice des pédoncules des olives récoltées.

Un rameau qui a porté des fruits n’en portera plus jamais il faut donc l’éliminer, au niveau d’une ramification adjacente plus jeune.

Un rameau qui a porté des fruits n’en portera plus jamais il faut donc l’éliminer, au niveau d’une ramification adjacente plus jeune.

 

> Repérez et conservez tous les rameaux secondaires (toutes les couronnes) qui portent des bourgeons à fleur. La forme initiale de ces bourgeons est arrondie et ils ressemblent à de micro-fleurettes de choux-fleurs, puis ils s’allongent. Les fleurs sont toujours formées sur des bois de l’été précédent, où elles ont terminé leur induction florale hivernale.

> Repérez les rameaux secondaires ne portant que des bourgeons à bois dont la forme est aiguë, lancéolée. Ces rameaux sont généralement situés un peu plus à l’intérieur de la frondaison. Il faut en conserver deux ou trois par sous-charpentière. Ce sont les ramifications ultérieures qui s’y développeront au cours de l’été suivant et qui seront susceptibles de porter des fleurs durant l’année + 1.

La suppression des rameaux à bois surnuméraires doit se faire au ras de la sous-charpentière.

La suppression des rameaux à bois surnuméraires doit se faire au ras de la sous-charpentière.

Si ceux sélectionnés pour rester un an de plus portent des ramifications anticipées (qui se sont développées la même année que le rameau porteur), il convient de tailler au-dessus de la ramification la plus basse.

Tout ceci est bien plus facile à écrire qu’à faire un sécateur à la main mais, pas de panique, le poète affirme aussi qu’un olivier se taille lui-même si l’on ne fait rien. La production sera plus alternante d’un an sur l’autre et moins abondante.

Ouf, j’ai réussi ! Voici le schéma de la sous-charpentière taillée, il suffit de passer à la suivante !

En résumé, il s’agit d’avoir en tête ce qui a été fait pendant la taille de l’année passée, d’envisager la récolte de l’automne suivant et de prévoir les récoltes ultérieures. Il n’est pas étonnant qu’il faille plusieurs années de pratique pour intégrer tous ces facteurs et devenir un champion des concours de taille. Un olivier séculaire taillé avec savoir-faire pendant de nombreuses années doit ressembler à une sorte de saule pleureur évidé au centre ou, autre image, à un chien de race Yorkshire préparé pour un concours de beauté. Les branches doivent retomber vers le sol en arcures harmonieuses, dues au mode de ramification courte, qui s’inclinent de plus en plus vers le sol à cause du poids des fruits qu’ils ont portés. Pas de panique toutefois : les deux premières étapes sont les plus importantes, la troisième restera l’apanage des amoureux du  beau travail.

La taille de l’olivier s’avère une science complexe, et il faut plusieurs années pour en intégrer tous les éléments. Un olivier au Jardin botanique de Tours - © N. Dorion
La taille de l’olivier s’avère une science complexe, et il faut plusieurs années pour en intégrer tous les éléments. Un olivier au Jardin botanique de Tours – © N. Dorion

Remerciements à Alain Monanni, le poète de l’olivier, et à Didier Magneto, le forestier à l’origine du contact.

Les schémas sont d’après René Giaconne, L’Olivier : un patrimoine à entretenir, Société des éditeurs agricoles du Var, 1987