Entre bois et musique : le luthier

Le luthier(1*) est un artisan qui fabrique, restaure ou entretient tous les instruments de musique à corde pincées ou frottées. La pratique de ce métier, un véritable art, commence par un apprentissage assez long pour en assimiler toutes les subtilités et implique, en premier lieu, la connaissance et le travail des bois d’œuvre : essence, provenance, débit, conservation, façonnage. Immersion dans l’atelier.

Les Perrin, du bois dont on fait des luthiers

La famille Perrin pratique son art de père en fils, d’abord à Paris (rue de la Voûte) et dans le Loiret pour François le père, à Sens pour son fils Florentin, la fille de la maison, Isabelle, ayant quant à elle choisi Biarritz pour exercer sa spécialité d’archetière. Pour leur formation, ils ont en commun d’avoir fréquenté de prestigieuses écoles : Mirecourt pour le père, à l’École nationale de lutherie, et Crémone (patrie de Stradivarius), où le fils a passé une année de formation dans ce laboratoire mondial des luthiers, lieu d’un savoir-faire traditionnel du violon déclaré patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco.

Ces fréquentations d’écoles ne doivent pas dissimuler les nombreuses années de pratique chez des maîtres. Florentin a ainsi fait deux années d’apprentissage chez un luthier, Michel Gonzalez, où il a fabriqué son premier violon. Après une année à Crémone, il travaille six années avec son père, période qu’il qualifie lui-même de « transmission du savoir », puis s’installe à Sens en 2006 comme luthier. Depuis, il fabrique sur commande ou répare des instruments anciens, se spécialisant dans les instruments à cordes frottées, ceux du quatuor: violon, violoncelle, alto et contrebasse, et développe également une activité d’archetier(2*).

 

Les luthiers ont une perception très fine des propriétés vibratoires du bois, mais ils basent plutôt leur choix sur des critères tactiles et visuels, qui en retour leur fournissent une bonne estimation des propriétés « acoustiques ». En bref, un vrai talent d’artisan, voire d’artiste! © J.-L. Boulard

 

Les bois de lutherie, une symphonie d’essences et de techniques

Sans entrer dans le détail de la conception d’un instrument qui peut rassembler, pour un violon, de soixante-dix à quatre-vingts pièces, deux essences d’arbre constituent invariablement l’essentiel de la fourniture en bois entrant dans sa fabrication: l’érable (Acer pseudoplatanus) et l’épicéa (Picea abies ou P. exelsa) dit « bois de résonance ».

L’érable s’utilise pour le fond(3*), les éclisses(4*), le manche et la volute alors que l’épicéa est employé pour la table(5*) et la barre(6*) d’harmonie, l’âme(7*), les blocs et contre-éclisses. Les bois recherchés doivent répondre à un cahier des charges bien spécifique à la lutherie. Florentin Perrin s’approvisionne chez un fournisseur spécialisé en bois provenant de Roumanie ou d’Allemagne. Ces bois de lutherie récoltés à maturité et durant l’hiver devront être sciés ou fendus dans le fil pour une résistance structurelle optimale, séchés naturellement durant plusieurs années avec une densité calculée du bois, qui écarte les pièces trop lourdes ou trop légères, tout en gardant à l’esprit que ce sont les bois de faible densité qui induisent les meilleures caractéristiques de résonance(8*). Le plan de coupe de débit du bois sera tangentiel pour l’érable (sur dosse) et radial pour l’épicéa (sur quartier).

L’érable doit être ondé(9*) (ou flammé), ce qui confère au dos de l’instrument des qualités esthétiques recherchées. Il procure un bois homogène, mi-lourd, de faible retrait, de couleur blanc nacré ou rosé, le luthier préférant « les bois dits de roche » ayant poussé sur des stations globalement difficiles (sol, altitude, climat) avec une croissance lente et régulière.

L’épicéa choisi pour la lutherie doit avoir grandi, comme l’érable, soumis à des caractéristiques géoclimatiques similaires. L’arbre aura ainsi un bois aux cernes équilibrés. Il sera travaillé dans le sens des fibres après avoir été fendu(10*) afin d’obtenir tout le potentiel acoustique et structurel nécessaire pour la table d’harmonie. Les débits de bois peuvent être éventuellement identifiés, ce qui permet d’en connaître la provenance et l’âge, voire de proposer des bois tous issus du même arbre.

Autre composante végétale indispensable en lutherie, l’ébène, nom générique d’un bois foncé à noir, au grain uni, très dur, extrêmement dense, issu du duramen produit par plusieurs espèces d’arbres de la famille des Ebenaceae appartenant au genre Diospyros (dont D. ebenum), ainsi que certaines espèces du genre Dalbergia, de la famille des Fabaceae. Ce bois a succédé à l’érable ou à l’os sur les touches(11*) et sillets(12*) du violon pour sa meilleure résistance à l’usure des cordes, désormais métalliques.

Florentin Perrin, luthier mais aussi archetier

L’archet, indissociable des instruments du quatuor à cordes frottées, outre divers matériaux précieux, utilise également des bois spécifiques pour mettre en vibration l’instrument. C’est le cas du bois de Pernambouc, arbre de la famille des Fabaceae, originaire du Brésil (Caesalpinia echinata) qui vient d’être classé dans l’annexe II Cites, au grand dam des archetiers et des musiciens. Des substituts existent, en particulier l’amourette ou lettre mouchetée (Brosimum guianense), appartenant à la famille des Moraceae originaire de Guyane ou le bois d’amourette (Senegalia tenuifolia), arbre de la famille des Fabaceae, également originaire de Guyane mais de moindre qualité. Quelques autres essences sont employées et regroupées sous le vocable générique « bois-de-fer ». L’ébène est également utilisée pour la hausse(13*) et le bouton, éléments liés à la tension des crins.

Toujours dans la contribution végétale à la musique, sans la colophane issue de la distillation de la gemme récoltée sur les pins (Pinus sp.), les crins de l’archet glisseraient sans accrocher ni mettre en vibration les cordes frottées. En lutherie, il convient de savoir faire feu de tout bois !

 

Deux essences constituent invariablement l’essentiel de la fourniture en bois entrant dans la fabrication d’un instrument de musique: l’érable (Acer pseudoplatanus) et l’épicéa (Picea abies ou P. exelsa) dit « bois de résonance » © J.-L. Boulard

 

Jean-Luc Boulard
Membre du Comité de rédaction de Jardins de France

 

 

(1*) Terme dérivé de luth, l’instrument de musique.

(2*) Facteur d’archer.

(3*) Le dos ou fond du violon est la partie inférieure de la caisse de résonance du violon. Cette partie du violon est sculptée dans une pièce de bois massive (définition: https://palomavaleva.com).

(4*) Les éclisses sont les parties latérales d’un instrument à cordes, cintrées et mise en forme sur un moule (www.guillaume-kessler.fr/ lexique-de-lutherie-en-francais).

(5*) La table d’harmonie est la partie supérieure visible du violon. Elle est constituée de deux pièces d’épicéa, assemblées puis sculptées par le luthier dans une pièce de bois massive (définition: https://palomavaleva.com).

(6*) La barre d’harmonie est une pièce en épicéa qui se place sous le pied du chevalet du côté des basses, symétriquement à l’âme (www.luthierduquatuor.fr/barre-harmonie-violoncelle).

(7*) L’âme du violon est un bâtonnet en bois installé dans la caisse de résonance du violon, sous le pied du chevalet. Faisant le lien entre le fond et la table d’harmonie, il a pour fonction de transmettre les vibrations dans tout le corps (www.guillaume-kessler.fr/ame-du-violon).

(8*) Anecdote, notre luthier Perrin père a utilisé jusqu’à épuisement un lot de bois de charpente pluricentenaire présentant des qualités de résonance exceptionnelles.

(9*) On s’interroge sur cette caractéristique qui touche 2 à 3 % des volumes de bois produits, probablement pour le moins une prédisposition héréditaire (M. Arbogast – ONF – Rev . For. Fr. XLIV – n° sp. 1992).

(10*) Et, idéalement, non scié.

(11*) La touche d’un violon est la pièce, collée sur le manche sur laquelle les notes sont jouées sous la pression des doigts (définition: https://palomavaleva.com).

(12*) Il y a deux sillets sur un violon, tous deux en ébène: le sillet du haut qui reçoit les cordes en bout de touche, le sillet du bas qui empêche le cordier d’endommager la table (www.guillaume-kessler.fr/lexique-de-lutherie-en-francais).

(13*) Partie coulissante en ébène (ou autre) que l’on trouve sur l’archet pour tendre la mèche (www.guillaume-kessler.fr/lexique-de-lutherie-en-francais).

 

À DÉCOUVRIR

Les films (Youtube) :
• « De l’arbre au violon – ou comment rester soi-même quand on fréquente Stradivarius » avec François Perrin (www.youtube.com/watch?v=ZsqzOy2u2ik),

• « Ivry Gitlis dans l’atelier de François Perrin » (www.youtube.com/watch?v=CkFCt-qddds).

Le site Internet de Guillaume Kessler, luthier à Strasbourg: www.guillaume-kessler.fr