Elles sont stériles, et alors ?

Alain Cadic

œillet rose
Le caractère double des fleurs, comme l’œillet, peut affecter leur fertilité © J.F. Coffin

Il existe des situations où la stérilité a été sélectionnée, recherchée, voire même provoquée. Le but : bénéficier d’un intérêt ornemental supérieur, limiter le caractère invasif de certaines plantes ornementales introduites ou pour produire à grande échelle des variétés hybrides. [1]

Fleurs doubles

Le caractère ‘fleur double’ recouvre un ensemble assez large de morphologies florales toutes caractérisées par une augmentation du nombre des pièces constitutives de la fleur, un remplacement par substitution de certaines d’entre elles ou une réorganisation complète des inflorescences composées. Toutes ne conduisent pas à la stérilité.

Chez les renoncules la duplicature est due à une augmentation du nombre de pétales ; chez la bougainvillée, c’est l’accroissement du nombre de sépales qui en est la cause alors que chez le poinsettia, c’est celui du nombre de bractées. Chez les Asteraceae (anciennement : composées), la transformation de fleurs tubulées centrales en fleurs ligulées peut également être considérée comme une forme de duplicature.

Cependant, le plus souvent, on associe la duplicature à une transformation des étamines en pétales. La fertilité des fleurs concernées peut alors être plus ou moins affectée selon le degré de duplicature.

Les rosiers, camélias et autres œillets ne sont que quelques exemples très connus d’un phénomène qui se manifeste chez de très nombreux végétaux et qui ne constitue pas un handicap pour les espèces à multiplication végétative.

Au-delà de la barrière des espèces

Chez les ornementales, la nouveauté est, en soi, un caractère à sélectionner. La réalisation de croisements entre espèces ou entre genres ne donne le plus souvent aucun descendant[2] ou, lorsqu’ils sont produits, des descendants complètement stériles ou très partiellement fertiles. La stérilité observée est une conséquence de l’éloignement génétique et n’est pas un objectif recherché dans la mesure où elle gène considérablement la poursuite éventuelle d’un programme de sélection.

Certains hybrides inter-génériques, très peu fréquents, ont connu un développement certain comme les X Cupressocyparis (Cupressus macrocarpa X Xanthocyparis nootkatensis) ou le X Fatshedera lizei (Fatsia japonica X hedera helix). Les hybrides interspécifiques sont plus nombreux même s’ils restent parfois assez difficiles à produire et nécessitent des développements techniques importants.

Maintenir l’intérêt horticole de plantes invasives

Un certain nombre d’espèces végétales d’ornement peuvent se comporter comme des invasives si elles sont cultivées dans des régions du monde propices à l’expression de leur fécondité et au développement des semis spontanés qui en résultent. Les sélectionneurs ont tenté de créer des variétés stériles pour contourner cette difficulté. L’un des premiers succès est la création de la variété d’Hibiscus syriacus ‘Diana’ réussie à Boston (Mass., USA) par D.Egolf en 1970. La démarche a consisté à produire des individus triploïdes[3] parmi lesquels il convient de sélectionnes les plus stériles. La triploïdie conduit le plus souvent à une méiose anormale responsable de la stérilité[4]. Depuis, d’autres essais ont été entrepris sur Buddleja[5] par exemple mais aussi, aux États-Unis, sur Prunus laurocerasus, Euonymus alatus, Hypericum androsaenum et divers érables.

Une alternative pour les pays dont la flore est naturellement riche consiste à ne pas utiliser de variétés exotiques potentiellement invasives.

Ces quelques exemples montrent que l’absence d’anthère ou de production d’un pollen fertile présente un intérêt dans des situations précises de la production agricole et horticole. Les aspects négatifs de la stérilité concernant l’évolution des espèces dans leur biotope et le rôle des pollens comme allergènes ont été volontairement écartés de cet article.

épis de maïs
Des solutions ont été trouvées pour la production à grande échelle des variétés hybrides de maïs – © J. Weber – INRA

Faciliter la production de semences

L’exemple du maïs

Depuis la découverte, entre les deux guerres, de l’intérêt des variétés hybrides de maïs, la question de leur production à grande échelle a été soulevée. Une première solution, celle de la castration manuelle, a été rapidement et facilement mise en œuvre pour cette espèce monoïque[6]. Mais les semenciers ont voulu s’affranchir de ce surcoût en main d’œuvre et voulu trouver des solutions pour les espèces à fleurs hermaphrodites en cherchant à introduire des lignées mâles-stériles, utilisées comme femelles. La stérilité est due à la présence de gènes qui, le plus souvent, s’expriment dans un contexte cytoplasmique particulier. Le dispositif technique est assez complexe puisqu’il nécessite des lignées qui maintiennent la stérilité et d’autres qui restaurent la fertilité, ce qui est nécessaire pour des hybrides qui doivent produire eux-mêmes des graines. Des sources de stérilité mâle naturelles ont été découvertes chez le maïs et d’autres espèces comme le tournesol, le pétunia, la carotte et le radis ou introduites comme chez le colza[7].

[1]Pour des raisons éditoriales, cet article ne pouvait dépasser 2 pages. L’auteur n’a donc pu qu’effectuer un survol du sujet.

[2]Le cas des orchidées est tout à fait particulier à cet égard tant les hybridations semblent faciles à réaliser

[3]Une variété diploïde d’Hibiscus syriacus a 56 chromosomes dans ses cellules somatiques, un tétraploïde en a 112 et un triploïde 84

[4]La triploïdie existe naturellement chez plusieurs variétés de pommiers qui, pollinisés par des variétés compatibles, développent des fruits parthénocarpiques dépourvus de pépins viables par avortement rapide au cours de leurs développement. Il en va de même pour la banane et certaine variétés de figues ou de pastèques sans pépin.

[5]Voir, à ce sujet, l’article de A. Cadic : https://www.jardinsdefrance.org/invasif-larbre-aux-papillons/

[6]Dont les fleurs mâles et femelles sont séparées sur un même individu

[7]La stérilité mâle du colza provient du radis et a été introduite par fusion de protoplastes

 

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