Edito : Parfums de plante, plantes à parfum

Daniel Lejeune

« Cet objet de luxe est de tous le plus superflu. Les pierres et pierreries passent aux héritiers, les étoffes durent un certain temps ; les parfums s’évaporent instantanément et pour ainsi dire, meurent en naissant. Les parfums se vendent plus de quarante deniers la livre. Voilà ce que coûte le plaisir des autres, puisque celui qui le porte ne le sent pas ! » [1]

La sauge sclarée, une plante cultivée depuis des siècles - © Bontoux SAS
La sauge sclarée, une plante cultivée depuis des siècles – © Bontoux SAS

Les Rois mages, suivant la comète, apportèrent l’or, la myrhe et l’encens. Deux des cadeaux suprêmes au nouveau-né, deux étaient des parfums, à parité de valeur avec le troisième, l’or.

Les encens méritent d’emblée une considération particulière. Ils désignent globalement un ensemble de végétaux plus ou moins résineux dégageant à l’incinération des odeurs voluptueuses. Aussi vieux que le feu, les encens ont été adoptés comme médiateurs avec l’au-delà au cours de cérémonies propitiatoires.

Être « en odeur de sainteté » est une situation vraiment confortable, être « encensé », une caution suprême.

Mais quelle est la différence entre un parfum et une odeur ? Sans doute à peu près la même qu’entre un son et un bruit. Les premiers sont agréables, les seconds sont au mieux quelconques, au pire, répulsifs. Mais pour vraiment se comprendre, encore faudrait-il avoir une perception commune qu’interdit partiellement notre diversité individuelle.

Les parfums sont par ailleurs souvent indissociables des arômes gustatifs. Ne parle-ton pas de fumet d’un vin (1558) ou d’une préparation culinaire (1670), mot qui partage son étymologie avec le mot parfum ?

Tout comme les épices, avec lesquels ils peuvent aussi coïncider, ils sont également porteur de principes thérapeutiques fort en usage depuis la Renaissance : le Pomandre, ou Pomme de senteur était un bijou ciselé, suspendu au cou, à compartiments dotés de coulisseaux permettant d’accéder à chaque instant au principe aromatique et thérapeutique de son choix.

Les végétaux sont d’extraordinaires usines à chimie organique, capables d’élaborer, à partir des sucres issus de la photosynthèse, d’innombrables variations moléculaires par greffage de radicaux, génération d’isomères et autres.

Plusieurs familles sont championnes dans cette catégorie : Lamiacées, Apiacées, Lauracées, Myrtacées, Astéracées…

Et pourtant, avec des dosages et des combinaisons variées, les mêmes molécules aromatiques, leurs sœurs ou leurs cousines se retrouvent dans des plantes sans relation phylogénétique immédiate. Le célèbre parfum de Rose est complexe. Une analyse déjà ancienne montre que l’essence distillée en Bulgarie renferme quelque 275 espèces chimiques. Son arôme principal, un alcool terpénique insaturé, est le Géraniol que l’on retrouve dans plusieurs espèces de Pelargoniums sud-africains, dans un bois tropical guyanais, dans diverses espèces de graminées des Indes du genre Cymbopogon, dans la Lavande…

Mais autour de la molécule de Geraniol, combien de parfums de Rose possibles à travers d’innombrables cocktails chimiques subtilement dosés, selon les espèces et les cultivars ?

Selon les cas, les principes parfumés se localisent dans divers cellules et organes végétaux: fleurs et feuilles chez le Bigaradier, feuilles chez les Pelargoniums ou les Lavandes, pétales dans les Roses, écorce dans la Cannelle, gousses dans la Vanille, racines dans le Vétiver.

Stockés dans les couches superficielles épidermiques (glandes, poils) ou profondes (poches et canaux à résines..), l’art des artisans et industriels du parfum consiste à les extraire sélectivement.

Les exigences de l’économie et les phénomènes de la concurrence, après avoir suscité la délocalisation des productions et l’emploi de plantes de remplacement, ont également favorisé l’élaboration de produits de synthèse très utiles pour certains usages, mais qui n’ont pas grand-chose à voir avec les extraits naturels qui font l’objet de ce dossier

 Découvrons ensemble ce que nous proposent les experts de cette 636e édition de Jardins de France et remercions chaleureusement Jean-Pierre Bouverat-Bernier de l’ITEPMAI qui a pris la direction de ce dossier pour nous faire partager les multiples facettes d’un secteur où la France se tient en bonne place.

[1] Pline, Histoire naturelle, livre XIII. Citation reprise librement du catalogue de l’exposition Parfums de plantes, muséum MNHN 1987-1988

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