Économie circulaire : recyclons notre urine au jardin!

@Anrita1705-Pixabay

 

 

C’est un engrais naturel, facile à collecter et non polluant, qui s’est vu abandonné avec l’avènement des engrais azotés industriels. Il présente pourtant un intérêt agronomique certain, notamment dans le cadre de l’économie circulaire.


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ous vous emmenons découvrir les secrets de l’utilisation du pipi au jardin!

À travers les différentes époques et continents, l’urine humaine a été largement utilisée pour divers usages et surtout comme fertilisant: au XIXe siècle la majorité des grandes villes françaises comme Paris ont disposé d’un système de collecte de l’urine en vue de l’acheminer et de l’employer comme engrais, notamment dans les zones maraîchères proches. La fabrication industrielle des engrais azotés a participé à abandonner cet usage. La mise en pratique d’une économie circulaire conduit à redécouvrir l’intérêt agronomique de l’urine pour nos jardins, afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre, de se passer totalement de l’utilisation de phosphate minier et de limiter la pollution des milieux aquatiques.

 

Que contient l’urine ?

L’urine, sécrétée par les reins, contient de très nombreux composés chimiques organiques et inorganiques, qui sont autant de déchets issus du métabolisme du corps. Le principal est l’urée, produite par le foie. On trouve également, en bien moindres quantités dans l’urine, du phosphore (sous forme de phosphates), du potassium, des sulfates, des chlorures, du sodium, etc. L’urine, lors de la sécrétion, a un pH très légèrement acide (6,5 à 6,9) et est peu odorante. Elle contient des microorganismes non pathogènes. En cas de maladie ou de contamination croisée avec des matières fécales, l’urine excrétée peut contenir des agents pathogènes (Escherichia coli Enterovirus, Salmonella…). En outre, on peut retrouver dans l’urine certains résidus de médicaments, éventuellement métabolisés.

Guldkannan Towa propose un modèle des plus adaptés pour le jardin © Guldkannan

Évolution de l’urine

À l’air libre et sous l’action d’une enzyme, l’uréase, produite par un très grand nombre de microorganismes ubiquistes, l’urine évolue rapidement pour donner du gaz carbonique et de l’ammoniac, source des mauvaises odeurs caractéristiques. Dans le même temps, le pH augmente pour devenir nettement basique, de l’ordre de 9.

Après quelques jours, 95 % de l’azote restant dans l’urine se trouvent sous forme ammoniaque. Si l’urine est stockée dans un récipient ouvert, l’ammoniaque se volatilise rapidement en ammoniac gazeux. Ceci conduit à recommander de stocker l’urine dans un récipient fermé pour éviter cela. Quand l’urine est utilisée en dehors du cadre familial, l’OMS recommande de stocker l’urine avant usage, dans un récipient fermé, pour une durée d’un à six mois selon les cas. Ce stockage, qui se fait naturellement en conditions basiques et en présence d’ammoniac, permet d’éviter la présence d’éventuels pathogènes.

 

L’urine pour le jardin individuel : un intérêt fertilisant certain mais à nuancer

La composition chimique de l’urine d’un point de vue agronomique est 0,87 N/0,17 P2 O5 /0,25 K2 O. La part de la potasse devrait être plus élevée, proche de celle de l’azote, pour satisfaire les besoins de nombreuses espèces cultivées pour leurs fleurs, leurs fruits ou leurs tubercules. Un régime alimentaire moins riche en protéines et plus riche légumes et fruits corrigerait ce déséquilibre.

Cette insuffisance sera compensée par des apports complémentaires en potasse, soit grâce à des engrais minéraux (sulfate de potasse et de magnésie, nitrate de potasse) soit grâce à des amendements contenant de la potasse (compost enrichi en cendre de bois par exemple).

Dans la forme de l’azote apportée par l’urine (après délai de stockage pour assurer l’hygiénisation), celle-ci ne contient plus d’urée, mais de l’ammonium, qui n’est pas toujours bien toléré par certaines plantes quand le sol n’est pas assez chaud (moins de 15 °C) : concombre, fraisier, coléus, pensée, sauge, zinnia, chrysanthème… Il convient de limiter les apports d’urine humaine (sans autre apport d’azote) à 2 litres par m² et par an pour éviter les pertes vers le sous-sol.

Le phosphore de l’urine est sous forme assimilable. Les phosphates dissous dans l’urine vont se retrouver dans la solution du sol et sont donc facilement absorbés par les racines, surtout en sol acide. Le chlorure de sodium est à un niveau inoffensif de 4 g/l. En revanche, apporter régulièrement de l’urine pure de façon répétitive en un même emplacement peut générer une accumulation de sel dans le sol et de la toxicité sur les plantes… et aussi un excès d’azote et des mauvaises odeurs.

 

Usage occasionnel ou en appoint

L’urine pure sans stockage peut servir directement à humifier un compost souvent trop sec. L’urine sert aussi d’activateur grâce à l’urée, qui permet de relancer l’activité microbienne et d’hygiéniser l’urine fraîche. Pour éviter les mauvaises odeurs, il convient d’assurer des retournes régulières du compost et de ne pas sur-arroser. L’équipement minimum sera constitué d’un arrosoir adapté pour recueillir l’urine et la porter sur le compost.

 

Usage régulier de l’urine comme fertilisant

Il s’agit d’assurer la fertilisation du jardin par des irrigations à la concentration de 5 à 10 % d’urine au cours de la période de croissance. Ceci conduit à stocker l’urine au moins un mois avant dilution dans l’eau d’arrosage (ceci reste conforme au cahier des charges européen AB). Pour cela il faut un moyen de récupération de l’urine : en fonction de la surface du jardin, les besoins peuvent imposer quelques contraintes. Un simple arrosoir adapté peut s’avérer insuffisant dans un cadre familial et un équipement plus élaboré devient nécessaire, par exemple des toilettes à deux compartiments (dites « suédoises ») permettant de séparer l’urine des matières fécales. La transformation de toilettes classiques en toilettes à séparation d’urine n’est possible qu’avec des toilettes sèches grâce à un kit spécifique. Il existe également des urinoirs secs aussi bien à usage masculin que féminin.

Au Burkina Faso, l’urine est utilisée pour le jardinage ou l’agriculture © Sustainable Sanitation Alliance CC BY 2.0

Il faut un moyen de transport, indispensable dans le cas d’un jardin partagé. Ceci conduit à utiliser des bidons plastiques fermés et maniables (20 à 30 litres). Le bidon de réception de l’urinoir est envisageable. Enfin, il faut un moyen de stockage en deux parties : remplissage et utilisation, 50 litres chaque minimum. L’emplacement est à prévoir dans le jardin, dans le garage, en sous-sol ou en cave (assez pratique si on peut placer les toilettes dédiées juste au-dessus). Pour ceux que la collecte d’urine rebute, il reste la solution commerciale d’utiliser de l’engrais liquide à base d’urine concentrée, stabilisée et sans odeur, d’origine suisse : Aurin. Il est disponible en France dans de nombreux points de vente.

 

Conclusion

L’urine peut suffire à assurer la plus grosse part des besoins nutritifs des plantes, moyennant des compléments potassiques. Ceci peut représenter quelques économies pour la bourse du jardinier. Toutefois, compte tenu des modifications des équipements et des habitudes de vie que nécessitent sa collecte, son transport et son stockage, la motivation du jardinier sera autre que financière : le souci de durabilité des ressources et de protection de l’environnement, qui s’inscrit dans la démarche « Jardiner autrement »

Daniel Veschambre
Membre du Comité de rédaction de Jardins de France

Remerciements à Fabien Esculier pour sa relecture attentive.

À LIRE

Renaud de Looze, L’urine, de l’or liquide au jardin – Guide pratique pour produire ses fruits et légumes en utilisant les urines et composts locaux 2018, Terran.

Fabien Esculier. Le système alimentation/excrétion des territoires urbains : régimes et transitions socioécologiques. Thèse de doctorat en sciences et techniques de l’environnement. Université Paris-Est, 2018. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-01787854/document

Tristan Martin. Valorisation des urines humaines comme source d’azote pour les plantes. Mémoire de stage, UMR ECOSYS, juin 2017.
https://www.leesu.fr/ocapi/wp-content/uploads/2018/06/ Martin_2017_Stage_Urine_Engrais_INRA.pdf https://www.leesu.fr/ocapi/bibliotheque/

LE CAS DES PLANTES FIXATRICES D’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE

Les espèces de la famille des Fabacées (pois alimentaires et d’ornement, haricot, mimosa, albizia…) ont la particularité de fixer l’azote de l’air grâce à l’action de bactéries fixatrices d’azote (Rhizobium et Frankia) le transformant en ammonium dans le sol. Ces espèces n’ont aucun besoin de fertilisation azotée complémentaire, par conséquent l’apport d’urine perd son intérêt.