Des plantes de toutes conditions

Daniel Lejeune

Qui n’a jamais rêvé de faire entrer dans sa maison un témoignage de la nature, un rêve de jardin ? Cela paraît simple, et pourtant, que de contraintes à résoudre, dès lors que l'ambition va au-delà du seul bouquet de fleurs coupées moissonnées au cours d'une promenade ou achetées à une vendeuse d'occasion...

 

Cinq étages du monde parisien - coll. partic. D. LejeuneLa première condition pour conserver des plantes en appartement est évidemment la jouissance d'un espace suffisant. Cette condition fut longtemps réservée à une élite sociale, ainsi que le montre clairement le volume consacré au XIXe siècle, dans l'étude sur la Vie privée, éditée sous la direction de DUBY. L'entassement des familles dans de chiches logements qui pouvaient en outre être aussi l'atelier pour les artisans en chambre, ne pouvait laisser que l'espoir d'un appui de fenêtre exposé à tous les vents et aléas climatiques.

 

Horticulture à la sauvette

Les seules couches sociales aisées avaient alors accès aux salons verdoyants et aux jardins d'hiver pour les plus riches. Zola, dans La curée paru en 1871, s'inspire de la demeure du chocolatier Menier [1], comme il aurait pu s'inspirer, s'il l'avait fréquenté, du célèbre salon de la princesse Mathilde. Ce genre de privilège n'était pas à la portée de tout le monde et les petites gens, tout comme d'ailleurs le Grand Condé, prisonnier à Vincennes, n'avaient guère qu'un bord de fenêtre pour cultiver quelques œillets.[2] Gare au passant si les pots n'étaient pas attachés ! Cette horticulture à la sauvette est plaisamment évoquée dans sa version administrative par Courteline, dont le héros de « Messieurs les ronds-de-cuir » entretient des plantes en caisse sur le bord d'une gouttière au lieu de travailler [3].


La seconde condition à la vie des plantes en intérieur est la lumière. Seules de larges fenêtres éclairant largement les pièces permettent cette ambition. Là encore sont inégalement dotées les différentes classes sociales, dont les logements « maigrissent » avec les étages de l'immeuble pré-haussmannien, ainsi que les caricatures d'époque se plaisent à le montrer.

Démocratisation au XXe siècle

La troisième condition est la température or, le chauffage permanent des logements est un luxe qui mit longtemps à être satisfait. Le coût du chauffage, sa superfluité durant l'absence des occupants, les limites techniques des premiers chauffages centraux [4] sont autant d'obstacle au verdissement des intérieurs.

Il en résulte que la culture des plantes d'appartement sera un phénomène assez tardif et que la majorité sociale dut attendre le XXe siècle pour s'y adonner. Le mobilier s'adapta alors progressivement pour recevoir plantes vertes en pot et en cache-pot, jardinières en bois doublées de zinc...etc, à l'imitation des véritables intérieurs bourgeois.

Terrasse à balcon - Auguste Pynaert, Revue de l'Horticulture Belge et Etrangère, 1875

Toiture jardin - Auguste Pynaert, Revue de l'Horticulture Belge et Etrangère, 1875

 

 

 

 

 

Demeure Menier - Auguste Pynaert, Revue de l'Horticulture Belge et Etrangère, 1875


[1] Menier possédait un hôtel particulier donnant sur le parc Montceau dont la périphérie avait été lotie par les frères Péreire.

[2] « En voyant  ces œillets qu’un illustre guerrier
Arrose d’une main qui gagna des batailles
Souviens-toi qu’Apollon a bâti des murailles
Et ne t’étonnes pas que Mars soit jardinier » (vers de mademoiselle de SCUDERY à l’attention de Condé).

 

[3]« …Son parc, c’était celui de Jenny l’Ouvrière : deux étroites caisses flanquant extérieurement les chambranles de la mansarde qui était son humble bureau, et dans lesquelles, sitôt les primes tiédeurs de mars, il semait le volubilis traditionnel et le classique haricot d’Espagne. Car il avait, ainsi que tout vrai Parisien, la passion ingénue et émue de la verdure… ».

[4] Les premières chaufferies collectives ne parvenaient pas à satisfaire les habitants au-delà du second étage.


Aspidistra punctata. Botanical Registrer 1826Le bonheur des maîtresses de maison

Seules les plantes les moins exigeantes ou les plus tolérantes pouvaient donc réussir, en l'absence d'un jardinier « de maison » pour en gérer la conservation et la survie. Ce ne sont pas les belles tropicales (fougères, palmiers, Orchidées, Broméliacées...), chères aux possesseurs de serres, et d'ailleurs d'un prix exorbitant, qui furent les premières adoptées par tous, encore que TRUFFAUT s'intéressât de bonne heure à la production en masse des « plantes en zinc » que sont les Broméliacées. Des potées saisonnières firent certainement l'essentiel du bonheur de nombreuses maîtresses de maison [5]. Plantes et bulbes fleuris dont la conservation restait aléatoire malgré tous les efforts, furent sans doute les premières à pénétrer dans les logements, aux côtés des moissons florales rapportées des promenades à la campagne, fleurs des champs, mais aussi lilas en la saison.

Arriva la grande époque des Aspidistra, autrement et peu poétiquement appelés plantes des bouchers et des concierges, sans doute une allusion à leur frugalité en matière de lumière et autres Solanum pseudocapsicum, qui est selon les goûts le « pommier d'amour » ou l' « Oranger des savetiers ».

Ce fut aussi le début des échanges entre ménagères, dont la pratique sélectionna les espèces à multiplication végétative facile. Les Cactées offrirent ainsi des « Mères de famille », les Commelinacées, des « Misères » aussi fréquentes que la vraie et dont la variété panachée était réputée « Misère du riche », par comparaison avec le type vert qui resta la « Misère du pauvre ». Le front populaire et l'avènement des « congés payés » apporta une nouvelle complication : que faire des plantes d'appartement lors d’absences prolongées ? Comment gérer leur manque de lumière et leur manque d'arrosage ?

Enfin, l'immeuble de la reconstruction ou de la vague HLM des années 1950 à 1970, avec ses larges baies et son chauffage central, favorisa la diffusion des Philodendrons, Sansevieria, Nephrolepis et autres Kentias, dont la probabilité de survie était acquise. Ce fut aussi l'époque de l'apparition des bacs à réserve d'eau, pas toujours faciles à gérer en vertu du principe « ni trop ni trop peu ». La logique poussée à l'extrême aboutit un temps aux cultures hydroponiques, séduisantes, mais fort délicates à gouverner.

 

Deux anecdotes croustillantes à propos de cultures d'intérieur

BELLAIR rapporte une chronique de Paul Ginisti  (1855-1932), dans laquelle il affirme avoir connu un commis d’ordre au ministère, qui avait semé du gazon dans son pupitre. Il rapporte également que l’abbé Michon, inventeur de la graphologie avait transformé sa chambre en véritable parterre. Chaque jour, il arrosait énergiquement ses plantes en dépit des doléances de ses voisins et de son propriétaire !

 

De 1808 à 1813, la famille royale d'Espagne était hôte forcée de Talleyrand au château de Valençay. Malgré les apparences, les princes s'ennuyaient ferme : «  À Valençay, les princes vécurent dans le calme et l'oisiveté. Il s'y plurent à un tel point qu'ils songèrent un moment à acheter le domaine. Quand ils eurent renoncé à ce projet, ils consacrèrent leur fortune à l'achat d'Œuvres d'art, de tableaux, de statuettes, d'armes, d'argenterie, d'horlogerie, de livres. Leurs journées se passaient en menues occupations: expériences de chimie, reliure, billard, jardinage ; ils eurent même pendant un temps l'idée d'installer des petits jardins jusque dans les appartements, ce qui n'alla pas sans dommages pour les parquets ! »

 


[5] Il est intéressant de noter qu'en 1881, l'inspecteur Richard considère que la plante verte, tout comme la cage d'oiseaux, évocations de la nature, doivent faire partie du logement d'instituteur bien tenu.


Aucune contrainte, aucun tabou

L'adoption des plantes à caudex et plus généralement, des crassulescentes, qui constituent elles-mêmes un stock interne d'eau et autorégulent leur soif contourne le problème des arrosages. Les Nolina (Beaucarnea) en sont une illustration parfaite, tout comme les Crassula. En fait, on a tout essayé, depuis les Bambous, qui sont loin d'apprécier un confinement permanent, loin des rythmes saisonniers, jusqu'aux pieds de Caféier ou d'Avocatier, résultat de semis faciles. Les jardineries proposent aujourd'hui une gamme très large et très belle de plantes de toutes natures et de toutes origines, dont le coût, fort modeste en général, n'incite pas à beaucoup d'efforts de culture. La plante d'intérieur quitte la référence à la nature pour devenir un simple objet de consommation. Il n'y a d'ailleurs plus aucune contrainte technique ni aucun tabou. Vous n'avez aucune lumière à offrir à vos plantes et vous ne voulez pas sacrifier à la mode du phytotron, cher aux cultivateurs en chambre de raretés (fumables ou non) ?

Achetez des plantes artificielles, elles trouvent leur place partout, depuis les jardinières jusqu'aux aquariums. Elles font réellement illusion...mais seulement illusion ! Et si vous voulez explorer les limites de l'horticulture ou de la botanique, alors, pour quelques euros en plus, les mythiques Orchidées ou les orientaux bonzaïs sont immédiatement à vous...le temps que dureront votre persévérance et votre dévouement.

 

Quelques références bibliographiques

Le lecteur voudra bien noter que malgré les efforts des auteurs cités et malgré les titres des ouvrages, les publications antérieures à la guerre de 1914 ne cernent pas vraiment le sujet de notre propos. Ce sont d'abord les fleuristes qui distribuent l'essentiel des plantes d'appartement, comme plantes à offrir, mais le sujet ne s'affirme réellement qu'à l'apparition des jardineries.

ARIES Philippe, DUBY  Georges et al : Histoire de la vie privée, volume 4 De la Révolution à la grande guerre, Le Seuil 1987

BOIS Désiré : Les plantes d’appartement et les plantes de fenêtres, JB Baillère, deuxième édition, 1916.

BELLAIR Georges : Les plantes pour appartements et fenêtres, DOIN 1893.

GIBAULT Georges : La décoration florale des fenêtres dans l’Antiquité, au Moyen Age et à la Renaissance, Revue Horticole 1896 p 191

GONCOURT Edmond et Jules, Journal :

18 octobre 1866 : la princesse Mathilde veut faire un jardin d’hiver. On pose les piquets

24 mai 1867 : rencontre de la Païva dans sa serre.

14 et 16 septembre 1867 : dans le jardin d’hiver de la princesse Mathilde à Saint-Gratien

1er janvier 1869 :   des petites gens portent dans les rues des étrennes de plantes exotiques et des petits palmiers »

7 juillet 1891 : visite à Robert de Montesquiou, dont la serre-bibliothèque, située au fond de son petit jardin en terrasse, abrite une demi-douzaine de bonzaïs achetés à l'exposition universelle de 1889

MARREY Bernard et MONNET Jean-Pierre : La grande histoire des serres et des jardins d'hiver 1780-1900, Graphite, sans date.