Des parades pour braver les frimas…

Christian Chauplannaz

Les hivers rudes et les températures basses ne constituent pas une entrave à l’épanouissement de la végétation d’altitude, mais peuvent parfois abîmer, voire anéantir certaines espèces. Les plantes s’adaptent… et les jardiniers aussi. Observer attentivement la nature appliquer quelques astuces simples et au bon moment… Là réside la clé de la réussite du jardin botanique alpin de La Jaysinia en matière de plantations…

La Jaysinia © DR

Perché entre 700 m et 780 m d’altitude sur le flanc montagneux qui domine le petit village de Samoëns en Haute-Savoie, le jardin botanique alpin La Jaÿsinia s’étend sur 3,7 hectares d’un terrain calcaire en forte pente. Orienté sud, ce haut-lieu de la botanique, unique en son genre dans les Alpes, réunit dans un décor naturel la flore alpine de tous les continents; du monde : pas moins de 5 000 espèces de plantes de montagne et environ 3 000 taxons botaniques. Divisé en secteurs géographiques et écologiques, délimités par les allées et les escaliers, cet écrin de nature est à la fois lieu d'étude et véritable havre de paix où l'on vient se ressourcer. Ponctué de cascades et de ruisseaux, le jardin offre une promenade à la fois savante et esthétique par la très belle vue sur la vallée et les montagnes des alentours. Dans ce jardin de ville, des arbres centenaires y prospèrent depuis 1906, année de la création de cet endroit magique par l’architecte Jules Allemand (architecte du jardin botanique de Genève) au milieu de nombreuses espèces végétales réunies ou non en collections botaniques.
 

Affronter l’hiver

L’hiver est long et rude dans cette région de montagnes : les premières températures négatives sont relevées déjà fin octobre début novembre, et elles se prolongent jusqu’à fin mars ou avril.
Elles peuvent varier de -11C° à -18C° (durant l’hiver 1985 on a relevé -33°C pendant 10 jours !). Une couche de neige, de 20 à 80 cm en moyenne, recouvre le sol de mi-décembre à fin mars. Excellent isolant, elle assure la protection de toutes les plantations contre le gel et le froid, ce que prouvent les mesures réalisées au jardin : à une profondeur de 10 cm, la température du sol ne descend pas en dessous de + 3° C ! La présence de ce couvert neigeux est donc précieuse, d’autant plus qu’aucune plante n’est paillée dans le jardin. Si la neige « manque » sur certains végétaux, le jardinier se presse de les recouvrir de quelques pelletées, y compris pour protéger des sujets peu rustiques.
 


Couvert neigeux, un allié protecteur

Certains hivers sont plus sévères que d’autres, et parfois, les végétaux ne parviennent pas à faire face aux températures négatives, surtout si celles-ci s’installent durablement. Ainsi, l’hiver 2010/11 fut néfaste pour certains arbustes : la collection de Daphne sp. a été décimée, le Vella spinosa a péri (environ -11 °C pendant plusieurs semaines et sans neige !)… tandis que les vivaces comme les saxifrages et les globulaires (Globularia nana), ou encore autres arbustes, comme les véroniques arbustives (Hebe sp.) et divers cotonéasters, étaient partiellement touchés par le froid…
À la mi-janvier 2011, il n’y avait plus de neige dans le jardin et les températures négatives ont perduré. Le gel matinal ne permettant pas d’arroser le jardin, ces conditions climatiques particulières ont entraîné la sécheresse… Plus haut, à partir de 1 600 m, la couche neigeuse s’est maintenue  et a joué son rôle d’isolant, pratiquement jusqu’au mois de mai. La végétation d’altitude n’a pas subi de dégâts. L’hiver, la persistance d’un manteau neigeux assure donc une bonne protection hivernale.
Il sert également d’abri aux campagnols, souris et autres petits animaux qui se réfugient sous la neige, creusant des galeries pour chercher leur nourriture. Les dégâts causés par cette faune sont parfois importants. Les rocailles, où croissent parmi les plantes de collections le Minuartia sp., le Ramonda sp. dont se délectent ces petits animaux, ne sont pas épargnées.
La neige printanière qui tombe tard, en avril par exemple, peut être néfaste au jardin ; une couche de neige d’une dizaine de centimètres d’épaisseur peut, lors d’une journée bien ensoleillée, être traversée par les rayons ultras violets. Ainsi, il arrive que les tapis denses, gris blancs, de Raoulia australis, arrivant au contact de la mince couche de neige, deviennent d’abord roses puis rouges, annonçant la mort certaine de la plante… D’autres végétaux poussant en coussinet partagent alors le même destin…


© L. Bessol

RUSTIQUE… OU PAS ?

Pour parler de la rusticité, il ne faut pas oublier l’importance du couvert neigeux qui peut se maintenir 4 ou 5 mois pendant l’hiver... Une plante peut être rustique à La Jaÿsinia et ne pas l’être en région parisienne : le Saxifraga stolonifera est peu rustique à Paris, mais l’espèce est cultivée et multipliée à Samoëns, sans protection hivernale depuis 1983.

 

 

 

 

 

 


 

 



Plus résistants…

Tous les végétaux cultivés dans le jardin sont produits sur place. Les plantes s’habituent mieux au climat de l’altitude lorsqu’elles se développent à partir des semis. Près de  400 semis (60 % de réussite) sont réalisés au jardin en juin de chaque année, sous châssis, sans vitre ni claie de protection. Début novembre, tous les châssis sont recouverts de feuilles de fougères sèches du jardin, principalement de Dryopteris filix-mas, fougère mâle. Pour protéger les semences contre le froid, lorsque les feuilles de fougères manquent, on utilise également les branches de sapin (Abies alba). Attention cependant : ces protections doivent être enlevées début avril. Dans le cas contraire, les jeunes pousses jaunissent, s’étiolent ou deviennent très fragiles. Avec les premiers matins affichant des températures négatives (-4 à -5° C), le collet des plantules risque d’être « brûlé » par le froid. Les semis sont également réalisés sous les arbres, en plein soleil, dans les rochers, au bord de l’eau… toujours dans les conditions environnementales proches de celles qui règnent dans le milieu naturel de l’espèce cultivée.
Plante vivace  rhizomateuse de la famille des Papaveracées, la sanguinaire du Canada (Sanguinaria canadensis) fleurit dans les sous-bois tôt au printemps. Son nom vient du latin sanguinarius, saignant, en référence au latex rouge contenu dans le rhizome. - © Christian Chauplannaz

© Christian Clauplannaz

La Jaÿsinia, un jardin pas comme les autres !

Créé en 1905 par Marie-Louise Cognacq-Jaÿ (1838-1925), une enfant de Samoëns, fondatrice avec son mari Ernest des magasins parisiens La Samaritaine, le jardin botanique alpin de la Jaÿsinia fut réalisé sur les plans de Jules Allemand architecte paysagiste et spécialiste des jardins alpins ayant été longtemps le collaborateur d’Edouard André. Jules Allemand y planta des baliveaux de 1,50 m à 2 m de haut. Aujourd’hui, ces grands sujets ont plus de 130 ans. Sous la direction scientifique du Muséum National d’Histoire Naturelle depuis 1936, les collections de la Jaÿsinia se sont enrichies au fil des années par un système d’échange international entre instituts, jardins botaniques et universités (Index Seminum). Le jardin est doté d'un laboratoire où s'effectuent des recherches sur la flore alpine. En 2010, il reçoit le label « Jardin remarquable » décerné par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) Rhône-Alpes.

Jardin botanique alpin de la Jaÿsinia

74340 Samoëns Tél. 04 50 34 49 86