Des lasagnes à cultiver

Annick Peltier

Lorsqu’on dispose, pour environnement immédiat, d’une grande place cimentée au-dessus d’un parking, meublée de deux bacs à sable désaffectés et cernée de murs gris, que faire pour donner de la vie à un espace aussi triste où les riverains ne font que passer le plus rapidement possible sans échanger un regard ?

Un bac à sable abandonné reprend vie - © Danielle Gourmain
Un bac à sable abandonné reprend vie – © Danielle Gourmain

Pour rendre possible cette gageure, une idée paraissant un peu folle a germé, issue des conseils d’un passionné de la nature : créer un jardin !

Lorsqu’il m’a suggéré de faire des lasagnes, j’ai cru que mon interlocuteur avait très faim et qu’ignorant mon peu d’appétence pour la cuisine, il suggérait de passer à table, après tout nous approchions de midi ! Et quand il a fait mention de Jean-Paul Collaert, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas de cuisine mais bel et bien de jardinage…

La technique du jardin en lasagnes est très utile pour créer rapidement un sol fertile sur un espace de mauvaise qualité, elle consiste à accumuler des couches successives de matières organiques.

Appel aux voisins

Pour réaliser cette brillante idée, il fallait bien commencer par consolider ces vieux bacs à sable. Pour cela, trouver un financement de départ. Il faut croire que le projet était bien séduisant puisqu’il a reçu une subvention du fond d’innovation local, un dispositif de la Ville de Cergy destiné à faciliter tout projet de création de lien social !

D’accord, nous avions le contenant mais, pour le contenu, comment s’y prendre ?

Je précise que nous sommes situés en étage, au deuxième niveau, et l’espace n’est accessible que par des escaliers et une rampe pour personnes à mobilité réduite.

Ne ménageant pas nos efforts de communication et usant de notre charme, nous avons emprunté des brouettes aux jardiniers des jardins familiaux du quartier, fait appel aux voisins de la place, aux amis, pour le transport des matériaux, obtenu gracieusement de l’entreprise d’entretien des espaces verts intervenant sur la résidence.

Parcours de brouettes

Cartons, broyat de branches et de feuilles mortes : plusieurs couches composent la lasagne - © Danielle Gourmain
Cartons, broyat de branches et de feuilles mortes : plusieurs couches composent la lasagne – © Danielle Gourmain

Le plus simple fut de récupérer de grands cartons propres, parfois encombrants mais légers, et de les débarrasser de leurs agrafes et papiers collants. Les étaler sur toute la surface des bacs sans laisser le moindre espace fut un jeu d’enfants. Un conseil : choisir un jour sans vent, sinon avoir sous la main la seconde couche composée de broyat de branches dont nous ne disposions pas ce jour-là…

Ce broyat nous a été donné par l’entreprise d’espaces verts qui l’a déposé tout en bas de la rampe d’accès, c’est-à-dire à quelques 300 mètres, que l’on a parcourus avec deux brouettes et quatre paires de bras (en relai).

Même punition pour la troisième couche de matériaux verts, c’est-à-dire les tontes de gazon de la résidence et les déchets organiques de nos cuisines…

La quatrième couche nous sera en partie également fournie par le prestataire « espaces verts » (feuilles mortes broyées) et complétée par de la paille achetée chez un cultivateur éleveur du voisinage.

La bonne saison

Au centre de la lasagne, deux tipis pour les pois de senteur - © Danielle Gourmain
Au centre de la lasagne, deux tipis pour les pois de senteur – © Danielle Gourmain

La cinquième, composée d’un peu de terre et de beaucoup de compost mûr, a été récupérée à la journée porte ouverte de l’usine locale de traitement des déchets. Il nous aura fallu trois véhicules chargés de sacs du précieux compost et encore quatre paires de bras costauds pour monter le tout sur la place !

Par hasard plus que par réflexion, nous avons choisi la bonne saison pour réaliser nos lasagnes : la fin de l’hiver, de façon à ce que nos couches aient le temps de fermenter avant les plantations.

Nous étions début mars et nos premières plantations ont débuté mi-mai : vingt pieds de fraisiers rejoints par de la menthe, de la mélisse, de la sauge, obtenue par bouturage. Au centre de la lasagne, deux tipis ont accueilli les pois de senteur. Enfin, les semis de fleurs ont comblé l’espace libre.

Notre premier jardin voyait le jour et nous attendions impatiemment la première récolte de fraises…

La vilaine place devenue conviviale

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Une ex-vilaine place embellie – © C. Badet

Créé sur un espace semi-public, ce jardin est destiné à tous, mais il aura fallu bien des explications pour que les passants se sentent « propriétaires » du jardin. Cela peut paraître surprenant, mais il nous a fallu insister, y compris auprès des enfants, pour qu’ils s’autorisent à ne serait-ce que goûter aux produits du jardin.

C’était il y a trois ans et aujourd’hui notre plus grande satisfaction est qu’enfin tous profitent du jardin. Les fraises ont un succès inégalé, quoique suivies de près par les herbes aromatiques (notamment la menthe), les artichauts plantés il y a deux ans se sont révélés prolifiques et excellents. Nous avons eu un certain succès avec nos pommes de terre que les enfants nous ont aidé à ramasser avec cette surprenante découverte pour eux : les pommes de terre poussent sous la terre !

Les radis, toujours semés par les enfants sous notre œil attentif, les ont épatés par la rapidité de leur croissance. A la récolte, ils ont dit que ce furent les meilleurs radis qu’ils n’eussent jamais mangés !

A partir de ce jardin, d’autres actions ont été initiées qui ont embelli cette ex-vilaine place qui est devenue ce que nous souhaitions en premier lieu : un espace convivial où l’on s’arrête pour regarder, échanger, bavarder et… jouer au jardinier !

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Les artichauts se sont révélés prolifiques et excellents alors que les fleurs égayent le parterre – © Danielle Gourmain

 

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