Des graminées : Aux usages environnementaux
De par leurs racines fasciculées et souvent aussi leurs rhizomes, les graminées jouent un grand rôle dans la fixation des sols. Dans des milieux pauvres en nutriments, comme les sables, cela devient essentiel et a été mis en œuvre par l’homme depuis longtemps. Le point sur trois usages de graminées : la fixation des dunes, la phytoremédiation et les brise-vent.
La fixation des dunes
L’emploi de graminées pour fixer les dunes connaît une longue histoire. En France, elle est attestée dans la région de Bayonne au XIVe siècle. Il y eut, tout au long du XVIIIe siècle, des essais menés en Gironde et dans les Landes. Brémontier s’est appuyé sur ces travaux pour promouvoir l’implication de l’État qui crée, en 1801, la première Commission des dunes. En 1817, l’ingénieur Le Boullenger, chef du nouveau service des dunes dans le département des Landes, écrit un rapport descriptif sur le littoral landais. Mais c’est à partir de 1821 que commence la grande opération de fixation des sables littoraux sous l’égide de Jean-Sébastien Goury. Voici un tour d’horizon des principales espèces alors utilisées.
L’oyat ou gourbet
Il est maintenant appelé Calamagrostis arenaria (L.) Roth, mais ses synonymes restent très connus : Ammophila arenaria (L.) Link et Psamma arenaria (L.) Roem. & Schult. On l’appelle « oyat » dans le nord de la France et « gourbet » en Aquitaine. Il est aussi connu comme marram grass en anglais, et barrón en espagnol. Cette espèce est répandue en Europe, dans les terrains sablonneux des côtes atlantiques, de la Manche et de la mer du Nord.
Elle présente une panicule en forme d’épi, cylindrique, dense et longue de 10-25 cm. Cette graminée est remarquable à deux titres, qui expliquent son rôle essentiel dans la fixation des dunes.
Ses feuilles ne sont pas planes mais enroulées par temps sec, ce qui limite sa transpiration. Elles ne se déroulent qu’à l’humidité, permettant ainsi aux stomates de fonctionner. De plus, le dos de la feuille est recouvert d’une cuticule cireuse qui lui permet de résister au mitraillage par le sable. Elle présente des rhizomes de deux types : les horizontaux, ou stolons, lui permettent de s’étaler sur le sol et de se reproduire, ils peuvent s’étendre sur une longue distance (plusieurs mètres), les rhizomes verticaux lui permettent d’éviter l’ensablement en s’adaptant à l’élévation du niveau de la dune, qu’elle provoque par ailleurs en bloquant le sable. On trouve une autre sous-espèce en Méditerranée : Calamagrostis arenaria subsp. arundinacea (Husn.) Banfi, Galasso & Bartolucci. En Amérique, elle est remplacée par l’espèce Calamagrostis breviligulata (Fernald) Saarela.
Le grand oyat
Son nom actuel est Leymus arenarius (L.) Hochst., mais on connaît aussi son synonyme Elymus arenarius L. Contrairement à l’oyat, ses feuilles sont planes et l’inflorescence est un épi. Elle peut dépasser 1 mètre de haut et se trouve surtout en Europe du Nord.
La gourbettine
Il s’agit de Thinopyrum junceum (L.) Á. Löve, dont les synonymes sont Agropyron junceum (L.) P. Beauv., Elytrigia juncea (L.) Nevski et Elymus farctus (Viv.) Runemark ex Melderis, aussi appelée chiendent des sables. L’inflorescence est un épi. Elle fixe efficacement les sables de haut de plage et a été employée en plantation pour la première fois à Hossegor en 1987 (Granereau, 1991, 2004).
Autres espèces
Ailleurs dans le monde, d’autres espèces ont été utilisées :
• Sporobolus rigens (Trin.) É. Desv. en Argentine ;
• Panicum urvilleanum Kunth, sur les côtes pacifiques de l’Amérique ;
• et surtout le vétiver, Chrysopogon zizanioides (L.) Roberty, qui, en plus de son usage comme plante à parfum, sert à préserver les sols, à lutter contre la pollution et à traiter les eaux usées.
Les brise-vent, principalement la canne de Provence
N’importe quel type de haie peut faire office de brise-vent. Mais, en dehors du cyprès fastigié, la canne de Provence, Arundo donax L. (1753), est la reine des brise-vent. C’est une graminée rhizomateuse qui atteint un à huit mètres de haut. Elle a de grandes feuilles effilées, retombantes, glauques, et des panicules terminales de couleur vert pâle à violacé. Caractéristique des lieux humides des régions méditerranéennes, elle est en fait répandue à la fois dans les régions tempérées chaudes et tropicales et serait originaire d’Asie. Dans de nombreuses régions, elle est considérée comme une plante envahissante. Elle est fréquemment plantée en bordure de champ, à la fois comme brise-vent (du fait de sa taille) et pour limiter l’érosion des sols. Coupée et séchée, elle sert à fabriquer des canisses, palissades qui servent aussi de brise-vent et de clôture. On l’utilise aussi comme matériau de construction. Elle a été envisagée comme culture de biomasse.
La phytoremédiation : quand les graminées nettoient l’environnement
La phytoremédiation rassemble un grand nombre d’interventions destinées à la dépollution des sols et l’épuration des eaux usées. De nombreuses plantes sont utilisées à cet effet, pour leur action directe ou comme support de bactéries. En ce qui concerne les graminées, c’est surtout le roseau commun, Phragmites australis (Cav.) Trin. ex Steud. (1841), qui est utilisé. Il s’agit d’une espèce cosmopolite qui pousse dans les lieux humides, les pieds dans l’eau. Elle arrive à constituer des peuplements importants appelés roselières. La plante peut atteindre 3 mètres de haut, et possède des feuilles de 20-50 cm de long et 2-3 cm de large. L’inflorescence est une panicule terminale pourpre de 20 à 50 cm de long. Aux Pays Bas, le roseau commun est largement utilisé pour les zones transformées en polders. En attendant que le sol se désalinise par lixiviation, il contribue à augmenter la teneur en matière organique. Les roselières jouent un rôle important dans l’épuration naturelle des eaux. Cette capacité en a fait un élément essentiel des stations d’épuration. Le roseau filtre les matières en suspension et permet leur décantation. Cela ne doit pas faire oublier son utilisation traditionnelle pricnipale, qui était de couvrir les toits de chaume. On en fait même des murs, comme chez les Arabes des marais en Mésopotamie ou en Camargue (cabanes de gardian). Il est aussi utilisé pour fournir de la litière aux animaux. Par ailleurs, les plumets de fleurs permettaient de faire des balais bon marché.
Michel Chauvet
Ethnobotaniste
RÉFÉRENCES
Gouguet, Loïc (dir.), 2018. Guide de gestion des dunes et des plages associées. Versailles, Éditions Quæ. 219 p.
Granereau, G., 1991. L’agropyron: complément du gourbet ? Bulletin technique n° 22, ONF, 43:52.
Granereau, G., 2006. Rapport de l’ingénieur Le Boullenger sur la situation des dunes dans le département des Landes (décembre 1817).
Assoc. Mémoire en Marensin, ICN Orthez. 54 p. Granereau, G., 2004. L’agropyron ou chiendent des sables : une nouvelle plante pour la fixation des dunes littorales aquitaines. Bull. Soc. Borda, 2e trimestre, 261-270.