De l’urbanisme fonctionnaliste à l’urbanisme environnementaliste

Bernard Landau

La nature en ville est une histoire ancienne. Les cités ont toujours rêvé d’être à la campagne. Qu’il s’agisse des jardins suspendus de Babylone, des cours nourricières du Moyen Âge, des jardins des hôtels particuliers de l’ancien régime ou des premières esplanades et mails plantés au XVIIIe siècle, la présence de nature dans les villes nous semble aussi ancienne que celle de leur histoire.

La croissance urbaine inédite entraînée par la révolution industrielle a provoqué, au cours du XIXe siècle, des programmes de travaux de transformation des villes d’ampleur jusque-là inégalée. Londres, Chicago, New York, Barcelone, Berlin, Vienne et, notamment, Paris, avec les grands travaux d’Haussmann et d’Alphand, s’affirment comme métropoles de la modernité. Les « espaces verdoyants », on les appelait ainsi à l’époque, y prennent une nouvelle dimension.

Paris vu de la tour Montparnasse : la nature doit pouvoir ne plus être cantonnée à des bois, parcs, squares, ou jardins. Il faut irriguer la ville par la végétalisation de l’espace public – © J.-F. Coffin

Les débuts de la notion d’espaces verts

L’urbanisme comme discipline spécifique apparaît au début du XXe siècle et, avec lui, la notion de planification, puis de règlements urbains. Il faut attendre les années 1910-1920 pour que la prise en considération de la nature apparaisse dans les textes comme composante de l’urbanisme. Les avenues plantées, squares, parcs et bientôt les cités-jardins occupent une place majeure dans les projets de réaménagement des villes, avec la jeune Société française des architectes-urbanistes créée en 1911, puis après la Grande Guerre, la loi Cornudet du 14 mars 1919 qui institue l’obligation de Projets d’aménagement, d’embellissements et d’extension (PAEE). La question de la nature sera au centre des différents courants de pensée de l’entre-deux-guerres, en Angleterre, en France, aux Pays-Bas, en Allemagne et la Charte d’Athènes (1942) lui attribuera une place et une fonction centrale dans l’aménagement de la ville moderne.

L’expression « espaces verts » apparaît pour la première fois dans les textes du Règlement national d’urbanisme (RNU) en 1961. L’article 7 précise que : « le permis de construire peut être subordonné au maintien ou à la création d’espace vert correspondant à l’importance de l’immeuble construit » et établit de fait une relation réglementaire sur un terrain entre son occupation bâtie et son espace libre.

Préservation naturelle, puis « paysagère »

Dans les années 1970, les espaces verts sont reconnus d’intérêt public dans les documents d’urbanisme. La loi dite « d’orientation foncière » (LOF) du 30 décembre 1967 établit en France une nouvelle génération de documents d’urbanisme : Plan d’occupation des sols (POS), Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), Coefficient d’occupation des sols (COS) ou les Zones d’aménagement concerté (ZAC). Les espaces agricoles, les espaces naturels dans les agglomérations, les espaces verts urbains, sont décrits comme « éléments structurants d’intérêt public » de toute politique de planification urbaine.

On commence à se préoccuper de préservation naturelle puis « paysagère » – terme officialisé par la loi Paysage de 1993 – des grands territoires.

Le remplacement des grilles d’arbres par une végétalisation des pieds d’arbres dans une rue de Paris – © B. Landau

Une circulaire ministérielle du 22 février 1973 relative à la protection des espaces verts en zone urbaine rappelle qu’un espace vert représente un équipement structurant d’intérêt général et convie les préfets à élaborer un plan de protection et de mise en valeur des espaces verts urbains et périurbains. L’IAURP (Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne), énonce, dans les années 1970, des directives de protection, d’aménagement et de gestion des espaces verts pour toute l’Ile-de-France qui s’efforcent de préserver un équilibre entre l’urbanisation alors galopante et les espaces agricoles et naturels, et de sanctuariser une grande ceinture verte autour de l’agglomération.

Le végétal prend de l’importance

L’élaboration des POS témoigne de la place prise par le végétal dans l’évolution souhaitée pour les villes. La présence de nature n’est cependant encore reconnue que pour ses qualités d’hygiène, d’embellissement urbain et d’équipement d’agrément favorisant le lien social entre les générations et les différentes classes sociales. L’article 13 du règlement des POS est consacré aux espaces libres et aux plantations des terrains dans les zones constructibles, précisant par des coefficients d’emprise les dispositions et proportions d’espaces non bâtis propres aux diverses situations (tissus de faubourgs, zones de grands ensembles d’habitation, coeurs urbains historiques…). À Paris, le POS approuvé en 1977 est à l’origine de la création de nouveaux grands parcs (Bercy, Belleville, Georges Brassens, Citroën, parc de la Villette) et de nombreux squares et jardins, équipements de proximité des projets de renouvellement urbain menés surtout dans l’Est parisien. En 1976, 30 ans avant le Grenelle de l’environnement, la notion de « trame verte » apparaît déjà dans les documents de travail de l’IAURP.

L’avènement d’un urbanisme écologique

Plusieurs facteurs convergent à la fin du XXe siècle vers un changement de regard sur la place et le rôle de la nature dans les territoires. Le développement durable inspire l’écriture de la loi Solidarité et renouvellement urbain (Loi SRU 2000), les Plans locaux d’urbanisme (PLU) remplacent les POS et les villes doivent rédiger un Plan d’aménagement et de développement durable (PADD), rapport de présentation des axes stratégiques déclinés de façon réglementaire dans le PLU.

Avec le concept de développement durable s’opère un véritable changement de paradigme. On passe d’un urbanisme fonctionnel à un urbanisme environnemental, voire écologique. Portée dans un premier temps par les mouvements écologistes, les associations de protection de l’environnement et la communauté scientifique internationale, une prise de conscience émerge dès les années 1980 sur le fait que la ville ne peut continuer d’évoluer sans se positionner stratégiquement par rapport à la nature.

Un jardin « éphémère » sur le parvis de l’hôtel de ville en 2008 – © B. Landau

Textes réglementaires

Les objectifs de protection de l’environnement, du patrimoine naturel de la ville et de ses écosystèmes jalonnent les textes réglementaires. En 2004, une stratégie nationale pour la bio-diversité vise notamment à restaurer une connectivité écologique minimale aux différentes échelles pour tout le territoire national. En 2009, une des décisions du Grenelle I de l’Environnement sera l’obligation pour chaque région d’élaborer un Schéma régional de cohérence écologique (SRCE), document de rang supérieur aux autres documents de planification urbaine que sont les SDAU, SCOT et PLU. Avec les SRCE apparaissent les trames vertes et bleues (TVB), dont l’objectif est d’enrayer la perte de biodiversité (tant extraordinaire qu’ordinaire), dans un contexte de changement climatique.

Irriguer la ville par la végétalisation

C’est sur ce fond de mutations conceptuelles que se déclinent aujourd’hui les règles sur la place du végétal et de la biodiversité dans les PLU et autres documents d’urbanisme. Ainsi, la récente modification du PLU approuvée par le Conseil de Paris en juillet 2016 précise dans son rapport introductif les objectifs d’une nouvelle dynamique : « la nature doit pouvoir ne plus être cantonnée à des bois, parcs, squares, ou jardins, qu’il faut par ailleurs continuer à développer, mais irriguer la ville, par la végétalisation ou le développement de l’agriculture urbaine sur les terrasses, toitures du bâti parisien adapté, par la végétalisation de l’espace public, des façades, des délaissés… », objectifs déclinés réglementairement à toutes les échelles et mis en oeuvre dans tous les nouveaux projets d’initiative privée et publique à Paris.