Cultures de services en parcelles agricoles ? Le cas des vignes enherbées

Répandues en grandes cultures, les plantes de services se développent dans les vignes, de manière hétérogène selon les régions viticoles. Elles jouent un rôle agronomique et environnemental. Mais qu’entend-on par cultures de services en parcelles agricoles ?

Les cultures de services sont des plantes présentes dans la parcelle, qu’elles soient semées ou spontanées, différentes de la culture en place, dont on attend des services. Nous prenons ci-après l’exemple des parcelles viticoles, dont l’entretien du sol connaît aujourd’hui d’importants changements, du fait notamment de la réduction de l’usage des herbicides et de la limitation du recours au travail du sol.

 

Engrais vert (moutarde, orge, féverole) sur la parcelle viticole de l’Argèle, Villeneuve-les Maguelone © A. Metay

Des sols viticoles souvent fragiles et exposés

En France, la vigne est conduite en grande majorité selon des pratiques conventionnelles qui peuvent avoir un effet néfaste sur le sol en favorisant le tassement, l’érosion, l’accumulation du cuivre et la diminution de la biomasse microbienne. L’organisation de la plantation en rangs expose en particulier le sol à l’effet des passages répétés d’engins et aux aléas climatiques.

Or, il est fondamental pour les agro-écosystèmes, notamment pour les cultures pérennes comme la vigne. Il constitue le support physique des cultures et intervient dans leur alimentation hydrique et minérale. Le sol est aussi l’habitat d’une grande quantité d’organismes qui interviennent dans sa structuration et la dynamique de la matière organique et des éléments nutritifs. De plus, le sol est une composante essentielle du terroir, notion essentielle à la filière viticole. La protection des sols est donc un enjeu agronomique et environnemental majeur pour la durabilité des vignobles.

 

Des couverts dans les parcelles viticoles ?

S’ils ont probablement toujours été enherbés, les systèmes viticoles ont évolué au cours du XXe siècle vers une monoculture stricte impliquant l’élimination des couverts herbacés. Ces pratiques sont remises en question depuis les années 1990 du fait de leurs conséquences environnementales (pollution des eaux, dégradation des sols). Dès les années 1950, de premiers essais d’enherbement ont été réalisés par la communauté scientifique et est apparue pour la première fois la mention du concept d’enherbement comme la « seule méthode qui permet de cultiver les vignobles à forte pente » (Lenz Moser, en Autriche). Par la suite, de nombreux essais furent menés avec comme principaux objectifs d’évaluer les conséquences sur la vigne de la mise en place de l’enherbement, de déterminer les espèces les plus appropriées pour couvrir le sol et de mettre au point des outils permettant de gérer ces couverts. De manière générale, un couvert végétal se définit par une espèce ou une communauté d’espèces végétales recouvrant le sol de manière permanente ou temporaire. L’agriculteur a la possibilité de semer ces couverts selon un choix raisonné ou bien de laisser la végétation spontanée se développer.

Une pratique en développement

Dans les vignobles français, la pratique d’un enherbement des parcelles, même temporaire, est moins répandue qu’en grandes cultures ou en vergers. Cependant, en 2016, un peu plus de 50 % du vignoble français étaient concernés par une pratique d’enherbement sur l’inter-rang, ce qui révèle l’intérêt grandissant des viticulteurs pour cette pratique. Avec plus de 80 % de leurs surfaces viticoles concernées par l’enherbement, dont un tiers environ par de l’enherbement semé, les vignobles d’Alsace et du Sud-Ouest ont largement adopté cette pratique, tandis que les vignobles du Sud Est (Languedoc et Provence) ne sont couverts qu’à hauteur de 20 % environ de leurs surfaces, quasi exclusivement avec de l’enherbement spontané. Du fait de la difficulté à gérer le couvert, la pratique de l’enherbement sur le rang reste encore très minoritaire, mais des études sont en cours pour identifier des espèces couvrantes, peu concurrentielles et faciles à entretenir.

Vue aérienne du dispositif Vigne Agro-écologique, DEPHY EXPEv- UMR ABSys, Villeneuve-les-Maguelone © C. Enard

Une grande diversité de couverts pour une multitude de services

Les stratégies d’enherbement sont très diversifiées, tout d’abord via le choix des espèces, semées ou spontanées. Les espèces végétales les plus couramment utilisées dans ces couverts appartiennent à trois familles botaniques présentant chacune des avantages différents : les graminées (avoine, seigle, Ray-grass, brome, fétuque, orge…) produisent une biomasse importante avec un rapport C/N élevé, bénéfique lors de la destruction, les brassicacées, anciennement « crucifères », (moutarde, navette fourragère, radis chinois, colza fourrager…) s’implantent rapidement, empêchant le développement des adventices et piègent de l’azote qu’elles peuvent restituer au sol une fois détruites. Enfin, les légumineuses (vesce, féverole, trèfle, luzerne…) sont de plus en plus utilisées, seules ou en mélange, pour leur capacité à fixer le diazote atmosphérique. Avec un rapport C/N alors très faible, le relargage de l’azote assimilé et des nutriments se fait très rapidement, on parle d’engrais verts (Noceto, et al., 2020).

La diversité des stratégies d’enherbement se traduit également par des dynamiques temporelles différentes. Ainsi, on considère qu’il existe trois types de couverts avec des objectifs différents pour le viticulteur : le couvert hivernal, principalement pour faire face au phénomène d’érosion du sol, important pendant cette période de repos végétatif, le couvert semi-permanent détruit autour de la floraison de la vigne et, enfin, le couvert permanent, présent tout au long de l’année et entretenu par tonte, roulage, voire pâturage… Enfin, la dernière dimension de cette diversité de stratégies est spatiale : tous les inter-rangs ou un inter-rang sur deux, le viticulteur adapte la géométrie de son enherbement aux objectifs et aux contraintes de sa parcelle, et peut le faire évoluer d’une année sur l’autre. Ainsi pour assurer une restitution régulière de matière organique au sol, certains viticulteurs choisissent d’alterner une année sur deux les inter-rangs enherbés.

Flore attractive de l’entomofaune auxiliaire. Bande enherbée avec phacélie dans une parcelle de pommier en agroforesterie, Domaine de Restinclières © P.-É. Lauri

Piloter les cultures de services

L’association de couverts végétaux avec la vigne peut générer une compétition pour les ressources du sol. Les risques de stress et de perte de rendement de la vigne sont souvent les premières raisons de non-adoption de cette pratique, particulièrement en contexte méditerranéen. Ces risques dépendent en effet fortement du contexte technique et pédoclimatique des vignobles. En ce sens, la forte variabilité des pratiques au sein des régions viticoles révèle de nombreuses incertitudes quant à la gestion des cultures de service pour satisfaire les objectifs de production et les services attendus. Qu’il s’agisse d’implantation des couverts ou de leur destruction, chaque vigneron doit raisonner ses choix en fonction des objectifs recherchés en matière de production mais aussi d’un point de vue agronomique comme peuvent l’être la protection des sols contre l’érosion ou l’amélioration du taux de matière organique. Dans le cas d’un objectif d’amélioration rapide de la fertilité minérale du sol, le broyage combiné à l’enfouissement sera le plus efficient car sa décomposition se fera rapidement avec une minéralisation importante si les conditions climatiques le permettent (Garcia, et al., 2020).

 

Aurélie Metay, Yvan Bouisson, Léo Garcia, Raphaël Metral,
Clément Enard, Christian Gary, Hugo Fernandez Mena
Chercheurs dans l’UMR ABSys – Agrosystèmes Biodiversifiés

POUR ALLER PLUS LOIN

Noceto, et al. Revue des oenologues. Avril 2020 ; n°175.
Garcia, et al. Revue des oenologues. Octobre 2020 ; n°177.