Coquerets et pépino, des Américains dans votre jardin (Deuxième partie: le pépino)

Le pépino, Solanum muricatum Ait., poire melon ou concombre doux (catchun en quechua(1*)) est, comme les coquerets (Jardins de France n° 658), une solanacée peu connue des consommateurs. Il fait partie du genre Solanum, qui compte de nombreuses espèces comestibles.

Photo n° 1: Diversité des fruits de Solanum muricatum © J. Prohens, Université polytechnique de Valencia, Espagne

Un peu d’histoire

Le pépino a été domestiqué dans les Andes, entre Pérou et Colombie. Largement présente dans le vocabulaire des civilisations pré-incas et sur leurs céramiques (Photo n° 2), cette espèce a été décrite par les Espagnols dès la conquête de l’empire Inca, mais sa présence en Espagne et dans les jardins du roi Louis XVI n’est signalée qu’en 1785. Le nom « pépino » est source de confusion car il désigne également le concombre en espagnol. À la Renaissance, il était commun d’attribuer aux plantes étrangères des noms de plantes familières auxquelles elles ressemblaient plus ou moins.

Botanique et biologie

Solanum muricatum est proche de la pomme de terre et de la tomate, ces trois espèces faisant partie du Clade Potato dans l’arbre phylogénétique du genre Solanum. L’espèce n’existe que sous forme cultivée. Le pépino est principalement cultivé entre 1 200 et 2 700 mètres d’altitude dans les Andes tropicales et subtropicales, c’est-à-dire dans des conditions tempérées fraîches.

L’espèce est diploïde à 2n=2x=24 chromosomes, autogame, génétiquement et morphologiquement très diverse. L’hétérogénéité génétique des variétés a pour conséquence que toute descendance issue de semences est différente de la plante mère. Cette caractéristique est un atout pour le sélectionneur, mais un défaut majeur pour le jardinier, qui ne peut pas reproduire par semences et de manière conforme une plante mère intéressante pour la qualité de ses fruits.

La nouaison du pépino est capricieuse, du fait de la forte réactivité de la végétation à la fumure azotée et de la qualité très variable du pollen selon les cultivars et la température (audelà de 30 °C, elle est mauvaise). La nouaison est plus stable chez les cultivars parthénocarpiques, capables de former des fruits normaux en l’absence de pollinisation, mais ce caractère, sous le contrôle d’un gène dominant, a une expression plus ou moins forte selon les conditions environnementales.

Photo n° 2: Poteries datant de la période Moche (100-700 ap. J.-C.). Museo arqueologico Rafael Larco Herrera, Lima, Pérou © T. Andres

 

Description et usages

Solanum muricatum est une espèce pérenne. Assez ressemblante à un plant de pomme de terre (mais sans tubercules !), la plante, de l’ordre de 90 cm de hauteur, a des feuilles variables : simples et entières, ou lobées ou divisées en trois à sept folioles. Les inflorescences ont de cinq à plus de vingt fleurs, blanches ou tachées de pourpre ou bleu. Les fruits sont divers (Photo n° 1), en taille, en forme et en couleur. Leur chair est verdâtre, blanchâtre ou jaune-orangé. Ils peuvent contenir de nombreuses graines ou aucune, selon les variétés. Une fois pelé, le fruit a une saveur rappelant celle du melon et de la poire avec des notes exotiques, assez sucrée dans les meilleurs cas, avec 10 à 12 % de matières sèches solubles (MSS)(2*). Les variétés de moindre qualité, avec moins de 8 % de MSS,
peuvent présenter un arrière-goût déplaisant de concombre
ou de savon. Le fruit est un peu plus riche en vitamine C que
le citron.

Les fruits crus sont généralement consommés comme dessert, en jus, ou en salade comme le concombre. En France, dans les années 1980 et 1990, sous l’impulsion de Jean-Yves Péron(3*), des chefs ont révélé ses potentialités de légume, par exemple rissolé au beurre et servi en accompagnement délicat de viandes et poissons. En Nouvelle-Zélande, on sert le pépino avec des soupes, fruits de mer, jambon, viandes, poissons, sauces, salades de fruits et desserts.

Photo n° 3: Culture de pépino au Pérou, vallée de Cañete © J. Philouze, Inra (A: au champ; B: fruits en caisse)

 

Développement économique et culture

On trouve facilement les fruits sur les marchés andins de Colombie, d’Équateur, de Bolivie, du Pérou, du Chili, ainsi que d’Amérique centrale, où les cultivars sont diversifiés. Des productions commerciales existent au Pérou (Photo n° 3), au Chili et au Brésil. Le développement de la culture du pépino hors Amérique du Sud est encore limité du fait de la tardivité de sa production, de sa nouaison capricieuse, et de sa qualité gustative insuffisante

En France (Photo n° 4), l’intérêt de la filière légumière est demeuré faible malgré le fort investissement en recherche et développement du collectif animé par Jean-Yves Péron (Jardins de France n° 621, 2013). Dans les zones tempérées, le pépino est une annuelle, qui tolère momentanément des températures légèrement en dessous de zéro. La plupart des variétés sont multipliées végétativement sous forme de boutures(4*). Avec des boutures racinées, la plantation au stade 2-3 feuilles peut se faire en mai-juin en jardin. Les besoins thermiques optimums sont de 18 à 25 °C en
production.

Photo n° 4: Pépino en pleine terre à l’INH en 1996 © J.-Y. Péron, AgroCampus Ouest

Les distances de plantation usuelles sont similaires à celles de la tomate. Les plantes peuvent être conduites en buisson aéré, en supprimant les rameaux improductifs, avec ou sans attachage. Un meilleur ancrage peut être obtenu en butant les plants en cours de végétation, pour favoriser l’émergence de racines adventives (méthode pratiquée au Pérou). Il faut de 30 à 60 jours pour que le fruit atteigne sa taille adulte, puis de 7 à 25 jours supplémentaires pour la maturité physiologique.

La récolte est tardive, environ 150 jours après la plantation. Afin d’obtenir une meilleure saveur et teneur en sucre des fruits, l’irrigation doit être réduite à l’approche de leur maturité. Les fruits doivent être cueillis mûrs, quand ils prennent une teinte dorée avec des rayures nettes (Photo n° 5), et avec précaution car ils « marquent » facilement. Cueillis en début de mûrissement, ils se conservent à 10-12 °C de 4 à 6 semaines.

En fin d’été, on peut faire des boutures sur des plantes saines, à conserver pendant l’hiver en vue de la saison suivante. Il est déconseillé de récolter les graines, s’il y en a, car la génération suivante sera différente du fait de l’hétérozygotie du matériel commercial, sauf si le jardinier se sent une âme de sélectionneur.

Photo n° 5: Fruits de pépino: à gauche en début de mûrissement, à droite, fruit physiologiquement mûr. Au centre, on notera l’absence de graines © J.-Y. Péron, Agrocampus Ouest

Conclusion

Le pépino se conduit grosso modo comme la tomate, aussi le jardinier n’a-t-il pas à craindre de difficultés particulières en l’introduisant dans son jardin. La plante produit des fruits très attractifs qui le raviront visuellement, même s’ils peuvent être décevants gustativement à l’état frais. Comme ce joli fruit a de grands atouts comme légume, du fait de sa texture très fine, très agréable en bouche, il peut être mis à l’honneur en salades, et surtout en accompagnement de viandes ou de poissons après une cuisson légère respectant les qualités de sa chair fondante. Avec le pépino, la curiosité des jardiniers, des cuisiniers et des convives sera comblée !

 

Marie-Christine Daunay
Inrae, UR1052, Montfavet

 

Remerciements : l’auteur remercie Jean-Yves Péron, Agrocampus
Ouest, pour la mise à disposition de sa photothèque sur le pépino.

 

(1*) Langue des Incas, encore parlée dans les Andes du Nord.
(2*) Constituées principalement de sucres.
(3*) Chaire de cultures légumières, École nationale des travaux horticoles et du paysage, Angers (actuellement Agrocampus Ouest).
(4*) L’enracinement des tiges est facile.