Brassica : choux, navets, moutarde…

La famille des brassicacées (ou crucifères) comprend plus de 4 000 espèces. La taxinomie scientifique et les noms vernaculaires de plusieurs espèces du genre Brassica ont longtemps été très confus, rendant les sources écrites anciennes peu fiables pour connaître l’histoire de la domestication et de la sélection.
Ainsi, 
la confusion entre les radis et les navets est la règle dans tous les anciens textes.

B. oleracea existe à l’état spontané, sauvage sur les côtes de l’Atlantique de la France aux pays scandinaves ainsi que sur les côtes de la Méditerranée. Sa domestication est également très ancienne et il est cultivé depuis plusieurs millénaires © P. Hermann-Pixabay

Nous nous intéresserons principalement à six espèces alimentaires qui peuvent avoir également d’autres usages comme engrais vert ou plantes fourragères.

Trois espèces principales

B. rapa se trouve à l’état sauvage en Europe et en Méditerranée où il a été domestiqué il y a plus de 4 000 ans. Au cours des siècles, la sélection a porté soit sur les racines pour donner les navets et les raves (on appelle généralement rave des navets de forme arrondie et de grande taille) ; soit sur la production grainière pour l’extraction d’huile, c’est la navette. Le navet est aujourd’hui un peu tombé en désuétude en France mais il a été extrêmement important jusqu’à ce qu’il soit remplacé par la pomme de terre dans notre alimentation. Il a toujours été très cultivé en Angleterre et A. Young s’étonne qu’il ne soit pas davantage cultivé en France (en particulier le navet fourrager).

B. rapa a également été sélectionné en Extrême-Orient, probablement à la suite d’un deuxième évènement de domestication. La sélection a porté essentiellement sur les feuilles donnant les choux chinois : pe tsai et pak choi sont aujourd’hui les plus connus en Europe mais il existe d’autres types en Extrême Orient. Au point de vue génétique, B. rapa est une espèce diploïde avec 2 n = 2 x = 20 chromosomes (génome A).

B. oleracea est le chou européen (par opposition aux choux chinois, B. rapa). Il existe à l’état spontané, sauvage sur les côtes de l’Atlantique de la France aux pays scandinaves ainsi que sur les côtes de la Méditerranée. Sa domestication est également très ancienne et il est cultivé depuis plusieurs millénaires. La sélection a porté essentiellement sur les feuilles avec les choux non pommés (choux fourragers, choux frisés) et les choux pommés (cabus, de Milan, de Bruxelles) mais aussi sur la tige renflée (chou rave, chou moellier) et les inflorescences (chou fleur, brocoli). La sélection pour les feuilles et les tiges s’est faite en Europe, les formes non pommées étant vraisemblablement les plus proches du type sauvage. La sélection pour les inflorescences a eu lieu dans l’est de la Méditerranée, peut-être après un autre évènement de domestication ; la plus ancienne attestation écrite pour le chou-fleur est d’Ibn Al-‘Awwâm (Andalousie, XIIe siècle) sous le nom de chou de Syrie.

D’après Olivier de Serres (1600), le chou fleur aurait été introduit en France depuis l’Italie à la Renaissance : « les caulifiori, ainsi dicts des Italiens, encore assez rares en France, tiendront reng honorable au jardin pour leur délicatesse ». L’origine des choux de Bruxelles est plus mystérieuse et ne daterait que du XVIIIe siècle, mais peut-être du Moyen-âge. Parkinson (1629, Angleterre) mentionne les choux frisés et colorés comme plantes ornementales.

B. nigra, la moutarde noire, est spontanée dans toute l’Europe dont la France, l’Afrique du Nord et l’Asie jusqu’en Chine © V. Parmentier

B. oleracea est l’une des espèces cultivées les plus polymorphes, car à cette diversité des cultigroupes s’ajoutent différentes formes (choux cabus aplatis, sphériques, ovales ou coniques) ou différentes colorations : rouge violacé (anthocyanes) de certains choux frisés, choux-raves, choux-fleurs et choux cabus rouges, orange (caroténoïdes) de certains choux-fleurs… B. oleracea est diploïde avec 2 n = 2 x = 18 chromosomes (génome C).

B. nigra, la moutarde noire, est spontanée dans toute l’Europe dont la France, l’Afrique du Nord et l’Asie jusqu’en Chine. Ses graines sont utilisées pour la fabrication de la moutarde. On utilise, suivant les pays et les types de mou- tarde, des graines de B. nigra, B. juncea (voir ci-après) et de Sinapis alba.

Les noms communs des plantes (respectivement moutarde noire, brune ou blanche) correspondent à la couleur des graines. L’huile extraite des graines de la moutarde noire est utilisée dans certains pays (Inde). B. nigra est diploïde avec 2n=2x=16 chromosomes (génome B). Comme la plupart des brassicacées, les trois espèces précédentes sont auto-incompatibles, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas s’autoféconder et ne produisent des graines qu’après pollinisation par une autre plante de la même espèce. Le transport du pollen est assuré par des insectes (abeilles, bourdons). Par définition même de l’espèce, les différentes formes d’une espèce peuvent s’intercroiser et donnent des hybrides fertiles ; ainsi les navets, les navettes, les choux chinois et les formes sauvages de B. rapa sont interfertiles.

Les trois espèces se croisent très difficilement entre elles d’autant plus qu’elles ont des nombres de chromosomes différents. Cependant, des hybrides se sont naturellement produits au cours des siècles de cohabitation. Les hybrides fertiles cumulant les génomes des deux parents et donc tétraploïdes ont donné de nouvelles espèces.

Trois hybrides interspécifiques

B. juncea, la moutarde brune ou moutarde de Chine ou moutarde indienne, est issue d’un croisement spontané entre B. rapa et B. nigra. Cette espèce a 2 n = 4 x = 36 chromosomes (génome A+B). La sélection a porté sur de grosses racines (moutarde tubéreuse de Chine), sur le feuillage avec de très nombreuses variétés en Extrême-Orient (mizuna), ou sur les graines qui sont employées pour la confection de la moutarde et pour l’extraction d’huile.

B. napus provient de croisements spontanés entre B. rapa et B. oleracea qui auraient eu lieu vers 1 000 à 2 000 ans av. J.-C. Cette espèce a 2 n = 4 x = 38 chromosomes (génome A+C). L’hybride entre un navet et un chou est le chou-navet et le rutabaga à chair blanche ou jaune pour l’alimentation humaine ou l’alimentation animale. Il est surtout cultivé dans le nord de l’Europe. L’hybride entre une navette et un chou a donné le colza, qui a supplanté la navette pour la production d’huile et est aujourd’hui l’une des principales plantes oléagineuses en climat tempéré. Enfin B. carinata, la moutarde d’Éthiopie, est issu d’un croise- ment spontané entre B. nigra et B. oleracea : 2 n = 4 x = 34 chromosomes (génome B+C). Les feuilles sont consommées locale- ment comme légumes. L’huile extraite des graines est très riche en acide érucique, ce qui répond à des utilisations industrielles.

Tableau n° 1 : Diversité et variations parallèles chez six espèces de Brassica.

Des variations parallèles

Les agriculteurs au cours des siècles et en différents lieux ont retenu des types très différents, en particulier dans B. rapa et B. oleracea suivant que la sélection a porté sur les racines, les feuilles, la tige ou les graines (Tableau n° 1). Des variations de couleur se retrouvent également dans différentes espèces, comme le rouge-violet de certains navets, rutabagas et des  choux rouges ou le jaune d’autres navets et rutabagas. On pourrait mettre également en parallèle les variations de forme et de couleur des navets et des radis (Raphanus sativus) allant des petits radis de tous les mois à des daïkons de plusieurs kilogrammes. Les hybrides interspécifiques tétraploïdes (B. juncea, B. napus…) ont été refaits par pollinisations contrôlées. Des croisements plus éloignés entre le radis et le chou ont permis l’introduction d’un caractère de stérilité-mâle venant du radis dans le chou : les recherches réalisées dans les années 1970- 1990 ont permis l’inscription des premières variétés de chou à choucroute hybrides en 1994, puis de choux-fleurs.

 

Michel Pitrat
Directeur de recherche honoraire INRA, membre du comité de rédaction de Jardins de France

La sélection divergente pour différents organes illustrée par ces quelques espèces de Brassica a également été pratiquée sur d’autres espèces, en particulier entre les racines et les feuilles : Beta vulgaris avec les betteraves (sucrière, fourragère, potagère) et les côtes de bette ou poirées, Apium graveolens avec le céleri rave et le céleri branche, Petroselinum crispum avec le persil commun et le persil à grosses racines, Cichorium intybus avec la chicorée à café et les chicorées à feuilles (pain de sucre…) ; mais aussi entre les feuilles et les fleurs : Cynara scolymus avec le cardon et l’artichaut.