Biodiversité : y a-t-il des plantes indésirables au jardin ?

Elizabeth Rat-Morris

Favoriser la biodiversité commence dans le jardin. L’intérêt des « herbes folles » pour héberger les papillons est bien connu. Cependant, ne risque-t-on pas de trouver parmi elles des plantes favorisant les insectes indésirables, et notamment les pucerons, ravageurs les plus présents dans nos jardins ? Parmi les plantes choisies pour le potager, le verger et l’ornement, toutes sont-elles les bienvenues ?

Pucerons noirs de la fève Aphis fabae sur capucine - © Elizabeth Rat-Morris
Pucerons noirs de la fève Aphis fabae sur capucine – © Elizabeth Rat-Morris

Dans un jardin, les plantes hôtes sont celles aux dépens desquelles les insectes phytophages vivent et se nourrissent. Connaître le mode d’alimentation des insectes peut constituer un guide pour le choix ou l’exclusion d’une plante.

Les insectes et leurs plantes hôtes

Certains insectes sont polyphages : ils peuvent consommer des espèces différentes, appartenant à plusieurs familles. C’est le cas de la noctuelle gamma Autographa gamma, dont la chenille peut se nourrir de nombreuses plantes adventices ou cultivées. C’est aussi celui de la noctuelle du chou, Mamestra brassicae, qui contrairement à ce que son nom suggère, peut se développer sur beaucoup d’espèces végétales appartenant à plus d’une vingtaine de familles.

Les insectes dits oligophages sont spécialisés et ne consomment qu’un nombre limité d’espèces végétales, comme le doryphore, spécialiste des Solanacées : pommes de terre, aubergines, tomates, poivrons, mais aussi pétunias, morelles et belladones. Les insectes monophages se limitent à une seule ou à quelques espèces très proches, comme la pyrale du buis, Cydalima perspectalis, présente en France depuis 2008.

La reproduction des pucerons

Pour comprendre le lien entre les pucerons et leurs plantes hôtes, il est intéressant de comprendre leur cycle biologique. Beaucoup se développent alternativement sur plusieurs espèces végétales, ce qui complique l’estimation du statut des plantes à leur égard. «  Compliqué  » est bien le terme, tant la biologie des pucerons est diverse, complexe et surprenante.

Leur cycle type de reproduction (cycle complet ou holocycle) se déroule sur plusieurs générations, qui alternent, au cours de l’année une génération sexuée et plusieurs générations parthénogénétiques1. Le cycle complet peut se dérouler sur le même type de plante hôte (pucerons monoéciques) ou alterner sur deux types de plantes très différents (pucerons dioéciques).

Dans le cas des pucerons dioéciques, en automne, après l’accouplement, les femelles pondent des œufs sur une plante hôte, dite plante primaire, souvent un arbre. Ils éclosent en donnant des larves femelles qui, une fois adultes, se reproduisent par parthénogenèse, pondant directement de jeunes larves qui évolueront en plusieurs générations de pucerons femelles sur cet hôte. À la fin du printemps, les puceronnes migrent sur des plantes secondaires, des plantes herbacées, où la reproduction parthénogénétique se poursuit. Durant l’automne, quand les jours raccourcissent, certaines puceronnes donneront naissance à des pucerons mâles, ou à des femelles qui se reproduiront, après accouplement, en pondant leurs œufs sur la plante primaire, bouclant ainsi le cycle.

Ainsi il y aura eu plusieurs générations, deux modes de reproduction, sexuée et parthénogénétique, des pontes d’œufs ou de larves, et plusieurs espèces de plantes hôtes. Bien sûr, on trouve toutes sortes de variantes autour de ce cycle type. Les puceronnes sont vraiment surprenantes !

Quelques exemples permettent de voir les conséquences des mœurs des puceronnes sur nos plantes de jardin. Plusieurs espèces de pucerons se développent alternativement sur les peupliers (hôtes primaires) où elles produisent des galles sur les pétioles ou les feuilles, puis sur les racines de plantes herbacées. Ainsi Pemphigus bursarius pond sur le peuplier d’Italie, puis migre sur les racines de laitues et chicorées, pouvant occasionner des dégâts, tandis que Pemphigus spirothecae enroule joliment les pétioles de peuplier et reste sur cet arbre. Les pucerons cendrés du pommier Dysaphis plantaginea, pour leur part, pondent sur le pommier et migrent sur le plantain. Le puceron vert du pêcher Myzus persicae pond sur les bourgeons de pêcher et migre sur un grand nombre de plantes potagères, ornementales, céréales ou adventices.

Faut-il éliminer les peupliers à proximité de notre jardin, éliminer le plantain, supprimer les pêchers ? Les puceronnes migratrices volent et peuvent se disséminer à distance, emportées par le vent. S’il s’avérait nécessaire de tenter de les éradiquer en éliminant leur plante hôte, il faudrait pouvoir agir sur un territoire important, et encore… Euraphid, réseau de surveillance des migrations de pucerons à travers l’Europe, afin d’anticiper les transmissions de virus sur les cultures, montre qu’ils traversent la Manche et progressent au gré des vents dominants sur de grandes distances !

Les conséquences sur la gestion du jardin

Toutes ces connaissances ne servent-elles donc pas concrètement ? Il est possible de retenir quelques principes de base :

Cycle théorique complet d’un puceron
Cycle théorique complet d’un puceron

Beaucoup de ravageurs peuvent se développer sur plusieurs hôtes, mais certains sont très spécifiques. Les pucerons qui se développent sur les pommiers et le plantain ne migreront pas sur les rosiers, et éliminer le plantain ne protégera pas les pommiers.

Utiliser une plante pour attirer les insectes comme « plante piège » est le plus souvent illusoire. Les capucines attirent bien des pucerons, principalement Aphis fabae, puceron noir de la fève qui les repère très vite, mais ce puceron est très polyphage et peut coloniser près de  200  espèces de plante !

Certaines plantes sont fortement attaquées, en particulier par les espèces d’insectes invasives qui n’ont pas encore d’ennemis naturels suffisamment efficaces pour limiter leurs populations. C’est le cas du buis avec la pyrale.

Si certaines plantes peuvent être évitées dans notre coin « d’herbes folles », ce ne sera pas en tant qu’hôte de nuisibles. Ainsi le lamier jaune, Lamium galeobdolon, plante à stolons, peut se révéler un peu envahissant dans le jardin. On évitera éventuellement aussi les plantes attractives pour les chats à proximité des semis, comme la cataire (Nepeta cataria) ou la valériane.

Un vrai risque ?

Il n’est pas recommandé d’installer dans le coin sauvage, et  plus généralement dans le jardin, des plantes prélevées lors d’un voyage à l’étranger ou dans une autre région de France. Le risque d’apporter également des agents pathogènes (champignons, virus, bactéries) ou des ravageurs n’est pas nul. La loi française réglemente l’introduction de plantes vivantes, de produits de végétaux et de terre, avec des restrictions et des interdictions en fonction des provenances. Renseignez-vous si vous souhaitez introduire une plante au retour d’un voyage.

Plaidoyer pour la biodiversité

La présence d’une flore spontanée diversifiée dans le jardin apporte beaucoup plus d’avantages qu’elle ne fait courir de risques. Elle permet d’améliorer la diversité et la quantité des insectes et autres auxiliaires qui participent à la limitation des ravageurs. Les auxiliaires trouveront ainsi l’alimentation en pollen et nectar pour les adultes et les insectes hôtes qui leur permettront d’assurer leur développement. Les coc­cinelles et autres prédateurs passeront facilement des «  herbes folles  » aux légumes, fleurs et fruits.

1 Parthénogenèse : Reproduction sans qu’il y ait fécondation (union de cellules reproductrices mâles et femelles).