Le biocontrôle pour gérer ravageurs et maladies

Philippe Reignault

Le biocontrôle est-il à même de répondre dans les jardins aux attentes des jardiniers et des consommateurs ? En quoi est-il « bio » ou plus « naturel » que d’autres stratégies ? Est-il plus simple à mettre en œuvre ? Est-il sans risque ? Quelle est la place du biocontrôle dans la protection phytosanitaire ? Philippe Reignault nous présente l’intérêt de cette méthode de lutte contre les ravageurs et les maladies mais à utiliser avec discernement.

 

La coccinelle à sept points, Coccinella septempunctata
La coccinelle à sept points, Coccinella septempunctata, photographiée sur une véronique – © Gilles Carcassès

Le contraste est fort entre la polémique sur les produits phytosanitaires et un consensus malgré tout général sur le fait que leur application doit être raisonnée. Cette diminution passe par l’interdiction des produits les plus à risques et la limitation des doses et du nombre d’applications utilisés. Alors que la part de la société la plus sensible à leur impact sur la santé et l’environnement réclame leur limitation maximale, les professionnels de la lutte dite « conventionnelle » constatent parfois sur le terrain la perte d’efficacité de produits de synthèse existants, du fait de l’adaptation des populations de bioagresseurs.

Selon l’IBMA[1], le biocontrôle est un ensemble de méthodes de protection des végétaux qui reposent sur l’utilisation de mécanismes naturels visant la gestion des populations de ravageurs et des maladies. Elles peuvent être utilisées seules ou associées à d’autres stratégies. Le biocontrôle n’est pas exclusivement réservé à l’Agriculture Biologique, même si ces principes lui doivent bien sûr beaucoup.

Diversité d’outils et pluralité de stratégies

On distingue quatre catégories d’outils du biocontrôle :

1) Les invertébrés auxiliaires – insectes, acariens ou nématodes. Ils sont utilisés dans la lutte par conservation (protection de leur population et préservation de leurs biotopes[2]), lâchers inondatifs (à partir de leur élevage) permettant de maîtriser rapidement des populations d’organismes nuisibles, acclimatation d’auxiliaires (introduction dans l’environnement d’auxiliaires exotiques) ou lutte autocide (lâcher massif d’individus mâles préalablement stérilisés) ;

2) Des microorganismes – champignons, bactéries ou virus. Ils permettent de lutter contre les bioagresseurs. Ils sont soit parasites des plantes adventices ou des ravageurs soit hyperparasites[3] ;

3) Des médiateurs chimiques – phéromones d’insectes, kairomones[4]. Ces molécules synthétisées par des invertébrés dissuadent les femelles de pondre sur les plantes à protéger ou, au contraire, attirent les ravageurs dans des pièges. Les phéromones[5] peuvent également induire une confusion sexuelle (perturbation de la reproduction par diffusion d’analogues aux phéromones sexuelles femelles pour attirer les mâles).

4) Des substances naturelles – D’origine animale, végétale ou minérale, elles peuvent être utilisées comme répulsifs (préparations à base de plantes), comme biopesticides (en substitution à des pesticides de synthèse), comme stimulateurs de la vitalité[6] ou comme stimulateurs de défense des plantes (SDP)[7]

Au-delà de la diversité des produits, c’est d’une large pluralité de stratégies qu’il s’agit, qui réclament globalement a minima une bonne connaissance des organismes et des mécanismes impliqués, quand ce n’est pas l’appel à des modes de production ou d’élevage à haut niveau de technicité.

Quelques « success-stories » du biocontrôle

arve de syrphe est capable de détruire cinquante pucerons par jour
Cette larve de syrphe est capable de détruire cinquante pucerons par jour – © Gilles Carcassès

En France, 75 % des surfaces de tomates et de concombres sous abri sont protégées par des insectes auxiliaires, et 50 % des surfaces de vergers de pommiers et de poiriers par la confusion sexuelle. Dans le cas du pêcher, cette lutte développée depuis les années 2000 contre la tordeuse orientale est aujourd’hui très répandue.

La carpovirusine est un insecticide biologique mis au point à partir du virus de la granulose du carpocapse de la pomme. En Agriculture Biologique, elle est l’un des seuls moyens de lutte autorisé et efficace contre le carpocapse. En agriculture conventionnelle, on estime entre 12 et 15 % le taux d’adoption de la carpovirusine par les arboriculteurs. Selon l’INRA, la carpovirusine permet de diminuer de 8 à 10 % les quantités de pesticides appliqués.

La bactérie Bacillus thuringiensis, qui produit une protéine toxique vis-à-vis de certains insectes, est pulvérisée sur les plantes attaquées pour éliminer les jeunes larves. La souche Bt kurstaki SA-11 est autorisée au jardin sur de nombreuses espèces fruitières et quelques légumes verts.

Trichoderma harzianum est un champignon du sol qui empêche le développement de certains agents pathogènes telluriques.

Un SDP 7 constitué d’un extrait d’algue, la laminarine, est homologué depuis plus de dix ans. Il est utilisable sur fraisier, framboisier, tomate et pommier. Un autre, qui est une molécule de synthèse, le BTH[8], est lui homologué sur tomate, kiwi, banane et chrysanthème.

Les freins au développement du biocontrôle

Le biocontrôle ne peut être mis en œuvre que de façon préventive et, même dans ce cas, il ne peut être envisagé comme moyen de lutte efficace que pour des attaques légères à moyennes. La variété de ses modes d’action nécessite une compréhension précise des moyens disponibles et l’acquisition de nouvelles techniques, avec l’accompagnement qui s’impose de la part des instituts techniques ou des réseaux d’expérimentation.

Un autre aspect est lié à la législation qui les concerne. La plupart d’entre eux doivent subir les mêmes procédures que les pesticides conventionnels (de 3 à 5 ans, environ 1 million d’Euros). Leur matière active doit être approuvée au niveau européen et obtenir une AMM[9] dans l’Etat membre concerné. Cependant, leur évaluation est prise en charge avec un caractère prioritaire, afin de réduire les délais d’instruction des dossiers.

Les réseaux logistiques et de distribution adaptés pour stocker du matériel vivant ou issu du vivant sont encore rares. De même, les distributeurs doivent être formés au conseil aux coopératives et aux jardineries.

Enfin, le biocontrôle est aujourd’hui d’utilisation plus coûteuse. Il s’avère cependant intéressant pour les filières à forte valeur ajoutée et pour lesquelles l’argument santé auprès du consommateur est important (fruits, légumes, Agriculture Biologique).

Le biocontrôle : sans risque, vraiment ?

Pendant longtemps symbole de la lutte biologique, la coccinelle utilisée pour lutter contre les pucerons a défrayé la chronique dans sa version asiatique, Harmonia axyridis. Devenue invasive, elle se regroupe sur les murs des habitations ou à l’intérieur pour y passer l’hiver. Il existe, en plus, un risque de prédation sur les populations de coccinelles locales.

Le biocontrôle est donc susceptible de présenter des risques, notamment pour l’environnement, et ces produits sont réglementés[10]. A l’exception des macro-organismes, des substances de base et à faible risque, ce sont des produits qui relèvent de la réglementation communautaire et qui font l’objet d’une évaluation pour leur efficacité, leur sélectivité, leurs effets sur l’homme et sur les milieux. C’est l’Anses[11] qui est chargée de leur évaluation. Les macro-organismes auxiliaires, dont beaucoup sont des espèces exotiques sont autorisés sur la base d’une réglementation nationale et les autorisations d’introduction sont délivrées après analyse des risques et évaluation de l’efficacité et des bénéfices menées par l’Anses11.

Un marché en progression

Le marché du biocontrôle représente au niveau mondial 1,2 milliards d’Euros, soit au mieux 4 % de celui du total des produits phytosanitaires. Cependant, sa croissance annuelle est de 15% (contre 5,5% pour les pesticides conventionnels). En plus de la vigne, les filières les plus utilisatrices sont les cultures légumières et l’arboriculture.

Ses produits sont majoritairement issus des PME spécialisées dans un ou deux produits. Cependant, une importante concentration d’entreprises est en cours et l’investissement dans des programmes R&D dédiés se développe.

 

A lire…

Rapport sur le biocontrôle par l’Académie d’Agriculture

 

SaveBuxus : un programme pour sauver les buis

Dégâts provoqués la pyrale du buis
Dégâts provoqués la pyrale du buis – © Christophe Brua

 Ces dernières années, les plantations de buis font l’objet d’attaques de plusieurs bioagresseurs émergents, causant d’importants dégâts : la pyrale (Cydalima perspectalis) ne cesse sa progression sur le territoire et les maladies du dépérissement (Cylindrocladium buxicola, Volutella buxi) sont à l’origine de déclins massifs depuis la fin des années 2000. Les mesures de gestion disponibles étaient jusqu’alors insuffisantes pour permettre de lutter durablement contre ces organismes. Toutefois, certaines solutions alternatives au chimique encore peu étudiées constituent de réelles pistes pour lutter efficacement contre ces bioagresseurs.

Le programme SaveBuxus, coordonné par l’ASTREDHOR et Plante & Cité, en partenariat avec l’Unité expérimentale Entomologie et Forêt Méditerranéenne de l’Inra PACA (UEFM) et Koppert France, va explorer certaines d’entre elles pour permettre de construire une stratégie de gestion contre ces bioagresseurs.

Pour la pyrale, les axes travaillés sont le piégeage, les agents entomopathogènes et les parasitoïdes oophages. Pour la cylindrocladiose, les travaux s’intéressent à la lutte préventive, la lutte génétique ou encore les alternatives aux fongicides de synthèse.

De premiers résultats encourageant ont d’ores et déjà été obtenus sur pyrale : le Bacillus thuringiensis permet de contrôler les populations de chenilles, le piégeage de masse est à l’étude pour gérer les populations de papillons. Pour les maladies du dépérissement, un ‘Guide de bonnes pratiques en prévention contre le dépérissement du buis’ est disponible au téléchargement.

Maxime Guérin

 

[1] IBMA : Association internationale des producteurs de produits de biocontrôle
[2] Biotope : milieu défini par des caractéristiques physicochimiques stables et abritant une communauté d’êtres vivants
[3] Hyperparasite : se dit d’un parasite qui vit aux dépends d’un autre parasite
[4] Kairomone : substance chimique produite dans l’air, l’eau ou le sol par un être vivant, qui déclenche une réponse comportementale chez une autre espèce, et lui procurant un bénéfice
[5] Phéromone : substance chimique émise à dose infime et provoquant chez les individus qui l’entourent un comportement spécifique (par exemple une attirance sexuelle due aux odeurs)
[6] Les biostimulants visent à favoriser la croissance des plantes
[7] SDP : stimulateurs de défense des plantes, ils activent les mécanismes de défense naturels
[8] BTH : Benzothiadiazole
[9] AAM : autorisation de mise en marché
[10] Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt
[11] Anses : Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail

 

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