André Thouin (1747-1824), fils du jardinier du roi

Emmanuelle Royon

Fils de Jean-André Thouin[1] (….-1764), jardinier en chef du Jardin du roi et frère aîné de Gabriel Thouin[2] (1747-1829) paysagiste reconnu, André Thouin est un personnage réellement fascinant pour l’histoire de l’horticulture.

 

Ambroise Tardieu, Portrait d'André Thouin

Ambroise Tardieu, Portrait d'André Thouin

Nul doute que par son ascendance le jeune Thouin fût promis à une brillante carrière dans l’horticulture et la botanique. Comme le déclara M. le Bon G. Cuvier (1769-1832) lors de son éloge historique[3] « […] il vit le jour pour ainsi dire au milieu des arbustes étrangers. On le berça à l’ombre des palmiers et des bananiers ; il y fit ses premiers pas, et il connut les plantes de la Chine et de l’Amérique bien avant celle de l’Europe. Dès ses premières années ses petites mains s’exerçoient à les soigner, en même temps que sa mémoire se meubloit à leurs noms scientifiques. […] Il devint donc un savant botaniste par une voie toute particulière. Ce fut de la pratique qu’il remonta à la théorie. »  Par un fait du sort, il se vit confier la charge de son père en 1764 alors même qu’il n’avait que dix-sept ans. Cette nomination fut impulsée par Buffon qui avait été l’un des témoins privilégiés de ses progrès. Bien qu’étonné de cette décision, le roi Louis XV, encouragé par Bernard de Jussieu ou encore Richard (le jardinier de Trianon), donna son assentiment.

André Thouin permit l’agrandissement du Jardin des plantes souhaité par Buffon et fit de celui-ci « le plus riche jardin botanique du monde[4] ».
 

Plan du Jardin des plantes, extrait de Jean-Baptiste Pujoulx, Promenades au Jardin des plantes, (...), Paris, à la Librairie économique : (s.n.), 1803

Plan du Jardin des plantes, extrait de Jean-Baptiste Pujoulx, Promenades au Jardin des plantes, […], Paris, à la Librairie économique : [s.n.], 1803

 

 

[1] Nommé par Buffon, en 1745.

[2] Auteur des Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins dont la bibliothèque conserve l'exemplaire in-folio publié chez Madame Huzard en 1828, comportant une dédicace "A Monsieur André Thouin", de son "affectionné et respectueux frère, G. Thouin".

[3] Cuvier, Georges (1769-1832). Eloge historique de M. A. Thouin : lu dans la séance publique annuelle de l'Académie, du lundi 20 juin 1825 ([Reprod.]) par M. le bon. G. Cuvier,...., 1825. p. 206.

[4] Morat, Philippe. Antoine-Laurent de Jussieu et André Thouin. La lettre de l'Académie des sciences, 2011, n°28, p. 33-37.


Thouin, créateur avec Jussieu de l’école de botanique

Outre son parcours de jardinier – botaniste, il fut un éminent professeur « il form[a] les jardiniers que les Cours d’Europe se disput[aient], rassembl[a] une immense collection de bois, de graines et d’herbiers. Avant leur départ pour les expéditions lointaines, les botanistes explorateurs tels Dombey et plus tard La Pérouse puis d’Entrecasteaux recueilli[rent] ses instructions pour conserver les aliments frais sur les navires et ramener vivantes dans les caisses spécialement conçues à cet effet, les plantes et les graines qu’ils [avaient] pour mission de récolter[5] ». Il créa avec Antoine Laurent de Jussieu l’École de botanique. L’idée de créer une institution capable de former « une élite de cultivateurs[6] » avait germé très tôt dans son esprit. Dans une lettre adressée à Buffon en 1780, il écrit : « N’est-il pas singulier que l’accessoire (la Botanique) fasse la partie la plus considérable du tout (l’Agriculture) et cela ne peut-il pas prouver que cette science est encore fort éloignée de la perfection qu’on lui suppose[7] ».

Botaniste émérite, André Thouin fut aussi une personnalité influente sur la scène politique et intellectuelle. Il rédigea des articles pour l’Encyclopédie, fut membre de plus de soixante-dix sociétés savantes et fut en contact avec les plus grandes personnalités de son temps, au nombre desquelles nous pouvons citer Rousseau, Malesherbes, Jefferson, etc. Il rejoignit les idéaux de la Révolution dès 1788 pour s’en éloigner durant la Terreur. Cependant lorsque Lakanal, membre du Comité de l’Instruction publique, vint le prévenir de « la volonté de la Convention de supprimer le Jardin du Roi », vestige de la monarchie, il reprit avec l’aide de ce dernier, de Desfontaines et de Daubenton le projet de réorganisation dudit Jardin qu’ils avaient élaboré en 1788. Thouin avait alors proposé le nom de Muséum d’Histoire naturelle, nom que l’institution conserve encore de nos jours.

 

andré thouin, une signature maconnique ?

Signature d'André ThouinAndré Thouin semble être le seul de sa fratrie à avoir usé du tréma sur le U de son nom. Encore faut-il remarquer que cette forme n'apparaît que dans son paraphe et seulement à partir d'une certaine date.
Sans vouloir prouver l'improuvable, cette innovation ne coïncide-t-elle pas avec son initiation en loge, dont on sait qu'elle fut l'œuvre du comte d'Artois, futur Philippe-Égalité ?
Le tréma du U, placé à côté du point du I évoque assez bien la fameuse trilogie symbolique des frères maçons, dont on sait que la disposition aujourd'hui classique en triangle équilatéral fut à ses débuts beaucoup plus fantaisiste.

Daniel Lejeune

Intérieur des Grandes serres extrait de E. Lemaout, Le Jardin des plantes: description complète, historique et pittoresque du Muséum d’Histoire naturelle, [...], Paris : L. Curmer, 1842

Intérieur des Grandes serres extrait de E. Lemaout, Le Jardin des plantes: description complète, historique et pittoresque du Muséum d’Histoire naturelle, [...], Paris : L. Curmer, 1842

 

Une passion pour l'art et la culture

Thouin fut aussi à l’origine de la création de la bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle. Le 14 juin 1793, deux professeurs furent désignés par l’Assemblée pour « choisir dans les bibliothèques des maisons ecclésiastiques supprimées et d’autres bibliothèques nationales, les livres d’Anatomie, de Minéralogie, de Chimie, de Botanique, de Zoologie et des voyages [ayant un] rapport à l’Histoire naturelle pour enrichir la bibliothèque du Muséum[8] ».
Le 22 juin, la même assemblée décida que devait être proposé au Comité d’Instruction publique la création d’un poste de bibliothécaire. Ce fut chose faite et Toscan, ami proche de la famille Thouin, en devint le premier bibliothécaire.
Thouin, nommé commissaire de la République fût envoyé en Hollande, en Belgique et en Italie afin de ramener « les prises de guerre[9] ». Lors de la campagne d’Italie, Thouin démontra encore sa passion pour l’art et la culture. L’on retrouve beaucoup de descriptions de musées où le fameux botaniste découvrit les œuvres des grands maîtres italiens (Léonard de Vinci, Raphaël, Véronèse…) ; il visita aussi onze bibliothèques qui l’éblouirent au plus haut point, notamment la bibliothèque ambroisienne de Milan où il découvrit les carnets de Léonard de Vinci. Durant ce voyage, il fit « main basse[10] » sur un grand nombre d’ouvrages qui devait enrichir les collections de la République[11].

Après avoir refusé la campagne d’Égypte, André Thouin s’en retourna au Muséum où il finit sa vie comme professeur de Cultures. Son neveu, Oscar Leclerc-Thouin, publiera d’ailleurs son Cours de culture et de naturalisation des végétaux à titre posthume en 1827. Il s’éteignit au Jardin des Plantes de Paris le 27 octobre 1824, à l'endroit même qui l'avait vu naître.

 

 


[5] Ibid.

[6] Letouzey, Yvonne. Le jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin 1747-1824, Paris : Editions du Muséum, 1989, p.102

[7] Ibid, p.102

[8] Ibid, p.311

[9] Morat, Philippe. Antoine-Laurent de Jussieur et André Thouin. La lettre de l'Académie des sciences, 2011, n°28, p.33-37.

[10] Op. cit., p.491

[11] Durant les campagnes napoléoniennes, beaucoup d’œuvres d’art et d’ouvrages furent pillés puis pour la plupart restitués à leurs pays d’origine en 1815.

 

janvier-février 2014