Agriculture urbaine: quelques repères à l’usage des débutants

Noëlle Dorion

Concept des extrêmes, l’agriculture urbaine attise la curiosité, sentiment sûrement recherché, mais aussi le scepticisme. En effet, ces deux mots appartiennent à des univers différents. Le premier invite à la ruralité et à une certaine forme de nature, le second évoque des espaces totalement architecturés, maîtrisés.

Au-delà des apparences

La zone urbaine, c’est la ville (plus de 2 000 habitants). Du point de vue institutionnel, l’agriculture représente l’ensemble des activités développées par l’homme pour obtenir les produits animaux et végétaux qui lui sont utiles. Dans ce contexte, l’horticulture constitue la part de l’agriculture qui s’intéresse aux légumes, aux fruits et aux plantes d’ornement.

Mais, du point de vue étymologique et historique, l’agriculture se pratique dans les champs (du latin ager), sur de grandes surfaces. On y élève les animaux et on y cultive des végétaux dont la récolte (graines) se conserve facilement.

Potager sur un toit à Sainte-Hyacynthe (Québec)
Potager sur un toit à Sainte-Hyacynthe (Québec) – © Noëlle Dorion

En revanche, les productions horticoles sont historiquement celles du jardin (hortus). Sur de petites surfaces proches des habitations, on cultive des végétaux dont la récolte, difficile à conserver, est consommée en frais (salades, fruits). La proximité de la basse-cour assure une fertilisation facile. Il faut aussi noter qu’au XIXe siècle et au début du XXe siècle, les productions horticoles étaient classées avec la vigne dans les « cultures spéciales », celles réalisées par des spécialistes1, preuve que de tout temps, l’horticulture a mis en oeuvre des techniques sophistiquées pour la maîtrise du développement des plantes (abris, serres, chambres de culture…).

L’agriculture urbaine propose d’intégrer des activités agricoles en milieu urbain (intra-urbain ou très proche). Les productions ciblées sont comestibles (légumes et fruits)2, il s’agit donc d’horticulture. Les lieux et les modalités de culture sont des jardins (individuels ou collectifs) ou des espaces plus sophistiqués (les toits, hors-sol et/ou sous serre dans des dispositifs plus ou moins automatisés) mais toujours des petites surfaces. Il s’agit donc, là encore, d’horticulture.

1 Philipponneau Michel. 1956. La Vie rurale de la banlieue parisienne (thèse de géographie). Centre d’études économiques (études et mémoires), librairie Armand Colin 584 p.

2 Voir encadré ci-dessous.

Un débat de mots

Alors pourquoi ne pas nommer ce concept « horticulture urbaine » ? Quelques-uns s’y sont essayés, tels Philippe Tixier et Hubert De Bon en 20063, ou Norman Looney en 20144.

Pour justifier le mot agriculture, certains donnent l’argument qu’il y a des animaux (poules, poissons) voire quelques moutons ! Plus probablement, ceux qui sont à l’origine du concept, les géographes, les sociologues, les aménageurs, n’ont-ils pas voulu s’intégrer dans une horticulture urbaine (urban horticulture) déjà existante et relevant plus du cadre de vie, de l’horticulture ornementale et du paysage5. Ce faisant, ils ont établi un concept qui présente l’avantage de frapper durablement les esprits mais l’inconvénient d’amputer l’horticulture de sa branche nourricière.

Il faut encore attirer l’attention sur le vocabulaire utilisé. Résultat d’une traduction mot à mot de l’anglais, il s’avère parfois déroutant. Ainsi, on trouve « paysage comestible » (edible landscape) pour exprimer la prise en compte de l’horticulture vivrière dans l’aménagement. On rencontre aussi « forêt comestible » pour dire verger et enfin, on traduit « farm » par ferme au lieu d’exploitation (horticole ou maraîchère).

Après cette tentative de mise au point sémantique, chacun pourra valablement examiner le concept par la lorgnette qui lui conviendra, agricole ou horticole.

3 Tixier Philippe, De Bon Hubert. 2006. Urban Horticulture In : Cities Farming for the Future : Urban Agriculture for Green and Productive Cities. Van Veenhuizen René (ed.). Ottawa : IDRC, n.p. ISBN 1-55250-216-3

4 Looney Norman. The Place for Urban and Peri-Urban Horticulture in Nurturing and Nourishing the Urban Poor: Researchable Issues for Horticultural Science 2014. Proc. IS on Urban and Peri-Urban Horticulture in the Century of Cities: Lessons, Challenges, Opportunities Eds.: R. Nono-Womdim et al. Acta Hort. 1021, 21-25.

5 Il existe à l’Université de Guelph (Canada) deux enseignements distincts, l’un en horticulture urbaine et l’autre en agriculture urbaine, orienté sur les productions comestibles.

L’AGRICULTURE URBAINE DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT

La FAO prévoit qu’en 2030 plus de la moitié (60 %) de la population mondiale sera urbaine. Les citadins des pays en développement (environ 4 milliards) seront quatre fois plus nombreux que ceux des pays développés et trois fois plus nombreux qu’en 1990. Cette croissance urbaine est en partie due aux migrations des populations rurales à la recherche d’un emploi et d’une vie meilleure. Mais en réalité, c’est le chômage et l’insécurité alimentaire qui attendent les nouveaux arrivés. Il est donc essentiel de trouver des alternatives pour nourrir ces populations pauvres et sans revenu.

L’agriculture urbaine dans ces pays apparaît comme une stratégie d’adaptation des paysans arrivant en ville. Ce type d’agriculture consiste à cultiver aussi bien à l’intérieur de la ville qu’à sa périphérie, dans tous les interstices disponibles. Les risques pour la santé humaine et l’environnement sont énormes mais les chercheurs et les gouvernements s’appliquent à les limiter pour vaincre la malnutrition.

L’agriculture urbaine comprend la production, la transformation et la distribution de cultures fruitières, légumières, de volailles, de poissons, d’autres animaux domestiques (producteurs de lait) et même de céréales (riz). Dans ce cas, le vocable d’agriculture urbaine est complètement justifié, ce qui n’est pas toujours le cas de l’agriculture urbaine des pays développés.

Noëlle Dorion