Adolphe Alphand et la construction du paysage de Paris de Chiara Santini

Polytechnicien et ingénieur du corps des Ponts-et-Chaussées, Adolphe Alphand fit partie des relations bordelaises de Georges Haussmann, qui le convia à ses côtés lorsque, appelé de la Gironde pour devenir préfet de la Seine, il bâtit une administration de combat pour transformer la capitale selon les voeux de l’Empereur.

 

Alphand à Paris

Le premier chantier important fut celui de l’aménagement du bois de Boulogne, débuté en 1863 par le paysagiste Varé et l’architecte Hittorff, tous deux choisis par l’Empereur, mais dont le dynamisme et la docilité ne correspondaient pas aux souhaits du nouveau préfet.

Ingénieur-jardinier, Alphand dirigea avec brio et autorité le tout nouveau service des Promenades et Plantations érigé à parité avec le service du Paris aérien, c’est-à-dire de la voirie, d’une part, et celui du Paris souterrain, c’est-à-dire celui des adductions d’eau et des égouts, d’autre part.

C’était l’urbanisme vert qui prenait possession de la capitale.

 

 

L’aménagement des bois parisiens

En décembre 2017, dans le n° 648 de la revue Jardins de France , nous avions eu l’occasion de nous intéresser à différents acteurs de cette direction. L’aménagement du bois de Vincennes fit rapidement pendant au bois de Boulogne, mais en une déclinaison plus populaire. De même, le nouveau parc Monceau, reste d’un luxueux lotissement de l’ancienne folie de Chartres par les banquiers Pereire, fut suivi de la transformation des anciennes carrières à plâtre des Buttes-Chaumont en un parc féérique, de la réalisation systématique de squares de quartiers et du rapide développement de voies plantées. Forte personnalité autant que travailleur infatigable, Alphand cultiva tout autant le faire-savoir que le savoir-faire. Édouard André avait déjà vanté les remarquables performances de l’administration des Promenades dans Le Moniteur Universel. Alphand frappa beaucoup plus fort lorsqu’il fit publier par l’éditeur Jules Rothschild ce qu’il faut bien appeler un monument écrit : les fabuleuses Promenades de Paris, ouvrage de promotion de ses oeuvres – deux volumes in-folio pesant chacun quinze kilogrammes ! – qu’il pilota et signa seul omettant au passage de citer certains collaborateurs ! Lancées en souscription dès 1867, les dernières livraisons ne furent disponibles qu’après 1870.

Une carrière de grandes responsabilités

Lorsqu’éclata le conflit franco-prussien et que Paris dut conforter ses fortifications en prévision du siège, c’est le colonel Alphand qui s’en vit confier la responsabilité, épaulé par nombre de ses collaborateurs de la Ville de Paris. Conscient de ses qualités techniques et administratives, le gouvernement de Thiers lui proposa très vite de jouer le rôle qui avait été celui d’Haussmann sous l’Empire, mais il refusa pour n’accepter « que » la fonction de directeur des travaux. Très vite, Alphand, à la tête de Directions regroupées depuis la disparition de Belgrand, est le quasi-ministre de Paris et dirige une petite armée forte d’un millier d’agents. La conduite de l’Exposition universelle du redressement national en 1878 et surtout de celle du centenaire de la Révolution, en 1889, lui sont confiées. La tour Eiffel est sans doute le clou de la seconde, mais Alphand en est la cheville ouvrière. Lorsqu’il disparaît en 1891, d’épuisement à la tâche, dit-on, couvert d’honneurs, membre de l’Académie des Beaux-Arts, ses funérailles sont nationales, comparables à celles de Gambetta !

Un travail qui rend hommage à une place inoubliable

Tout ceci est globalement connu, car la transformation de Paris, le percement de ses voies, la réalisation de ses parcs, l’innovation et la générosité de ses décorations ont fait l’objet de nombreux articles et ouvrages, mais le travail de Chiara Santini vient sérieusement préciser le contexte dans lequel Alphand a exercé ses compétences, analyser les réseaux qui lui ont permis de satisfaire ses ambitions et de se réaliser. Ses recherches méthodiques et immenses lui ont permis de faire parler les témoins disparus avec exhaustivité et sans complaisance, soulignons-le, pour les grandes qualités et les petits défauts de celui qui fut un immense manager. Inspecteur général des Ponts-et-Chaussées, Grand’Croix de la Légion d’Honneur, il aima tant la lumière de sa gloire qu’il supporta peu l’ombre de son entourage, fût-ce celle de ses collaborateurs.

Nous engageons vivement nos lecteurs à s’approprier cet ouvrage édité par Hermann. La toute-puissance de l’administration française en ce XIXe siècle et la naissance de notre capitale actuelle y vivent sous notre regard.

 

Daniel Lejeune
Ancien chef de projet de la bibliothèque de la SNHF

Éditions Hermann
350 pages 26 x 21 cm, 32 euros