Abricots, frais ou transformés, une histoire partagée !

Jean-Marc Audergon

L’abricot présente une diversité génétique © J.-M. Audergon

La production mondiale d’abricot s’élève à un peu plus de 3,5 millions de tonnes. Elle se localise dans l’ensemble des zones tempérées où ses surfaces sont en expansion. Originaire d’Asie Centrale, l’espèce s’est progressivement déployée vers l’est (Chine et Japon) et l’ouest (Zone méditerranéenne et Amériques) empruntant à l’origine la route de la soie qui a largement contribué à sa dissémination et à sa diversification.

En Europe de l’Ouest et aux USA, l’abricot est principalement un produit valorisé sous forme de fruit frais. Les attentes concernent des fruits de calibre 2A à 3A (65 à 70 grammes), fermes, colorés et présentant une surimpression rouge marquée, voire couverts d’une surimpression rouge enveloppant toute la surface du fruit, pour les nouveaux abricots rouges. Or, les fruits de calibre 2A à 3A sont trop gros pour une transformation noble sous forme d’oreillons, et la surimpression rouge qui est un gage d’attrait du fruit frais induit des brunissements épidermiques et sous-épidermiques préjudiciables à l’attractivité des produits après cuisson.

Éviction progressive des variétés traditionnelles

Cette évolution du marché du fruit frais induit un éloignement de plus en plus grand entre les attentes du marché du fruit frais et celui des industriels. Elle conduit à l’éviction progressive des variétés traditionnelles utilisées à double fins notamment dans le bassin méditerranéen. Ces variétés traditionnelles étaient caractérisées par des fruits de calibre moyen A-2A (45 à 55 grammes), orangés, sans surimpression

  • qui alimentaient le marché des fruits frais et participaient à la production d’oreillons appertisés dans le cas de variétés comme ‘Canino’ au Maroc, ‘Bulida’ en Espagne, ‘Bebeco’ en Grèce ou ‘Orangé de Provence’ (Polonais) en France,
  • ou alimentaient le marché des fruits frais et celui de la confiture dans le cas de variétés comme ‘Rouge du Roussillon’ ou des variétés dérivées regroupée dans l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) ‘Rouge du Roussillon’ en France ou ‘Luizet’ en Suisse.

Transformations nobles : des critères précis

Les caractéristiques principales des variétés adaptées à ces transformations nobles reposent :

  • pour les produits oreillonnés, sur la taille des fruits (calibre A), leur aptitude à se dénoyauter, leur régularité, leur coloration orangée uniforme et lumineuse après transformation, leur texture homogène et leur fermeté aliée à l’absence de fibrosité,
  • pour les produits destinés aux aliments pour bébé (babyfood), sur le respect de cahiers des charges intégrant notamment une très grande vigilance autour de la minimisation des résidus de pesticides, ce qui aboutit aujourd’hui à la mise en place de vergers dédiés aux cahiers de charges de production complètement traçables, inscrits dans une logique de production sous très faibles niveaux d’intrants phytosanitaires,
  • pour les produits destinés à une seconde transformation (produits lactés, patisseries, compotes, mélanges cockails,…), sur leur aptitude à subir un double traitement thermique.

En marge de ces produits nobles, des produits dérivés du marché de fruits frais (fruits sur-mûrs, fruits avec des défauts) sont largement développés chez l’abricotier. Ils ne font pas l’objet d’une sélection appropriée mais ils permettent une co-valorisation des écarts du marché du fruit frais qui est particulièrement recherchée aujourd’hui dans l’équilibre économique des exploitations. Parmi ces co-produits on citera préférentiellement les nectars, et les confitures, avec pour ces dernières une attention particulière aux problématiques de brunissement et de qualité aromatiques.

Alcool et condiments

En Europe de l’Est, si l’abricot est un produit valorisé sous forme de fruit frais, son usage ne saurait être découplé d’une tradition lourdement ancrée de production d’alcool (schnaps) et de produits dérivés après cuissons. Ceci tient tout particulièrement à la période de production très limitée dans le temps, d’un produit fragile qui pour être valorisé doit être stabilisé et à une tradition de consommation d’alcools forts.

Dans les pays du Maghreb, outre les vergers intensifs dédiés à une production de fruits frais et transformés pour l’industrie de l’appertisation, les oasis recèlent des arbres majestueux (plus de 20 mètres de hauteur) qui participent à l’ombrage des cultures vivrières qu’elles protègent et dont les fruits souvent récoltés au sol sont incorporés dans l’alimentation traditionnelle sous forme de condiments (couscous, tajine…).

Gros calibre pour séchage

Dans la zone Irano-Caucasienne (Turquie et Iran), l’abricot est principalement cultivé sur des hauts plateaux secs, très éloignés des centres de consommation. La production de fruits destinés au marché du fruit frais reste alors marginale et locale, et les variétés ont été sélectionnées pour leur aptitude au séchage avec des variétés comme ‘Hacihaliloglu’, ‘Tokaloglu’, ou ‘Karakabey’. Les principales caractéristiques recherchées dans un fruit destiné au séchage sont un fruit de gros calibre, à noyau libre, dépourvu de surimpression rouge, dont la teneur en sucre est très élevée (supérieure à 20°brix), et si possible peu sensible aux brunissements afin d’éviter l’usage massif de SO2 tel que pratiqué actuellement. Toutefois, sous l’influence de travaux initiés aux Etats-Unis, deux innovations technologiques sont en train d’émerger et de changer le regard sur ce produit pour le rapprocher du pruneau : l’osmose inverse qui permet d’incorporer du sucre dans des fruits dont les teneurs ne sont pas suffisamment élevées donnant la possibilité de valoriser des fruits jusqu’alors destinés au marché du fruit frais, et l’émergence de fruits rehydratés qui change l’image du produit pour le rapprocher du pruneau tout en ajoutant souvent des arômes de vanille pour relever les notes aromatiques d’un produit santé.

Des fleurs et des fruits

On recense un grand nombre de variétés d’abricotiers  - © Audergon Jean-Marc
On recense un grand nombre de variétés d’abricotiers  – © Audergon Jean-Marc

En Asie centrale, comme au nord de l’Inde et au Pakistan, le fruit de dessert est aussi une source d’énergie majeure, où la chair des fruits comme les amandes font partie du régime alimentaire traditionnel. Plus vers l’Est, en Chine, au Japon et en Taillande, la diversité des usages est maintenue, et elle s’enrichit d’un usage majeur en zone méridionale avec le développement d’une sous-espèce Prunus mume destinée à la production de fleurs et dont la production de fruits devient un co-produit.

A travers cette lecture de l’abricot dans le temps et dans l’espace, l’abricot présente donc une diversité d’usages qui a accompagné l’évolution génétique, la domestication, la sélection variétale et donc la diversification de l’espèce au cours du temps.

Des fruits oreillonnés

Chez les Prunus, les fruits alimentés par le pédoncule possèdent deux faces qui enserrent le noyau. Ces deux faces confèrent au fruit une symétrie bilatérale, le long d’une zone de soudure : la suture. Cette suture est plus ou moins prononcée selon les espèces. Lors de transformations industrielles, les fruits sont sectionnés suivant la suture pour libérer les deux hémisphères on parle alors de fruits oreillonnés.

 

 

Abricots : des oreillons fragiles à conserver

Les oreillons appertisés sont un des débouchés de l’abricot transformé - © J.-F. Coffin
Les oreillons appertisés sont un des débouchés de l’abricot transformé – © J.-F. Coffin

 

L’abricot découpé selon la ligne de suture devient oreillons. Mais l’abricot est un produit fragile, la récolte est manuelle même pour la transformation, le chauffage doit être adapté sous peine de désintégration marquée et les variétés spécialement adaptées pour la transformation. Les oreillons appertisés (fruits au naturel ou en sirop) sont un des débouchés de l’abricot transformé, qui s’applique avec peu de modifications, portant surtout sur la découpe et l’épluchage, aux autres fruits.

Les conserves de fruits appertisées sont composées de fruits ou morceaux de fruits placés dans un liquide de couverture, constitué d’eau éventuellement acidifiée et d’un sirop de sucre (fruits au sirop) ou de jus de fruits (fruits au jus). La teneur en sucre du sirop dans le produit fini varie de 14 à 20%.

Plusieurs étapes de préparation

Les principales étapes de la préparation d’abricots appertisés sont représentées sur le schéma  suivant :

Schéma de principe de la préparation d’abricots appertisés.
Schéma de principe de la préparation d’abricots appertisés.

 

Les fruits sont pelés, soit mécaniquement, soit par la vapeur, soit par des  solutions alcalines, soit avec ajout d’enzyme avant d’être découpés, par exemple selon leur suture pour les abricots. Au stade de l’emboîtage, il faut avoir contrôlé le degré brix moyen des fruits pour pouvoir ajuster la force du sirop en fonction du degré brix final souhaité*. Les abricots contenant une forte proportion d’air, il faut les dégazer avant fermeture des boites. Un jutage sous vide ou sous vapeur est donc recommandé. Les boîtes contenant les oreillons sont soumises à un vide de 500 à 600 mbar, le sirop (bouillant) est introduit aussi dans ces conditions de vide, puis les boîtes sont fermées. Si l’équipement disponible ne permet pas ce jutage, il faut préchauffer l’ensemble à 75°C au moins pour assurer l’élimination de l’air, avec un risque d’altération plus élevé. En ce qui concerne l’appertisation proprement dite, les barèmes doivent permettre d’atteindre 85°C à cœur, suffisant pour ces produits acides (pH < 4,5). Par exemple l’Institut Appert préconise une durée de chauffage de 20 à 25 min à 100°C pour des bocaux verre de 75 cl ou des boites 1/1. Ceci est suivi d’un refroidissement partiel dans un bain d’eau, puis à l’air.

A lire :

– Albagnac G., Varoquaux P. & Montigaud .-C. (eds) : Technologies de transformation des fruits, Tec&Doc Lavoisier, Paris, 2002, 498 p.

– Renard C.M.G.C. Utilisations agro-alimentaires, dans : Monographie Abricot Eds : Lichou J. & Jay M., 2012,  pp 510-515, CTIFL : Paris

 

* Le degré Brix mesure la fraction de saccharose dans un liquide, c’est-à-dire le pourcentage de matière sèche soluble. Plus le °Brix est élevé, plus l’échantillon est sucré. Le réfractomètre est utilisé pour la mesure.

Catherine Renard et Noëlle Dorion

 

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