À Versailles, Louis XIV voulait toujours plus d’eau

Roland-Marie Marceron

Déjà au XVIIe siècle, il y avait des problèmes d’eau ! Notre grand Louis XIV voulait de l’eau, toujours plus d’eau pour ses jardins de Versailles, construits par André Le Nôtre et toute son équipe pour satisfaire la politique du regard et de la démesure voulue par le Roi Soleil. Il faut « contenter les fontaines » et pour cela une aventure extraordinaire va donner l’occasion aux hydrauliciens et à tous ceux qui sont passionnés par l’eau de montrer leur savoir-faire.


Les fontaines de Versailles nécessitent des débits d’eau gigantesques - © GGE

Les fontaines de Versailles nécessitent des débits d’eau gigantesques - © GGE 


Une aventure unique pour un projet gigantesque va durer cinquante ans. Elle commence par l’invention d’une pompe énorme imaginée par Denis Jolly, qui va élever les eaux de l’étang de Clagny, dès 1664, dans une haute tour dessinée par Le Vau qui tiendra le rôle de château d’eau. Mais le débit ne suffit pas pour alimenter les fontaines conçues par la famille italienne des Francini. On construit des moulins à godets, on détourne la Bièvre, mais tous ces travaux ne suffisent toujours pas à alimenter les fontaines royales. Alors Paul de Riquet, qui vient de commencer le canal du Midi, propose de détourner la Loire depuis Briare. Un curé savant, astronome à ses heures, l’abbé Picard annonce qu’il faudrait pour cela au moins détourner la Loire depuis La Charité ! Ces révélations techniques et hydrauliques découragent tout le monde et le projet est abandonné.



Un monstre pour satisfaire les désirs du Roi 

On pense alors à la Seine qui coule à Bougival, mais elle est à plus de 160 m au dessous de Versailles. Louis XIV lance un appel à tous les hydrauliciens de France et de Navarre et, en 1680, un baron belge Arnold de Ville se fait connaître. Il a déjà travaillé dans son pays sur des projets d’adduction d’eau. Il a un ami, Rennequin Sualem, charpentier mais aussi mécanicien de son état et celui-ci va imaginer une machine infernale, en bois, qui sera chargée de monter l’eau par la colline de Marly. Il s’agit d’un monstre : 14 grandes roues dentées de 12 mètres de diamètre chacune entraînées par la Seine,  actionnent trois séries de mécanismes qui entraînent 64 pompes  puisant l’eau de la Seine et la remontent dans un premier réservoir à mi-pente à 45m au dessus du fleuve. Puis tout un système de bielles, de tringles, d’autres pompes permet de remonter l’eau au niveau de l’aqueduc de Marly construit spécialement pour la jusqu’au Parc de Versailles. Au total, ce sont 257 pompes qui sont construites pour remonter l’eau de 163 m depuis le bord de la Seine jusqu’à l’aqueduc ! Le chantier aura duré quatre ans.


La machine de Marly - © marlymachine.org

 La machine de Marly - © marlymachine.org


Un bruit d’enfer

Une prouesse technique qui fonctionne dans un bruit d’enfer et qui attire toute l’aristocratie européenne qui vient s’extasier devant cette machine infernale. Et qui aura occupé 1800 ouvriers et consommé 100 000 tonnes de bois ! Chaque jour 2000 m3 d’eau sont ainsi acheminés vers le réservoir de Montbauron. Mais cela ne va pas durer longtemps ! Nous sommes en 1684 et Louis XIV a jeté son dévolu sur Marly où il se fait construire un superbe château…qui a autant besoin d’eau que celui de Versailles ! Et finalement, les eaux de la Seine serviront plus aux fontaines de Marly qu’à celles de Versailles ! Au fil des ans, la machine de Marly subira diverses transformations : les roues à aube seront abandonnées pour une machine à vapeur et le tout sera finalement démoli définitivement en  1967.


Les aqueducs de Mansart

Une fois les eaux montées à l’aide de la fameuse machine, il fallait les acheminer jusqu’à Versailles. On fait appel à Jules Hardouin Mansart, l’architecte de la galerie des glaces, des grandes écuries, de la seconde orangerie, du bosquet de la Colonnade… et petit neveu de l’architecte François Mansart. On lui confie la construction d’un aqueduc, celui dit de Louveciennes ou de Marly, qui existe encore de nos jours. Long de 640 m, l’aqueduc occupera les ouvriers de 1681 à 1686, c'est-à-dire en même temps que les travaux de construction de la machine de Marly. Mais il faut encore de l’eau et pour récupérer celles du plateau de Saclay, le Roi demande à Jules Hardouin Mansart de construire un aqueduc, celui de Buc, qui conduira l’eau par gravité jusqu’à Versailles. Louvois se met au travail avec ses soldats du régiment de Normandie et en 1686, l’ouvrage est terminé. D’une longueur de 580 m et haut de 45 m, cet ouvrage est encore en bon état.


Statue Latone au parc de Versailles - © J.-F. Coffin

Statue Latone au parc de Versailles - © J.-F. Coffin

Pour fêter Le Nôtre, Latone se refait une beauté

Les grenouilles placées à ses pieds n’en croyaient pas leurs yeux globuleux : une grue enlevait Latone, statue du bassin du même nom, l’une des plus importantes fontaines du parc de Versailles. En ce 9 mars 2013, était lancée la réfection de ce bassin, devenue indispensable. « Cette restauration du chef d’œuvre des jardins qu’il a conçus est le plus bel hommage que nous pouvions rendre à André Le Nôtre, à l’occasion du 400e anniversaire de sa naissance », a souligné Catherine Pégard, présidente de l’Etablissement public du château de Versailles. C’est un épisode des Métamorphoses d’Ovide qui a inspiré le bassin de Latone. « Mère d’Apollon et de Diane et maîtresse de Jupiter, Latone a été condamnée à une fuite sans répit par sa rivale Junon. Un jour, arrivée au sud de l’actuelle Turquie, elle s’approche d’un étang pour s’y désaltérer. Des paysans du lieu l’en empêchent et, furieuse, elle leur lance une malédiction qui les métamorphose en grenouilles». Malgré des interprétations diverses sur le symbole que représente ce monument, « le bassin de Latone chante la gloire conjointe de Louis XIV et de son emblème le soleil incarné dans la figure d’Apollon ». Les travaux de restauration doivent durer une année grâce à l’art de nombreux artisans et ingénieurs et au mécénat de la fondation Philanthropia. Jean-François Coffin Tous les détails sur Latone et sa restauration : www.latone.chateauversailles.fr


les paysans transformés en grenouilles assistent, impuissants, à l’enlèvement de Latone - © J.-F. Coffin

Latone devrait retrouver toute sa splendeur au printemps 2014 - ©J.-C. NDiaye

1: Les paysans transformés en grenouilles assistent, impuissants, à l’enlèvement de Latone - © J.-F. Coffin
2: Latone devrait retrouver toute sa splendeur au printemps 2014 - © J.-C. NDiaye


L’aqueduc de Maintenon, un travail jamais terminé - © Laifen

L’aqueduc de Maintenon, un travail jamais terminé - © Laifen

Vauban et ses 22 000 soldats

Versailles réclame toujours plus d’eau et pour contenter les fontaines, bassins, mais surtout son Roi, Louvois propose de capter les eaux de l’Eure. Car pour faire fonctionner toutes les fontaines, jets d’eau et bassins du Parc, il fallait près de 12 000 m3 d’eau par jour !  Dès 1685, Il convoque alors Vauban qui creuse une tranchée de 39 km de longueur, le canal de l’Eure, qui atteint la ville de Maintenon. Là, il faut franchir la vallée et… 22 000 soldats se lancent dans une construction gigantesque pour l’époque : un aqueduc de cinq kilomètres de longueur et 50 m de hauteur ! Madame de Sévigné écrit son indignation devant ces travaux qui coûtent la vie à 6 000 hommes en raison des fièvres paludéennes qui sévissent encore en France à cette époque. Le travail ne sera jamais terminé car les troupes doivent rejoindre leurs bases pour défendre les frontières. Les eaux de l’Eure n’atteindront jamais Versailles et les restes de cet aqueduc sont encore très visibles à Maintenon. Ce que l’on voit  n’est que le premier des trois étages qui devaient initialement être construits.

 

Des progrès dans le domaine de l’hydraulique

Depuis les premières installations hydrauliques en 1639 réalisées par Claude Denis pour alimenter le petit pavillon de chasse de Louis XIII, jusqu’aux fantastiques aménagements imaginés par toute une série d’hommes, véritables ingénieurs hydrauliciens avant l’heure, les grandes folies de Louis XVI ont permis de faire des progrès immenses dans le domaine de l’hydraulique. Lorsque l’on pense à toutes les évolutions et perfectionnements réalisés par les architectes du Roi dans le domaine de l’amenée de l’eau ou dans celui des ajutages avec les travaux de la famille Francine, on reste émerveillé par tant d’ingéniosité. Le Parc de Versailles, véritable champ d’essai en vraie grandeur a du faire, à l’époque, le bonheur des  ingénieurs et techniciens des eaux ! Ils maîtrisaient parfaitement les questions de débit, de pression, ou d’ajutages. De nos jours, 90 % des 35 km de canalisations sont d’origine, alimentant 32 bassins qui animent plus de 1000 jets ! Les Grandes Eaux consomment  12 000 m3 pour un spectacle digne du plus grand Roi de son époque !

Voir également l’article du dossier : "Le canal de l'Eure : Ultime tentative d'alimentation des fontaines de Versailles"