Les épices au jardin botanique

Thierry Aleberteau

Pieds de cardamome au jardin botanique de La Gacilly - © M. Cambornac
Pieds de cardamome au jardin botanique de La Gacilly – © M. Cambornac

Lorsqu’on évoque les Épices, on aborde l’histoire des grandes explorations maritimes des XVème, XVIème et XVIIème siècles et c’est le rôle prépondérant des végétaux dans l’histoire des hommes qui est mis en relief, leur part de magie et de mystères…

L’imagination des hommes habillera les épices pendant longtemps d’une aura mystérieuse. Aujourd’hui, on en sait évidemment un petit peu plus !

Mais entre Orient et Occident, entre aromate et condiment, les épices semblent rester en marge, refuser tout classement à travers l’histoire, leurs usages et les civilisations.

Les épices sont-elles des aromates ou plutôt des condiments ? On pourrait définir l’épice comme un condiment aromatique d’origine tropicale, notamment du sud-est asiatique, agissant la plupart du temps sur nos sens de l’odorat et du goût. Cette considération « exotique » est déterminante dans l’approche des particularités géo-climatiques qui vont déterminer les modes de culture à appliquer à ces plantes en zones tempérées.

Sans être forcément exhaustif, si l’on fait un rapide tour d’horizon des espèces botaniques majeures qui composent ce groupe, on s’aperçoit que des regroupements selon des types biologiques sont possibles.

Les arbres

A l’exception de la Badiane (Illicium verum Hook. F), la plupart des espèces appartiennent à des familles caractérisées par leur fort potentiel aromatique : Myrtacées, Lauracées, Myristicacées.

Il s’agit de petits arbres à feuilles persistantes n’excédant pas 10 à 15m de haut. Tous sont originaires d’Asie à l’exception du Quatre-Épices (Pimenta dioica (L.) Merr.) qui croît en Amérique centrale et aux Caraïbes.

Du fait de leur origine, il s’agit d’espèces assez frileuses supportant peu nos hivers en extérieur.

Le Cannellier (Cinnamomum verum J. Presl) semble être le plus sensible et il est en général présenté en serre dans les collections botaniques.

Le Giroflier (Syzygium aromaticum (L.) Merr. & L.M. Perry), le Muscadier (Myristica fragrans Houtt.) et le Quatre-Épices, sont cultivés en pots, mais peuvent très bien être sortis à la belle saison.

Au sud, notamment sur la Côte d’Azur, la Badiane ou Anis étoilé peut supporter nos hivers et être plantée en pleine terre en condition très abritée.

La multiplication de ces espèces s’effectue plutôt par semis. Les jeunes plants nécessitent un ombrage de départ qui s’apparente à celui présent sous les tropiques où les jeunes plants prospèrent d’abord à l’ombre d’autres espèces (Bananiers, etc.).

La multiplication et la culture de ces plantes nécessitent des infrastructures adaptées (serre). Elles supportent mal l’atmosphère confinée de nos intérieurs.

Les lianes à feuillage persistant

Le Poivre (Piper nigrum L. (Poivre noir) – Piper longum L. (Poivre long)) et la Vanille (Vanilla fragrans (Salisb.) Ames[1] sont les plantes grimpantes exotiques les plus connues au monde. A l’instar de leurs consœurs ligneuses évoquées précédemment, ces deux lianes sont d’une extrême frilosité !

La Vanille, craint l’excès de luminosité et supporte mal la culture en pot et les manipulations.

Le Poivrier est un peu plus résistant à nos intempéries et peut passer la belle saison à l’extérieur en bac ou être planté dans un massif, mais il ne faut pas s’attendre à avoir des sujets resplendissants.

Les plus beaux sujets s’observent en serre lorsqu’ils sont plantés en pleine terre. Le Vanillier exige des températures élevées et une atmosphère relativement humide. Le Poivrier est plus facile à cultiver dans des atmosphères un peu plus fraîches (15°).

Les deux espèces se bouturent assez facilement.

Herbacées vivaces à repos végétatif hivernal (feuillage non persistant l’hiver)

Le Gingembre (Zingiber officinale Roscoe) est l’espèce la plus connue de cette catégorie, même si le Curcuma ou Safran des Indes (Curcuma domestica Valeton = Curcuma longa L) est également une espèce importante. Moins connu, le Faux-Galanga (Kaempferia galanga L) est surtout utilisée en Chine et en Inde.

Même si ces espèces nécessitent des atmosphères chaudes et humides, elles s’acclimatent volontiers de conditions plus fraîches.

Cultivées en pot, il est possible de les sortir à la belle saison. Ces espèces supportent davantage de luminosité directe que le Poivre, la Vanille ou la Cardamome. L’hiver est une période délicate car ces plantes entrent en repos végétatif, observable au jaunissement des feuilles qu’il faut laisser arriver à son terme.

L’arrosage à cette période est une opération cruciale : trop d’eau et les tubercules pourrissent ; pas assez, ils se dessèchent et ne repartent pas au printemps. La multiplication est la division des tubercules. Ceux achetés dans le commerce peuvent très bien repartir.

Herbacées vivaces sans repos végétatif (feuillage persistant en hiver)

La Cardamome (Elettaria cardamomum (L.) Maton) est la plus réputée. Le Vrai Galanga (Alpinia officinarum Hance) est moins connu en Europe mais largement répandu en Asie. Ce sont des espèces robustes qui se développent dans leurs pays d’origine dans les zones ombragées, les sous-bois, les bords de cours d’eau. Ceci explique leur sensibilité extrême à un excès de lumière.

Au moment de leur sortie en extérieur, il faut donc les acclimater doucement à une lumière plus intense. Ce ne sont pas des plantes difficiles à cultiver et elles peuvent très bien passer toute la belle saison dehors, soit en massif soit en pot. L’hiver, il est possible de les conserver dans une ambiance hors gel de type méditerranéen.

La manière la plus simple de les multiplier est de procéder par éclats de rhizomes.

À chacune son cycle

Le Grand Galanga - © M. Cambornac
Le Grand Galanga – © M. Cambornac

Les espèces les plus faciles à cultiver restent donc les herbacées vivaces, qu’elles soient avec ou sans repos végétatif.

Parmi les espèces à repos végétatif, le Gingembre est le premier à redémarrer au printemps, suivi du Curcuma puis du Faux-Galanga.

Les espèces qui gardent leur feuillage en hiver comme la Cardamome ou le Galanga compensent cette absence de « parade » par un puissant système racinaire qui leur permet d’affronter des températures qui ne sont pas celles de leurs milieux écologiques d’origine.

Avec le soutien des jardiniers du jardin botanique et plus particulièrement d’Isabelle Danibert, jardinière-botaniste

La collection d’épices du jardin botanique Yves Rocher

Sentier des épices du jardin botanique de La Gacilly – © M. Cambornac

Le jardin botanique de La Gacilly (Morbihan), qui dépend des Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, possède une petite collection d’épices. Elle est présentée dans les sentiers d’une bambouseraie dense qui fournit l’ombre nécessaire à ces espèces sensibles aux excès de luminosité.

Les espèces ligneuses, les lianes (Poivres) et les espèces herbacées vivaces à repos végétatif (Gingembre, Curcuma, Faux-Galanga) sont hivernées en serre à des températures hivernales minimales de 15 °C. Les herbacées vivaces à feuillage persistant sont mis hors-gel en tunnel à des températures minimales hivernales de 10°C environ.

Les pratiques culturales décrites dans cet article sont celles pratiquées sur la Collection du Jardin.

Dijon et le pain d’épices

pain d’épices - © J.-F. Coffin
pain d’épices – © J.-F. Coffin

Au Xe siècle, était consommé en Chine un aliment ressemblant au pain d’épices moderne où farine et miel sont pétris ensemble. Ce pain est mentionné dans les rations des soldats de Gengis Khan. Il semble que les arabes l’empruntèrent au chinois et que les croisés le rapportèrent de Terre-Sainte. L’usage des épices (girofle, poivre, gingembre, muscade, cannelle) dans la préparation serait aussi originaire d’Orient.

Au XVIIe siècle, c’est Reims qui était reconnue capitale du pain d’épices pour la qualité des miels de champagne qui y était pétri avec la farine de seigle. Cette industrie sera anéantie pendant la guerre (1914-1918).

La tradition du pain d’épices à Dijon remonte au Ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi et Philippe le Bon au XIV et XVe siècles. A l’époque, c’est une pâtisserie appelée boichet, fabriquée avec du miel et de la farine de froment. Dijon est reconnue capitale du pain d’épices au XIXe siècle. Elle compte jusqu’à 12 fabriques dont seule subsiste la Maison Mulot & Petitjean fondée en 1796.

Aujourd’hui, on élabore une pâte à base de farine, de froment et de miel. On la laisse au repos, de quelques jours à deux semaines. On lui ajoute ensuite des jaunes d’œufs pour l’assouplir, les poudres à lever et les arômes naturels. La pâte, une fois moulée, est cuite au four de quelques minutes à deux heures suivant les produits dont les plus célèbres sont le pavé et les nonettes.

Noëlle Dorion

[1] Vanilla planifolia Jacks. ex Andrews)

 

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