Tilleuls : de la pérennité d'une collection

Véronique Delannoy

Magique, sacré, symbolique, le tilleul nous est très familier puisqu’il n’existe guère de route, d’allée, de parc ou de village qui n’en soient pas parés… Aucun d’entre nous n’échappe au charme de cet arbre qui a toujours partagé son temps avec celui des hommes.

Tilia chingiana - © Snezana Gerbault
C’est en Gascogne, sur l’un des chemins gersois de Saint-Jacques-de- Compostelle, que s’étalent, face à la Collégiale de La Romieu, les six hectares des Jardins de Coursiana. Gilbert Cours Darne (1909-2001) était ingénieur en agronomie tropicale et éminent botaniste. Il a parcouru le monde et mené des missions en Afrique, en Équateur, en Asie centrale... ainsi qu’à Madagascar, durant trente ans, de 1931 à 1961. Ce long séjour lui permet d’explorer la côte Est de l’île et ses riches forêts où il découvre de très nombreuses espèces. Près de 6 000 échantillons de végétaux sont ainsi envoyés par ses soins au Muséum d’Histoire Naturelle à Paris. Aujourd’hui, une quarantaine d’espèces lui sont dédiées (Begonia coursii, Vanilla coursii…) et plusieurs genres portent son nom, à l’exemple d’une rubiacée, le Coursiana violacea. En 1961, Gilbert Cours Darne retourne dans le Gers et décide la plantation d’arbres et d’arbustes susceptibles de s’acclimater dans le Sud-Ouest de la France. En 1995, l’on compte déjà 350 espèces et variétés différentes, dont une très belle collection de tilleuls. La même année, l’arboretum ouvre ses portes au public, et depuis, Véronique et Arnaud Delannoy continuent à enrichir les collections initiales. À ce jour, l’arborétum compte plus de 700 espèces d’arbres et d’arbustes. D’autres jardins viennent progressivement compléter ce décor verdoyant : un potager, un jardin à l’anglaise, et, en 2001, un jardin de plantes médicinales aromatiques et à parfum, en partenariat avec Fleurance Nature. L’arboretum « Les Jardins de Coursiana » sont aujourd’hui un « Jardin remarquable ».

 

Essences rares et une collection de tilleuls…

La région bénéficie d’un climat semi-continental : l’été est marqué par des grosses chaleurs et sécheresses récurrentes et les hivers sont froids, affichant souvent -7°C durant la nuit. Le sol est argilolimoneux, composé d’argiles compactes, à pH neutre à acide. Cette terre « blanche », donc peu humifère, offre des conditions difficiles pour les jardins. Malgré tout, l’arboretum héberge beaucoup d’essences rares comme le Chaenomeles cathayensis, l’Aesculus californica, le Firmania platinifolia, le Mallotus japonicus, l’Aesculus splendens… et une collection de tilleuls, classée nationale en 2000 par le CCVS (Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées). Son recensement de 2010 a permis d’inventorier 31 espèces pures, 8 espèces hybrides et 25 cultivars provenant de trois continents, l’Amérique, l’Asie et l’Europe.


 

Un arbre qui défie le temps…

L’histoire du tilleul remonterait à 55 millions d’années, l’espèce faisant partie de la flore éocène. En effet, la famille des Tiliacées appartient à l’ordre des malvales, un branchement d’Angiospermes, très important et déjà différentié au début du Tertiaire, comme les baobabs ou les cacaoyers.
Les tilleuls ne poussent que dans l’hémisphère Nord où l’on recense environ 45 espèces. Le nom tilleul tire son origine du nom grec de son liber (pellicule située entre l’écorce et l’aubier). Les grecs utilisaient tilos pour faire du papier et ce mot fut repris par la langue latine sous la forme tilia. De nombreux noms de familles et de villes « cachent » le nom tilleul dans leur patrimoine. C’est le cas de Delteil, de Duteil ou encore de Chantilly…
Au fil des siècles, de nombreux mythes fondateurs et légendes ont conféré à cet arbre aux feuilles cordiformes des pouvoirs magiques et thérapeutiques. Le tilleul symbolise l’apaisement, évoque la fidélité éternelle, protège, comme le chêne, les temples des dieux.
Aux lendemains de la Révolution Française, on planta dans chaque village un tilleul, « l’arbre de la liberté », autour duquel on dansait au 14 juillet.


Les tilleuls sont des plantes à graine, les angiospermes (de angeios, récipient et sperma, graine). Ces arbres feuillus mesurent entre 10 et 50 mètres de haut. Ils peuvent vivre plusieurs centaines, voire plus d’un millier d’années pour certains sujets remarquables. L’écorce est lisse, épaisse, fibreuse, de couleur grise, elle se craquelle à maturité. Les rameaux sont alternes. La plupart de tilleuls apprécient le climat continental, les hivers froids et les étés chauds.


« Mon Dieu, respirer le tilleul quand il est volcan d’abeilles, un buisson de fleurs rousses, le rival de l’oranger, l’insidieux amant, le pollen en pluie d’or, n’est-ce pas assez ? Et bouilli, il lui incombe encore de guérir nos fièvres ! » Colette

 

Quelques valeurs sûres…

Le tilleul de Henry, le Tilia henryanan est un particulièrement attractif avec son port souple et jeunes pousses jaune-rose. Les feuilles sont dentées et, en août, ses grappes de fleurs jaunes sentent le jasmin. Le tilleul argenté, le Tilia tomentosa, possède un feuillage gris très décoratif, résiste à la pollution, supporte bien la sécheresse et les élagages sévères et peut atteindre 30 m de haut. En revanche, ses fleurs ont un effet narcotique sur les abeilles et ne sont pas conseillées pour la tisane. Quant au Tilia japonica – qui peut atteindre 15 m de haut – il déploie une large couronne, ses feuilles sont petites en forme de coeur. Sa floraison est simplement inoubliable : elle embaume tout le jardin. De plus, excellent en tisane !


Les tilleuls européens…

Ces trois espèces de tilleuls sont très présentes à l’état spontané en France : le Tilia cordata Mill., ou tilleul des bois à petites feuilles, le Tilia platyphyllos Scop., ou tilleul de Hollande et le Tilia x europaea Hay. (T. cordata x T. platyphyllos), très résistant à la pollution et souvent planté en alignement. Ces espèces indigènes poussent en terrains frais et profonds. Le tilleul est un arbre qui n’est pas trop exigeant et pousse bien dans le sol des jardins de Coursiana, profond mais contenant peu d’humus (terre blanche !).

 

…et ceux d’Europe centrale et d’Extrême Orient

Le tilleul du Caucase, le Tilia x euchlora est un arbre très rustique (15 m x 12 m), avec une couronne étalée aux branches légèrement retombantes. Se grappes mellifères apparaissent tôt en juin.
Plus rare, le Tilia mongolica, ou tilleul à feuilles de vigne (10 m x 8 m), est un superbe petit arbre au feuillage dense. Ses pousses pourpres passent par le vert et deviennent jaunes à l’automne Le Tilia taquetii (10 m x 6 m).serait très certainement un synonyme du T. koreana Nokaii (10 m x 6 m). Ses petites feuilles en forme de coeur éclosent très tôt, environ deux semaines au moins avant les autres. La plante est très mellifère
et donne des fleurs en jolies cymes pendantes.
Originaire de Chine, le Tilia tuan (10 m x 5 m) est un petit arbre très décoratif l’hiver avec ses rameaux vert pomme et ses feuilles arrondies, effilées, très plates. En juillet, les fleurs jaune pâle dégagent un délicat parfum de violette.
L’espèce coréenne, le Tilia insularis (10 m x 6 m) possède des grandes feuilles en forme de coeur, légèrement ondulées et effilées. En juillet, l’arbre produit une profusion de fleurs très odorantes. Le Tilia chenmoui (10 m x 6 m) forme de longues feuilles effilées et dentées, au long pétiole et fleurs très odorantes. Nous ne pouvons citer ici toutes les espèces…
 

QUELQUES TILLEULS AMERICAINS

Leurs dimensions impressionnantes (la circonférence de leur tronc et la hauteur de leur frondaison) en font aujourd'hui des spécimens remarquables :

-Le Tilia americana L. ‘Basswood’, très bel arbre d’alignement et plutôt « propre », de 20 à 30 m.

-Le Tilia americana ‘Nova’ et ‘Dentata’, aux feuilles très dentées (à l’entrée du jardin).

-Le Tilia caroliniana (T. floridana) au port arrondi et compact, une floraison en mai (environ 10 m de haut)… Et bien d’autres encore : Tilia heterophylla, Tilia petiolaris

 

Tilia henryana - © Noun/MAP


© Trevor Sims/MAP

PAS TOUJOURS PROPRE…

Le Tilia cordata et le Tilia platyphyllos ont tendance à subir l’attaque de nombreux parasites, les pucerons entre autres, dont les exsudats, une sorte de mêlât noir collant, la fumagine, recouvrent les feuilles les rendant « sales ». Il vaut mieux donc éviter de planter un tilleul trop près de la maison pour bénéficier de l’ombre qu’il vous offre. Les chaises, les tables ou les voitures risquent de devenir aussi collantes et noires…

Bois, fruits, fleurs, aubier…

Dans le tilleul tout est bon ! Le bois du tilleul est idéal pour la sculpture. Les figures de proue des vaisseaux étaient souvent sculptées dans du bois de tilleul. Il était également utilisé pour la confection de petits objets : bobines de fil, boutons, allumettes ou encore jouets… Ses rejets étaient utilisés pour les travaux de vannerie et son charbon servait à fabriquer de la poudre à canon. Actuellement, toutes ces utilisations sont sur le déclin.
En décoction et en tisane, l’aubier du tilleul, sa deuxième écorce, facilite l’élimination rénale et digestive et lutte également contre les rhumatismes. Les fleurs de tilleul sont recommandées pour faciliter l’endormissement et la digestion. Le miel de tilleul est reconnu pour ses vertus antispasmodiques et sédatives. Les feuilles réduites en bouillie servent à faire des cataplasmes apaisant les affections de la peau...

 

Buis-les Baronnies, capitale du tilleul

Buis-les-Baronnies, en Drôme provençale, est la capitale historique du tilleul dont la culture a débuté dès le XIXe siècle. Dans la région des Baronnies, on produit encore de 75 à 90 % du tilleul français. Dans les années 1970, Gilbert Cours Darne avait d’ailleurs tenté de se procurer des clones de tilleul de cette région pour les planter dans l’arboretum, mais sa lettre est restée sans réponse. Mieux vaut tard que jamais… il y a 4 ans, la famille Delannoy a reçu un chercheur qui n’est autre que le fils de la personne contactée par Gilbert Cours Darne, 40 années auparavant. Grâce à cette rencontre, les tilleuls, tant attendus, seront enfin plantés à Coursiana.

LES TILLEULS REMARQUABLES DE L'ARBORETUM DE COURSIANA

-Le Tilia cordata ‘Monto’ ressemble à un bonsaï et ne dépasse pas 5 m.

-Le Tilia cordata ‘Winter Orange’ assure un merveilleux décor hivernal avec ses rameaux orange lumineux suivis au printemps par de jolis bourgeons rose vif. Son envergure : 10 m x 5 m.

-Le Tilia platyphyllos ‘Rubra’ (‘Corallina ‘), un cultivar au port colonnaire et à l’écorce rouge en hiver (25 m x 18 m).

-Le Tilia x europaea ‘Wratislavensis’, le tilleul de Breslau, se distingue au printemps par son jeune feuillage jaune virant au vert clair. Les feuilles, presque rondes, sont très effilées à l’apex. Floraison en juin. (12 m x 18 m).

 

1 thoughts on “Tilleuls : de la pérennité d'une collection”

  1. Je cherche un tilleul qui ne devienne pas trop grand (pour un jardin), pour faire un coin d’ombre dans le jardin, au bon parfum, et aux fleurs utilisables pour les tisanes. Il sera planté dans un jardin à 700. m d’altitude
    Pouvez-vous me conseiller ?
    Merci d’avance,
    B. Boyer

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