Vilmorin, un grand nom au service de l’agriculture et de l’horticulture française

Jean-Noël PlagèsDaniel DattéeAndré Gallais

Durant près de deux siècles, six générations de « Vilmorin » se sont succédées, apportant leur contribution à la botanique, à l’introduction de nouvelles espèces, à la génétique, à l’amélioration des plantes et à la production de semences et de plants. Ces activités leur ont valu d’être membres de nombreuses sociétés savantes : Académie des sciences, Société Nationale d’Horticulture de France, Société Botanique de France, Académie d’Agriculture de France dont Maurice et Roger furent présidents.

Philippe-Victoire Levêque de Vilmorin, fondateur de la « dynastie », naquit en Lorraine en 1746. A Paris où il termina ses études de botanique et de médecine, il devint l’ami de Pierre d’Andrieux (1713-1781), grainier et botaniste du Roi Louis XV, passionné de botanique et introducteur de végétaux (tulipier de Virginie, chênes d’Amérique). Sa fille, Adelaïde, épousa le 14 juillet 1774 Philippe-Victoire de Vilmorin qui devint d’abord l’associé, puis, en 1780, le propriétaire de la maison de graines. Appelée d’abord « Andrieux et Vilmorin », cette maison deviendra « Vilmorin-Andrieux », nom qu’elle gardera jusqu’en 1986 pour devenir Vilmorin S.A.[1]

Ami de Parmentier

Philippe-Victoire Levêque de Vilmorin (1746-1804), fondateur de la « dynastie » Vilmorin – © D.R.

Philippe-Victoire de Vilmorin eut de nombreuses relations avec les botanistes explorateurs. Il introduisit la betterave champêtre vers 1775, puis le rutabaga dont il avait reçu des graines de Broussonet en 1790. Il développa les légumineuses comme le trèfle et la luzerne ainsi qu’une production et une commercialisation de semences de haute qualité. Il publia de nombreuses notices de culture sur le sujet.

Il fit partie, avec Parmentier dont il était l’ami, de la Commission d’Agriculture. Il participa à une nouvelle édition du « Théâtre de l’Agriculture » d’Olivier de Serres et à l’édition de « l’almanach du Bon Jardinier », petit format tenant dans le creux de la main. Membre correspondant de l’Académie des Sciences, il mourut le 6 mars 1804. Son biographe, le baron de Silvestre, dit qu’il fut : « un des hommes qui, de nos jours, ont le plus contribué à répandre le goût de l’agriculture et du jardin ».

Installation à Verrières-le-Buisson

L’établissement à Verrières-le-Buisson - © D.R.
L’établissement à Verrières-le-Buisson – © D.R.
Philippe-André de Vilmorin (1776-1862), dendrologue, créateur d’un arboretum à Verrières-le-Buisson. Peint par Boilly - © D.R.
Philippe-André de Vilmorin (1776-1862), dendrologue, créateur d’un arboretum à Verrières-le-Buisson. Peint par Boilly – © D.R.

 

Ses descendants, durant environ deux siècles, ont suivi la voie tracée et ont toujours été passionnés par l’utilisation des plantes, que ce soit pour l’agriculture, le jardin (plantes potagères et florales) et la forêt.

Philippe-André installa les cultures expérimentales à Verrières-le-Buisson dans une propriété achetée en 1815. C’est là qu’il installa la fameuse collection de pommes de terre de Parmentier dont l’origine remonte à la relation entre Parmentier et Pierre d’Andrieux.

Il contribua à faire adopter en France les semis de diverses espèces de graminées pour la création de prairies (1816). Cet effort s’est poursuivi au XXème siècle. Dès 1954, le service de recherche créé par Roger de Vilmorin a été le premier en France à s’intéresser aux plantes fourragères. De nombreuses variétés de dactyle, fétuque, fléole, ray-grass, luzerne et trèfle ont été inscrites au catalogue officiel de 1957 à 1968.


Agriculture : génétique et sélection

Pierre-Louis-François de Vilmorin (1816 -1860) - © D.R.
Pierre-Louis-François de Vilmorin (1816 -1860) – © D.R.

Les Vilmorin ont été très tôt convaincus que leur activité de production de semences et plants et d’amélioration des plantes ne pouvait pas être séparée d’une activité scientifique. L’homme qui a donné cette impulsion fut surtout Louis de Vilmorin qui fit des travaux comparables à ceux de Mendel en étudiant les disjonctions de couleurs de fleurs dans les descendances de croisement chez le lupin Lupinus hirsutus.

Il réalisa les premiers travaux portant sur l’amélioration de la betterave sucrière, à Verrières. Il fut, notamment, le premier à appliquer une sélection physique basée sur la densité.

Dès 1853, il utilisa le saccharimètre comme outil aidant à la sélection des individus les plus riches en sucre. L’application de son principe d’isolement ou de sélection généalogique lui a permis d’améliorer très significativement la teneur en sucre. C’est à l’Académie des Sciences, en 1856, qu’il fit sa célèbre communication : « Note sur la création d’une nouvelle race de betterave et considération sur l’hérédité dans les végétaux ». Les travaux sur l’amélioration de la betterave sucrière furent poursuivis par Jacques de Vilmorin au XXe siècle. En soixante ans, la teneur en sucre de la betterave sucrière est passée de 9 % à 18 %.

à droite Philippe de Vilmorin (1812 – 1917), à gauche Henry de Vilmorin (1843-1899), agronome, chercheur et botaniste ; effectue des recherches sur l’amélioration des blés - © D.R.
à droite Philippe de Vilmorin (1872 – 1917), à gauche Henry de Vilmorin (1843-1899), agronome, chercheur et botaniste ; effectue des recherches sur l’amélioration des blés – © D.R.
Maurice de Vilmorin (1849-1918) - © D.R.
Maurice de Vilmorin (1849-1918) – © D.R.

Cependant, la sélection généalogique, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a vraiment été clairement formulée et mise en œuvre à grande échelle que par Henry et Philippe, fils et petit-fils de Louis de Vilmorin. Henry, agronome et chercheur infatigable, s’est rendu célèbre en inaugurant, dès 1873, l’amélioration des blés par la méthode des croisements raisonnés qui a donné la série de blés « hybrides » à rendement élevé. Il publia, en 1880, le livre « Les meilleurs blés ».

Philippe rassembla une collection de céréales (en majorité des blés) de plus de 2 000 variétés. C’est l’époque de la création de blés à grand succès comme « Bon fermier, Hâtif inversable, hybride de la Paix, hybride des Alliés »…. Il installa à Verrières, en 1910, un laboratoire spécial de génétique dirigé par A. Meunissier[1]. La reconnaissance internationale des travaux des Vilmorin valut à Philippe d’organiser la IVe Conférence Internationale de génétique à Paris en 1911.

L’horticulture : sujet d’études multiples

Arbres et arbustes à fleurs

C’est dans le parc de Verrières qu’ont eu lieu de nombreuses plantations d’arbres nouvellement introduits, grâce aux relations des Vilmorin avec des explorateurs et scientifiques passionnés[2]. Philippe-André créa l’Arboretum des Barres à Nogent sur Vernisson (Loiret) où il planta une collection de conifères. Pour compléter cette expérimentation, il installa la pinède de Juan les Pins. À côté des arbres forestiers, les Vilmorin ont introduit et acclimaté de très nombreuses espèces pour le fleurissement. Celles jugées les plus décoratives ont été reproduites et commercialisées. Ainsi à l’époque de Maurice de Vilmorin, on peut citer : Incarvillea (1889), Buddleia (1893), Pyracantha (1895), Decaisnea (1895), Deutzia (1895), Davidia (1897).

Potagères
Ces planches de plantes potagères illustrent la variété des espèces proposées par Vilmorin-Andrieux - © D.R.
Ces planches de plantes potagères illustrent la variété des espèces proposées par Vilmorin-Andrieux – © D.R.

Les Vilmorin ont introduit plus de 450 espèces nouvelles de plantes potagères et créé un très grand nombre de variétés. La mise à disposition des agriculteurs de graines de semences de première qualité est attestée par une facture de Vilmorin-Andrieux de 1786 (chou-fleur d’Angleterre, chou-fleur tendre, brocoli violet, brocoli blanc, radis blanc, radis saumoné, chicorée fine d’Italie, chicon panaché, romaine, chou de Milan). Philippe-Victoire publia de nombreuses notes sur la culture de plantes légumières et participa à la rédaction de « l’Almanach du bon jardinier ». Philippe-André publia, en 1856, le premier livre descriptif sur les plantes potagères et son épouse, Élisa de Vilmorin, rédigea la monographie du fraisier pour l’ouvrage « Le jardin fruitier du Museum » en collaboration avec Decaisne. Henry publia : « Les plantes potagères[3] » (1ère édition) en 1882.

Chaque année, l’édition d’un catalogue commercial était l’occasion de promouvoir les nouvelles variétés de légumes. En 1942, Roger de Vilmorin aborda la création de variétés résistantes aux parasites : tomate résistante aux champignons du sol, melon résistant à la fusariose, haricot résistant au virus de la mosaïque. L’installation d’un département « potagères » permit la création de nombreuses variétés de pois, haricots, laitues, carottes et, en 1956, la commercialisation du premier hybride mondial de tomate : la F1 Fournaise toujours en vente aujourd’hui.

Fleurs
Les fleurs occupent une part importante des catalogues Vilmorin - © D.R.
Les fleurs occupent une part importante des catalogues Vilmorin – © D.R.

Henry de Vilmorin publia : « les fleurs de pleine terre » (1ère édition) en 1861 et en 1896 « Histoire et Physiologie du Chrysanthème » dont la plupart des espèces sont originaires de Chine et du Japon. Le grand concours international de 1889, l’exposition universelle de 1900 auxquels les Vilmorin ont participé, ont été des lieux de démonstration de leur goût pour la nature et la beauté des fleurs. Ils ont aussi participé à de très nombreuses expositions florales dans le Monde. Parmi les espèces emblématiques, les Iris ont fait l’objet d’une création abondante. Leur collection d’Iris a été une des plus importantes dans la première moitié du XXème siècle. Leur intérêt s’est aussi porté sur les plantes alpines pour la décoration des jardins.

Un nombre considérable de plantes porte le nom de Vilmorin (noms d’espèces ou de variétés botaniques et de cultivars vilmoriniana) et même un genre leur a été dédié par de Candolle : le genre Vilmorinia, dans la famille des légumineuses, avec une seule espèce Vilmorinia multiflora, originaire de Haïti.

Production de semences : l’organisation du secteur

Extrait de l’ouvrage « Les meilleurs blés » - © D.R.
Extrait de l’ouvrage « Les meilleurs blés » – © D.R.

À chaque étape de l’organisation des professions et de la réglementation des semences en France, un des Vilmorin a apporté sa contribution. Après la Grande Guerre, le gouvernement de la IIIème république voulait relancer l’agriculture. Pour assurer l’intérêt des agriculteurs, il élabora une réglementation spécifique aux semences, suivant en cela les avis de ces agronomes sélectionneurs, membres pour la plupart de l’Académie d’Agriculture.

Le décret du 5 décembre 1922 créa toutes les notions sur lesquelles s’est bâtie l’organisation française, puis internationale, du secteur économique des variétés et semences. En application de ce texte, Jacques de Vilmorin publia en 1925 le premier « répertoire variétal et synonymique des variétés de blé ». En effet, ce décret avait créé le « Registre des plantes sélectionnées » qui prendra le nom de Catalogue Officiel en 1932.

Au plan international, André de Vilmorin a eu un rôle très actif à la Fédération Internationale du Commerce des Semences (FIS) dont il fut président de 1960 à 1962. C’est, grâce à son action qu’ont été créées, en 1961, l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) et les instances qui délivrent le certificat d’obtention végétal (COV). André de Vilmorin, a présidé le GNIS[4] de 1962 à 1981.

*Cet article a été adapté pour Jardins de France par Noëlle Dorion, avec l’accord des auteurs, à partir d’un document écrit pour l’Académie d’Agriculture de France[5] .

 

Un colloque sur les Vilmorin le 10 décembre 2015

A l’occasion du 200e anniversaire de l’installation de la famille Vilmorin à Verrières le Buisson, la SNHF et l’Académie d’agriculture de France organisent un colloque « Les Vilmorin, des graines et des hommes ».

Au programme :

– collecte, introduction, acclimatation d’espèces
– génétique et amélioration des plantes
– les Vilmorin, l’Académie d’agriculture de France et l’interprofession des semences

Informations et inscriptions : info@snhf.org et 01.44.39.78.78.

SNHF 84 rue de Grenelle 75007 Paris
Ce colloque fera l’objet d’une publication spécifique disponible à la SNHF

[1] Voir la biographie d’Auguste Meunissier dans ce dossier

[2] Duchesne, Michaux, Boissier, Wilson, Forrest, Purdom, Farrer, Thouin, Bosc, Poiteau ….

[3] Voir l’encadré de Michel Pitrat dans ce dossier

[4] GNIS : Groupement National Interprofessionnel des Semences

[5] « La Famille de Vilmorin : deux siècles au service de l’Agriculture Française, de l’amélioration des plantes et des semences. Jean-Noël Plagès, Daniel Dattée, André Gallais ».