Qu’est-ce qu’un arbre ? Exemples dans la forêt tropicale

Yves Caraglio

Les tropiques font penser aux grandes forêts humides, les arbres en sont les armatures grandioses. Mais un arbre qu’est-ce au juste ? Comment une arborescence se construit-elle ? Quelles en sont les différentes expressions dans le monde tropical ?

 

Les arbres sont les armatures grandioses de la forêt tropicale - © Y. Caraglio

 

Un arbre est perçu comme un végétal de grande taille. Ce rapport à l’homme est aussi une question de temporalité : un arbre vit longtemps, très longtemps. C’est un végétal qui est constitué d’un tronc, robuste et rigide : le bois assure le soutien et une partie de la conduction. Une autre partie de l’arbre est le feuillage formant la couronne de l’arbre. Ainsi l’arbre peut se résumer comme une structure formée de deux parties visibles : la couronne dont les feuilles permettent de fabriquer la matière et le tronc reliant la couronne aux racines (assurant l’ancrage et l’accès aux ressources minérales et hydrique). Parler ainsi de l’arbre c’est oublier les tiges (axes feuillés) qui constituent l’arborescence de la structure végétale et qui sont le moteur de l’occupation de l’espace et de toute la vie en forêt de l’arbre depuis sa germination dans le sous-bois peu éclairé jusqu’à la canopée (voûte forestière) en plein soleil.

 

Un début de vie dans l’ombre

Tache de lumière en sous-bois - © Y. Caraglio

Les premières années de la vie de l’arbre se déroulent dans le sous-bois dans une ambiance peu éclairé, même si des taches de lumière intense (sunflex) balaient épisodiquement le sol du fait de la trajectoire journalière du soleil. Le parterre forestier, c’est aussi le lieu où beaucoup d’éléments morts se déposent : tout ce qui tombe de la voûte forestière finit là. Du coup, pour le tout jeune arbre, c’est un moment très périlleux car exposé à de nombreuses occasions de subir des traumatismes plus ou moins graves (piétinement, abroutissement, chute de bois mort, voire chute d’arbre (chablis). 

Aller vers la voûte forestière, vers la pleine lumière, est le leitmotiv unique du futur arbre. C’est dans les premiers mètres de progression verticale que l’arbre construit un axe principal, le futur tronc, en privilégiant la croissance en hauteur et en réparant les différents traumatismes subis par son extrémité de manière plus ou moins efficace selon les espèces. Dans ce contexte de faible éclairement, il arrive que la plante ne bénéficie plus assez d’énergie pour continuer sa progression elle adopte alors une stratégie d’attente se traduisant par une mise à plat de l’extrémité du tronc…attendant des conditions d’éclairement plus favorables.

 

Le mécanisme de réitération

En s’élevant le futur arbre rencontre un éclairement croissant lui permettant de développer des branches plus fortes, plus ramifiées. Ces différents axes s’organisent autour du tronc selon une organisation propre à l’espèce (architecture spécifique), qui avec des branches bien horizontales et régulièrement espacées, qui avec des branches très redressés et réparties par paquets le long du tronc. Ces organisations de la structure, ou architectures végétales (HO, 1970*) caractérisent la manière dont l’espèce peut coloniser et occuper l’espace. Cela donne des capacités différentes de réussite et de compétitivité dans la forêt. Le développement du système d’axes (arborescence) se poursuit, pour beaucoup d’espèces, par le dédoublement de cette architecture élémentaire spécifique aboutissant à une structure occupant un plus grand volume, l’arbre apparaît comme formé d’une colonie de petits arbres. Ce mécanisme de duplication de l’architecture élémentaire (encore appelé réitération) se reproduit au cours du temps et forme des structures d’autant plus grandes et étalées que la plante participant à la canopée est en plein soleil. La couronne de l’arbre peut ainsi apparaître très compacte ou bien constituée de cimettes plus ou moins individualisées (cime « en chou-fleur »).

 

Des troncs remarquables

Chimarrhis sp., Rubiaceae - Guyane française - © Y. Caraglio

Les arbres tropicaux montrent quelques réalisations remarquables notamment en ce qui concerne la notion de tronc. D’un aspect généralement cylindrique, le tronc peut s’ornementer à sa base de grandes lames aplaties, des contreforts pouvant faire plusieurs mètres de haut, donnant une allure de fusée à l’arbre. Dans d’autres cas, le tronc est garni de fleurs puis de fruits, c’est la « cauliflorie », ou bien montre sur les premiers mètres des racines plongeant vers le sol. Ces racines aériennes se rencontrent dans des milieux instables comme les racines échasses des palétuviers de la mangrove. Le tronc peut apparaître cannelé voir très cannelé faisant penser à plusieurs troncs soudés entre eux. Une expression exacerbée du multi tronc se rencontre chez certains figuiers tropicaux. Ils forment de grandes branches plus ou moins horizontales et le long de ces branches se mettent en place des racines aériennes qui pendent et progressent vers le sol en restant relativement fines. Une fois le sol atteint, elles poursuivent leur développent en souterrain et la partie entre le sol et la branche prend rapidement du diamètre et à terme devient aussi grosse que le tronc de l’arbre. Au final, avec la répétition de ce phénomène, on obtient une grande quantité de troncs (une forêt !) qui sont des racines et tous appartenant au même arbre, un individu avec ce comportement a pu occuper 5 000 m²…

 

 

 

Des racines ingénieuses

Ficus nymphaeifolia - soudures racinaires, tronc support en décomposition - © Y. Caraglio

Un autre mécanisme remarquable est le comportement de certaines espèces qui commencent leur vie en épiphyte (comme certaines orchidées) c'est-à-dire que la graine germe sur un arbre à 15-30 m du sol et la toute jeune plante développe des petites racines qui trouvent humidité et alimentation dans des cavités ou des fissures de l’écorce. Puis, très rapidement, des racines fines sortent de la petite tige et s’allongent très rapidement en progressant le long du tronc vers le sol. Ces racines grossissent et quand elles rencontrent une autre de leurs racines, elles peuvent se souder entre elles (si le tronc de l’arbre ne grossit pas trop en diamètre). Ce phénomène peut se répéter et les racines soudées (anastomosées) finissent par former un manchon plus ou moins continu autour du tronc initial. Ce phénomène s’accélère une fois les extrémités des racines dans le sol. Les tiges de la plantes se développent en parallèle et construisent…  un tronc portant des branches et formant une cime imbriquée dans la cime de l’arbre hôte : un arbre se développe sur un autre arbre (arbre dit hémi-épiphyte). L’arbre hôte finit par mourir et le nouvel arbre a la partie inférieure de son tronc constituée par le manchon de racines qui sera creux une fois l’arbre hôte décomposé. C’est le cas de certains figuiers tropicaux dit « étrangleurs » et des Metrosideros qui sont des « eucalyptus » de Nlle Zélande.

 

 

 

Une question de niveaux

Bien d’autres mécanismes de construction des arbres existent en forêt du fait de la grande diversité des espèces. Comme tous les arbres de la forêt ne vont pas jusqu’à la pleine lumière, il y a des espèces qui font tout leur cycle dans le sous-bois, d’autres restent juste sous la canopée, la structure de la forêt peut comporter plus ou moins de niveaux (strates) de végétation en fonction des zones et de la hauteur globale de la forêt qui varie entre 30 et 50 m.

 

À lire…

- *Hallé, F., & Oldeman, R. (1970). Essai sur l'architecture et la dynamique de croissance des arbres tropicaux.

 

Les Modèles architecturaux

 

Une vingtaine de stratégies de croissance ont été mises en évidence par Francis Hallé dans les années 1970. Chacune des stratégies porte le nom d’un botaniste et en voici quelques illustrations.

 

La plante peut être constituée d’un seul axe avec une floraison latérale comme la majorité des palmiers (modèle de Corner) ou bien se ramifier en tête, après chaque floraison, comme le Frangipanier (modèle de Leeuwenberg).
Il existe des modèles avec un tronc et des branches bien distinctes soit les branches sont dressées comme chez les Peupliers (modèle de Rauh) soit elles sont horizontales et réparties en étage le long du tronc comme chez des Araucarias (modèle de Massart) ou réparties continument le long du tronc comme chez le Caféier (modèle de Roux).
Dans d’autres cas, les branches se ramifient uniquement après floraison terminale comme chez les Magnolias (modèle de Fagerlind) ou bien c’est le tronc et les branches qui sont constitués de successions de morceaux d’axes (modèle de Koriba…).
Chacune de ces stratégies rassemble de nombreuses espèces d’arbres. Pour chaque espèce elle se décline avec ses propres caractéristiques (unité architecturale).

 

Modèle de Corner comme les palmiers - © Y. Caraglio

Modèle de Massart comme l’Araucaria - © Y. Caraglio

Modèle de Roux comme le Caféier - © Edelin

Modèle de Fagerlind comme le Magnolia - © Y. Caraglio

 

 

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