Les plantes potagères dans les livres de Vilmorin-Andrieux et Cie

Michel Pitrat

Comme tous les marchands grainiers, la société Vilmorin publie des catalogues commerciaux présentant plus ou moins succinctement les variétés vendues. En outre, des ouvrages sur les plantes potagères avec des descriptions et des évaluations de variétés ont été publiés par Vilmorin-Andrieux et Cie. Les rédacteurs sont inconnus, et ces ouvrages constituent une somme des connaissances et des observations réalisées au sein de la société.


Exemple de planche couleur extraite de l’Album Vilmorin @ D.R.

Un premier ouvrage de 478 pages a été publié en 1856 sous le titre Description des plantes potagères ; un tirage provisoire d’une première partie allant par ordre alphabétique de l’ail à la laitue avait été réalisé en 1855. Il ne comporte aucune illustration.

Le deuxième ouvrage intitulé Les plantes potagères. Description et culture des principaux légumes des climats tempérés a fait l’objet de quatre éditions (1883, 1891 avec une introduction de Henry L. de Vilmorin, 1904 avec une introduction de Philippe L. de Vilmorin et 1925). Il inclut de nombreux dessins en noir et blanc des variétés décrites. La troisième édition (1904) a été réimprimée en fac-similé en 1989 par les Editions 1900.

Enfin un troisième ouvrage, le Dictionnaire Vilmorin des plantes potagères, a été publié en 1947. Cette encyclopédie traite de nombreux aspects liés à la culture des plantes légumières : techniques culturales, ennemis des cultures et méthodes de lutte… La description des variétés est réduite à une ou deux lignes, et ne concerne qu’un relativement petit nombre de variétés.

Par ailleurs, l’Album des plantes potagères, planches en couleur qui sont publiées annuellement, constitue une illustration des principales variétés.

Descriptions et conseils

Ce sont les deux premiers ouvrages qui nous intéressent plus particulièrement ici. En effet le Dictionnaire Vilmorin de 1947 ne liste que 483 variétés, dont des obtentions récentes de Vilmorin, pour les espèces listées dans le tableau 1 contre 1 056 par exemple dans l’édition de 1925 des Plantes potagères. Les articles commencent par une description générale de l’espèce avec ses particularités botaniques et quelques conseils de culture (dates de semis, ennemis…) suivis par les descriptions des variétés. Les noms des variétés sont très généralement formés par une particularité morphologique et/ou une origine géographique : Artichaut gros vert de Laon, Aubergine blanche longue de Chine, Poireau jaune du Poitou, Betterave rouge ronde précoce… Le nom de la variété constitue parfois à lui seul une description, tel le Radis à forcer rond écarlate à bout blanc. Des synonymes des noms de variétés sont donnés ainsi que des noms en anglais, allemand, italien, hollandais…

Un taux de renouvellement important

Ces ouvrages ne sont pas exhaustifs et des variétés existant au XIXsiècle peuvent ne pas être décrites. Inversement des variétés d’origine étrangère sont décrites (en particulier anglaises et américaines mais aussi allemandes) qui n’ont été que peu ou pas cultivées en France. Par ailleurs les nombreux synonymes peuvent rendre difficile le repérage et le suivi des variétés.

Les descriptions des variétés sont parfois assez longues avec un texte d’une dizaine de lignes (et généralement un dessin dans Les plantes potagères) ou bien font l’objet d’une notice plus courte. Le tableau 1 présente pour quelques espèces le nombre de variétés décrites avec un texte long ou court. Le taux de renouvellement des variétés est assez important[1]. Ainsi, pour les espèces présentées dans le tableau 1, sur un nombre total de 1 767 variétés citées au moins une fois, il n’y a que 252 variétés communes aux années 1856-1925. Entre les éditions de 1904 et de 1925, 284 variétés ne sont plus décrites et 208 sont nouvelles.

De nombreuses illustrations avec des descriptions précises – © D.R.

Le nombre de variétés décrites de haricot, d’oignon, de radis, de chou-fleur, de tomate est en augmentation régulière au cours du temps. D’autres espèces sont plus fluctuantes : chou à feuilles, laitue, melon. Enfin, certaines espèces sont relativement stables (carottes, chicorées, piment). Ce nombre de variétés ne préjuge pas du taux de renouvellement. Une analyse plus fine pourrait porter sur les types variétaux (haricots ou pois à rames par rapport aux nains, romaine et batavia par rapport à laitue beurre, frisée par rapport à scarole…).

Des ouvrages de référence

Ces ouvrages font encore aujourd’hui référence pour les variétés anciennes du XIXe et du début du XXsiècle. Les gestionnaires de ressources génétiques, les experts du GEVES lors de l’inscription au catalogue officiel de variétés du domaine public (variétés dites sans valeur intrinsèque ou variétés pour amateurs) utilisent ces précieuses sources d’informations.

Tableau 1. Nombre de variétés décrites avec une notice complète (entre parenthèses avec une description brève) de quelques espèces de plantes potagères dans trois ouvrages de Vilmorin-Andrieux et Cie.
Tableau 1. Nombre de variétés décrites avec une notice complète (entre parenthèses avec une description brève) de quelques espèces de plantes potagères dans trois ouvrages de Vilmorin-Andrieux et Cie.

 

Une obtention de Vilmorin : le melon ‘Védrantais’

Fruit de la variété de melon ‘Védrantais’ (obtention Vilmorin) dans le type Cantaloup Charentais © D.R.

La société Vilmorin est un important obtenteur de nouvelles variétés de plantes légumières. Par exemple dans le Dictionnaire Vilmorin des plantes potagères (1947) apparaissent, à côté des variétés locales traditionnelles, de nombreuses nouvelles variétés de cette société comme le ‘Cornichon vert de Massy’, le ‘Fraisier des quatre-saisons La Brillante’ ou le ‘Poireau géant de Verrières’. L’innovation variétale est une science ou un art dont les résultats sont difficilement prévisibles. Certaines obtentions ne sont pas des succès commerciaux alors que d’autres marquent le paysage variétal pendant une assez longue période. Ainsi en ce moment Vilmorin est le leader pour les variétés de carotte. Ce fut le cas dans les années 1960 avec la variété de melon ‘Védrantais’.

Le melon est une plante semi-allogame[2] dont les variétés traditionnelles sont des populations plus ou moins hétérogènes. Le type « Cantaloup Charentais » était très couramment cultivé en France dans les années 1940-1950. Les producteurs de melon produisaient souvent eux-mêmes les semences en faisant une sélection massale c’est-à-dire en extrayant les graines des plus beaux fruits. Une maladie liée au sol, la Fusariose provoquée par Fusarium oxysporum f.sp. melonis, attaquait régulièrement les cultures, obligeant les melonniers à pratiquer des rotations très longues. Les chercheurs de l’INRA (C.M. Messiaen, G. Risser) ont mis en évidence dans certaines des populations cultivées de Charentais des plantes résistantes dont la descendance par autofécondation était entièrement résistante à la Fusariose. Le passage de variétés populations maintenues par sélection massale à des lignées pures obtenues par sélection généalogique a permis de mettre à la disposition des producteurs des nouvelles variétés uniformément résistantes grâce au gène Fom-1. Ces variétés étaient aussi plus homogènes pour la forme, la présentation et la qualité des fruits. ‘Védrantais’ a ainsi été obtenu par la société Vilmorin et a marqué le passage aux lignées pures. Des variétés très proches ont été commercialisées par d’autres sociétés semencières et l’une d’elles ‘Super précoce du Roc’ a été finalement reconnue comme synonyme. ‘Védrantais’ dans les années 1960-1970 a eu un très grand succès commercial et a représenté plus de 50 % des surfaces de melon cultivées en France. Puis une nouvelle race de Fusariose surmontant la résistance présente dans ‘Védrantais’ s’est répandue, les variétés hybrides ont commencé à faire leur apparition, d’autres objectifs de sélection sont apparus comme la résistance à l’oïdium et la part de ‘Védrantais’ a diminué. Il a été détrôné par l’hybride F1 ‘Alpha’ obtention de R. Morle de la société Tézier qui a été inscrit au catalogue officiel en 1981. Cette variété a été très cultivée elle aussi pendant une quinzaine d’années. La société Tézier a été rachetée par Limagrain en 1979, alors que Clause n’est venu rejoindre Vilmorin et Tézier qu’en 1996. Ce n’est que récemment que Tézier et Clause ont fusionné pour devenir Clause-Tézier en 2002, puis HM Clause en 2008.

M.P.

 

[1] Il peut y avoir quelques erreurs à cause des synonymes

[2] L’autofécondation est quand même possible

One thought on “Les plantes potagères dans les livres de Vilmorin-Andrieux et Cie”

Les commentaires sont fermés.