Pas d’alimentation équilibrée sans fruits et légumes

Léon Guéguen

« La santé vient en mangeant », couverture du « Guide alimentaire pour tous » édité dans le cadre du Programme National Nutrition-Santé - © D.R.
« La santé vient en mangeant », couverture du « Guide alimentaire pour tous » édité dans le cadre du Programme National Nutrition-Santé – © D.R.

L’intérêt nutritionnel des fruits et légumes est démontré. Leur richesse en divers micronutriments indispensables et autres composants bénéfiques permet d’assurer l’équilibre du régime alimentaire. Cela est établi pour plusieurs oligoéléments et vitamines, ainsi que pour des composés antioxydants comme les caroténoïdes et les polyphénols. Si l’on y ajoute les graines, notamment de légumineuses, l’apport de protéines est aussi important. Enfin, tous les produits végétaux sont aussi des sources irremplaçables de fibres plus ou moins solubles dont l’intérêt est unanimement reconnu.

Même si les bienfaits des fruits, légumes et graines sont indéniables, ils ne peuvent à eux seuls assurer un bon équilibre alimentaire et couvrir la totalité des besoins nutritionnels. Telle est la critique faite au régime végétalien strict (ou vegan) qui exclut tout aliment d’origine animale dont le lait et les produits laitiers, les œufs, les poissons et produits de la mer. Si la viande, exclue du régime lacto-végétarien, n’est pas indispensable, sauf pour l’apport de fer héminique très biodisponible, les autres produits animaux le sont si l’on veut éviter une gymnastique diététique difficile à suivre au quotidien. En effet, les végétaux manquent de calcium biodisponible, à l’exception du chou frisé et du brocoli, les autres sources végétales (sauf les fruits secs et amandes) étant pauvres en calcium ou trop riches en substances inhibitrices de l’absorption intestinale comme les phytates (graines) et oxalates (épinard, oseille, betterave…). Ils sont aussi pauvres en vitamines du groupe B, notamment en vitamine B12, et en certains oligoéléments comme l’iode et le sélénium (apportés par le lait et les produits de la mer). A l’exception des tubercules pour l’apport énergétique et des graines de légumineuses pour l’apport de protéines de bonne qualité, les fruits et légumes courants issus du maraîchage ou de l’arboriculture fruitière ne peuvent prétendre suffire pour éradiquer la faim dans le monde. Pour cela, la culture intensive des céréales reste indispensable.

De tout, un peu

Un bon apport de fruits et légumes inclus dans un régime diversifié (omnivore) doit permettre de se passer d’aliments enrichis et encore plus de compléments alimentaires. L’enrichissement du régime en certains nutriments est utile, possible et bien réglementé dans le cas de quelques aliments (l’iode dans le sel, la vitamine D dans le lait, le fer dans les aliments infantiles…) mais ne peut être envisagé pour les fruits et légumes, sauf pour les jus et soupes. La biofortification pourrait aussi être obtenue par les méthodes modernes de génie génétique, dans la mesure où ces procédés seraient acceptés par la société (cas du riz doré). Toutefois, le meilleur moyen d’assurer tous les besoins nutritionnels est la diversification du régime (de tout, un peu), avec une part importante consacrée aux fruits, légumes et graines. Dans ces conditions, le recours à des compléments alimentaires est inutile, voire dangereux quand leur composition est mal définie ou contrôlée et que se présente un risque non négligeable d’excès ou d’antagonismes.

Les fruits et légumes constituent une part incontournable d’un régime complet et équilibré et leur consommation doit être encouragée. C’est pourquoi tout doit être fait pour maintenir leur bonne image et ne pas l’abaisser par des messages inutilement anxiogènes.

Effets bénéfiques unanimement reconnus

La principale crainte récurrente vis-à-vis des fruits et légumes concerne les résidus de produits phytosanitaires. Or, la dernière grande enquête européenne (Efsa, 2016) a montré que 54 % des échantillons sont exempts de résidus quantifiables et que la limite réglementaire (LMR) n’est dépassée que dans moins de 3 % des cas. Le risque pour le consommateur est donc négligeable, d’autant plus que ces analyses portent sur des produits non lavés ou épluchés et la balance bénéfices / risques est largement favorable. En fait, les effets bénéfiques unanimement reconnus des fruits et légumes ont été démontrés sur des produits conventionnels. Les fruits et légumes bio contiennent moins de résidus de pesticides de synthèse (interdits) mais n’en sont pas exempts (12,4 % et 1,2 % excédant la LMR) et contiennent des résidus de pesticides naturels appliqués ou fabriqués par la plante et qui ne sont jamais pris en compte dans les enquêtes.

Ne pas stigmatiser le conventionnel

Le bio n’est pas forcément meilleur que le conventionnel
Le bio n’est pas forcément meilleur que le conventionnel

Alors que plus de 95 % des fruits et légumes consommés sont issus de l’horticulture et de l’arboriculture conventionnelles, il n’est pas acceptable de les discréditer en proclamant que les produits bio sont meilleurs pour la santé (ce qui jette la suspicion sur tous les autres !). En fait, plusieurs grandes études récentes ont confirmé que les aliments bio n’étaient pas significativement plus riches en minéraux, oligoéléments et vitamines et que des teneurs parfois supérieures de 15 à 20 % en polyphénols n’avaient pas d’impact sur le pouvoir antioxydant du régime car les polyphénols ne rendent compte que de la moitié de ce pouvoir et qu’ils sont surtout apportés par le thé, le café, le chocolat et le vin rouge. Il n’est pas acceptable, pour faire la promotion de fruits bio, de stigmatiser tous les fruits conventionnels (comme l’a récemment fait, à ses dépens, un mouvement coopératif bio). De plus, les fruits et légumes, qu’ils soient bio ou non, sont une source exclusive de caroténoïdes bénéfiques pour la santé (par exemple le lycopène de la tomate) dont la contribution au pouvoir antioxydant du régime est prépondérante.

Ce n’était pas mieux avant !

Un autre motif de dénigrement des fruits et légumes est l’accusation récurrente de forte baisse de la valeur nutritionnelle au fil du temps, selon l’idée bien connue que « c’était mieux avant ». Or, cette idée reçue, propagée par les médias (et innocemment reprise par des hommes politiques) est fausse. Divers facteurs agronomiques influent sur la composition chimique des plantes (voir article de Laurent Urban). Des différences peuvent exister entre variétés qui n’ont pas le même format, parfois pour certains nutriments en faveur de variétés anciennes moins riches en eau. De même, une plus forte croissance et un rendement plus élevé dus à la fertilisation ou à l’irrigation peuvent logiquement conduire à un « effet dilution » pour certains nutriments. Les comparaisons doivent aussi être faites au même stade de maturité.

Déclarations faussement alarmistes

Les teneurs en vitamine C de l'orange n'ont quasiment pas varié depuis 60 ans, tout comme la pomme ou la tomate - © J.-F. Coffin
Les teneurs en vitamine C de l’orange n’ont quasiment pas varié depuis 60 ans, tout comme la pomme ou la tomate – © J.-F. Coffin

Cependant, comme l’a montré une récente étude américaine (D. Davis), les baisses de teneurs observées ne sont en moyenne que de 10 à 20 %. Elles sont bien loin des déclarations alarmistes martelées dans un récent documentaire selon lesquelles « au cours des 50 dernières années les aliments ont perdu jusqu’à 75 % de leur valeur nutritive » et que « il faut 100 pommes actuelles pour le même apport de vitamine C qu’une seule pomme ancienne ». Tout cela est grossièrement faux ! Il suffit de consulter les anciennes tables de composition des aliments pour constater que les teneurs en vitamine C de la pomme, de la tomate, de l’orange et de la pomme de terre n’ont quasiment pas varié depuis 60 ans. Il importe, notamment pour les vitamines, de comparer des produits à même stade de maturité et de même état de fraicheur, ce qui peut avantager les circuits courts.

Diversifier l’offre

Le slogan « cinq fruits et/ou légumes par jour » n’est pas toujours facile à suivre, notamment chez les enfants, par rejet dû au goût ou à la texture. Cet obstacle pourrait être levé par une plus grande diversité de l’offre, par la présentation des plats et les préparations culinaires.

 

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