Peut-on consommer les fruits « malades » ?

Gilbert Gault

Consommer des fruits malades est une question complexe. En réalité, il faut définir ce que l’on qualifie de maladie pour un fruit. S’agit-il d’une affection systémique de la plante d’origine bactérienne virale ou parasitaire ayant un retentissement sur le fruit ? D’une altération du fruit postérieure à sa maturation et à sa cueillette ? Dans tous les cas, si les risques d’intoxication humaine restent minimes, mieux vaut rester vigilant

Une poire meurtrie en cours de maturation : sa consommation n’est pas risquée mais, dans le doute, il faut rester vigilant ! - © J.-F. Coffin
Une poire meurtrie en cours de maturation : sa consommation n’est pas risquée mais, dans le doute, il faut rester vigilant ! – © J.-F. Coffin

Les fruits sont dans la majorité des cas issus de plantes de la famille des Rosaceae (pomme, poire, cerise, pêche, abricot, fraise,….) et des Rutaceae (Orange citron clémentine pamplemousse). Leur consommation n’a jamais été à l’origine d’intoxication.

La mode des nouveaux fruits, dits exotiques, peut parfois conduire à des accidents plus ou moins méconnus car nos pratiques alimentaires peuvent diverger des pays d’origine. La consommation d’Actée (Blighia sapida – Sapindaceae) non mûrs est potentiellement dangereuse, d’autant plus que l’absence de cuisson ou d’exposition au soleil des graines ou arilles ne minorent pas les teneurs en principe toxiques. Les fruits sauvages inconnus du cueilleur (Nerprun, Troène – Ligustrum vulgare-,…) ou susceptibles d’être à l’origine de confusion alimentaire (baies de belladone Atropa belladonna) ne doivent pas être consommés en quantité car ils peuvent avoir des effets délétères sur la santé. Les enfants sont les plus concernés par ce type d’accident, suivis par les citadins avides de nature ou adeptes néophytes de médecines naturelles.

Substances toxiques

Certaines plantes, sous l’action de bio agresseurs, peuvent produire des substances toxiques comme les furanocoumarines phototoxiques (molécules complexes) qui, sous l’action du soleil, provoquent des brûlures) ou des hétérosides cyanogénétiques (molécules complexes) qui, sous l’action d’une hydrolyse, libèrent du cyanure-acide cyanhydrique et un sucre qui peuvent se concentrer dans les fruits, par exemple dans les noyaux de Rosaceae ou dans le péricarpe des pépins de Rutaceae). Ces fruits sont souvent moins beaux et souvent l’affection systémique de la plante minore sa production fruitière. De toute façon, il convient d’éviter de consommer les amandes de pêches et d’abricots, sauf si la variété est connue pour être pauvre en amygdaline (exemple Abricot Doucoeur ® de Delbard).

La fourmi et le renard

Des insectes ou divers animaux, comme ici une guêpe, peuvent s’attaquer aux fruits, y laisser des traces, voire y pénétrer. Les meurtrissures peuvent provoquer l’apparition de maladies – © Anne-Gaëlle Cabelguen
Des insectes ou divers animaux, comme ici une guêpe, peuvent s’attaquer aux fruits, y laisser des traces, voire y pénétrer. Les meurtrissures peuvent provoquer l’apparition de maladies – © Anne-Gaëlle Cabelguen

Certains fruits peuvent également être visités par des insectes (exemple les fourmis dans les abricots) qui déposent des substances de marquage ou des déjections qui peuvent avoir une incidence désagréable sur le goût mais rarement atteindre des niveaux engendrant une toxicité pour le consommateur final.

Pour les fruits sauvages ramassés à proximité du sol (Mûres, Myrtilles, Fraises des bois…), attention aux risques de transmission d’échinococcose alvéolaire, maladie parasitaire se localisant dans les poumons et le foie qui deviennent non fonctionnels et prennent un aspect en mie de pain. Le renard en est le vecteur mais il peut exceptionnellement être remplacé par le chien ou le chat domestique.

Pour protéger l’espèce

La toxicité de certains fruits comme le raisin en grappe ou secs chez le chien dont on ne sait pas à l’heure actuelle le mécanisme d’action (mycotoxine ou substance naturelle à toxicité rénale) doit nous faire garder à l’esprit que, dans la nature, certaines altérations ou stimulations sont susceptibles d’induire des mécanismes de toxicité devant lesquels tous les mammifères et oiseaux ne sont pas égaux. En outre, les mécanismes de productions de molécules irritantes par exemple, concourent à la protection de la pérennité de l’espèce en favorisant sa dispersion (la diarrhée provoque une absence de digestion des graines et augmente leur dispersion dans l’environnement) ou par la production de molécules volatiles répulsives en protégeant la réserve germinative : en limitant la prédation par les bioagresseurs, la plante permet à ses graines d’avoir une chance d’être placée dans des conditions de germination.

Oiseaux ivres

L’altération post cueillette des fruits est souvent considérée comme une maladie des fruits alors qu’il ne s’agit que d’une maturation normale d’un aliment biologique. Deux problèmes peuvent survenir : le premier concerne l’alcoolisation des fruits par fermentation anaérobie des sucres ; le second, le développement de moisissures qui peuvent produire des mycotoxines.

La fermentation alcoolique des fruits est un phénomène naturel qui a peu d’incidence chez l’homme en cas de consommation modérée de fruits « alcoolisés » mais qui peut engendrer des troubles importants chez les oiseaux ou les animaux domestiques et sauvages. Dans les régions cidricoles et dans toutes les zones d’arboriculture et de viticulture, il est parfois observé en automne dans l’hémisphère nord et au printemps pour l’hémisphère sud, des comportements ébrieux chez des ruminants (bovins, ovins ou Cervidés), voire des mortalités massives d’oiseaux (étourneaux en Roumanie en 2008) par une consommation importante de fruits fermentés.

Patuline suspecte

À partir de l’observation des moisissures du genre Penicillium et Aspergillus, principalement sur des pommes mais également sur tout fruit appartenant à la famille des Rosaceae, des phénomènes de meurtrissures et de prédations par des insectes ou des oiseaux, couplées à des conditions de stockage humides et chaudes, peuvent déclencher la production de patuline dans le fruit et présenter un risque d’intoxication chez l’Homme. Il convient d’éviter de manger en trop grande quantité et de façon réitérée ces fruits altérés. Toutefois, l’agence française de sécurité alimentaire pointe un risque théorique, sans pour l’instant disposer de données cliniques d’intoxication humaine, et par précaution suspecte la patuline d’avoir des effets digestifs et à fortes doses néphrotoxiques et neurotoxiques. Elle considère également un potentiel effet immunotoxique sur des rongeurs de laboratoire mais n’a pu établir de risque carcinogène. L’agence canadienne de sécurité alimentaire note que la fermentation des sucres minore la production de cette mycotoxine dans les produits surveillés (pommes et jus de fruits).

La quantité fait le venin

La consommation de fruits « malades » en petites quantités et accidentellement ne devrait pas nuire gravement à la santé des humains mais il faut éviter de le faire avec gloutonnerie et de façon addictive. Il convient également de respecter les modes ancestraux de consommation et alimentaires de leurs pays d’origine pour éviter la consommation inappropriée de fruits toxiques. Enfin, ne pas oublier la phrase de Paracelse 1532 que seule la quantité fait le venin (sola dosis fecit venenum) et ne pas avoir une vision teintée d’angélisme du monde végétal qui nous entoure.

Xyllella fastidiosa, maladie émergente

La xyllella fastidiosa, qui a émergé dans les Pouilles italiennes, provoque le dépérissement des oliviers et d’autres sérotypes peuvent s’attaquer aux agrumes (Rutaceae). Mais l’arbre malade ne produit pas de fruit donc la consommation de la bactérie phytopathogène est impossible.