Normandie – Picardie, région de choix pour le lin fibre

Xavier Guillot

Un champ de lin en fleurs en Normandie © Arvalis
Un champ de lin en fleurs en Normandie © Arvalis

La culture du lin, dicotylédone annuelle appartenant à la famille des Linacées, est l’une des plus anciennes connues. Sa dénomination latine Linum usitatissimum fait référence à ses multiples usages. Il sert dans les domaines de l’industrie textile (fibre), alimentaire et chimique (graine, huile). Nous nous intéresserons ici uniquement au lin textile : si l’espèce est la même, les objectifs, critères de sélection, le mode de culture, de récolte diffèrent du lin oléagineux.

Le lin fibre représente une agro-ressource majeure et novatrice pour l’industrie textile (facile à travailler et à teinter, agréable à porter), aéronautique et automobile (composites plus légers pour l’intérieur des voitures, cabines d’avion, donc économie de carburant), de la construction de bâtiments (isolation), du sport (raquettes de tennis, skis, vélos, planches de surf, grâce à un meilleur amortissement des vibrations).

L’Europe produit plus des trois quarts de la fibre de lin teillé mondiale avec 70 à 80 000 Ha cultivés en 2013-2014, dont 50 à 65 000 en France pour le lin de printemps et 500 Ha de lin d’hiver (1 500 pour ce dernier en 2016 selon Arvalis), le reste étant situé majoritairement en Belgique et aux Pays-Bas.

La Chine, principal acheteur

Les débouchés sont surtout textiles et le principal acheteur la Chine, pour une commercialisation finale aux USA, en Europe, au Japon, plus récemment au Brésil, Russie et en Inde. L’UE a fourni en 2013 environ 130 000 t de fibres longues de lin, correspondant à la demande moyenne. Celle-ci est relativement stable, garantissant un équilibre pour le marché et les prix, le rendement et la qualité en fibres dépendant fortement des variations climatiques (7 à 8 t / Ha de paille, 1,6 à 1,9 t / Ha de lin teillé, 23 à 25 % de fibres).

Une plante entièrement valorisée

 

Le lin et ses usages

Le lin permet une valorisation complète de toutes ses composantes et coproduits, le principal étant les fibres longues, et offre une large palette de débouchés naturels (Fig. 1) :

– Fibres longues (lin teillé), 16-25 % de la paille : utilisation en habillement (60%), linge de maison (30%), textiles techniques (toiles à peindre, bâches, tuyaux souples) et spécialisés (sacs postaux), revêtements muraux, cellulose (10%).

– Étoupes (fibres courtes), 10-15 % : éco-matériaux (portières), papeterie fine (cigarettes, billets)

– Anas (résidus, fragments de paille), 45-52 % : construction, énergie, aménagement – panneaux agglomérés (pouvoir ignifuge élevé, isolation phonique, flexibilité), litières (bonne absorption), paillage horticole, combustible pour chaufferie (fort pouvoir calorifique)

– Graines, 5-10 % : semences, trituration

– Paillettes (capsules vides), 8-10 % : alimentation du bétail

– Poudre (poussières), 6-8 % : compostage

La culture du lin fibre nécessite des conditions agro-climatiques vraiment adaptées et un terroir particulier, que l’on trouve essentiellement au nord-ouest de l’Europe : océanique tempéré et humide (pas plus de 25°C en moyenne de T° durant sa croissance, précipitations suffisantes). En France les grandes zones de production sont en Seine-Maritime, Oise, Somme, le Calvados, l’Eure, le Nord Pas-de-Calais, la Bretagne.

Le lin textile aide ainsi à conserver un tissu économique et social en zones rurales. Sa filière (agriculture, première transformation) génère des emplois directs et non délocalisables.

 Une culture à surveiller

Culture de lin fibre au stade de 15 cm - © D.R.
Culture de lin fibre au stade de 15 cm – © D.R.

Le lin fibre, nécessitant peu d’intrants et aucune irrigation, s’inscrit parfaitement dans le cadre de l’agriculture durable et du plan Ecophyto. Mais sa conduite requiert une attention permanente à toutes les étapes, de l’implantation au ramassage, et le respect des préconisations pour garantir rendement et qualité.

Il a des effets positifs sur les cultures suivantes (structure du sol, coupure dans la rotation limitant la présence de certains bio-agresseurs). C’est un excellent précédent pour les céréales.

Le semis s’effectue à partir de début mars, en visant une densité de 1 500 à 1 800 plantes / m². La fertilisation NPK est modérée ; la production de fibres doit être maximisée (longueur de tige) en contenant le risque de verse.

Les insectes à surveiller sont les altises adultes, dès le semis, et les thrips de la levée jusqu’à fin floraison. Le lin fibre est également soumis aux attaques de champignons, responsables de la fonte des semis – moisissure grise (Botrytis), anthracnose (Colletotrichum), fusariose, moisissure verte (Alternaria) – ou de maladies durant la végétation – brûlure, septoriose, courbure de la tige et brunissure (Kabatiella), rouille, verticilliose, sclérotiniose[1].

Récolter au bon stade

Opération d’arrachage du lin fibre - © D.R.
Opération d’arrachage du lin fibre – © D.R.

Arrachage : il doit se faire au bon stade afin de préserver l’intégrité et la qualité des fibres (2/3 de défoliation, jaunissement). Les plantes ne sont pas fauchées, on tire sur les tiges pour les casser au ras du sol, où elles sont ensuite déposées à plat en bandes parallèles (andains).

Rouissage : les micro-organismes telluriques relâchent des enzymes dégradant les pectines et diminuant la cohésion tissulaire, rendant plus aisée l’extraction de l’écorce filamenteuse. Il faut retourner les andains pour obtenir une couleur uniforme.

Enroulage : le lin est récolté en balles rondes, qui seront livrées à la coopérative pour y être travaillées.

Transformation en trois étapes

Teillage : action mécanique visant à récupérer les fibres (courtes et longues) et les anas (bois).

Peignage et filature : les fibres sont parallélisées et mises sous forme de rubans, qui seront ensuite filés.

Tissage : les fils sont ennoblis puis entrecroisés parallèlement en long (chaîne) et orthogonalement (trame), formant le tissu employé dans la confection.

Une sélection de cinq à six ans

Champ d’essais de lin en floraison - © Guillot-Laboulet
Champ d’essais de lin en floraison – © Guillot-Laboulet

Le travail du sélectionneur est de créer de nouvelles variétés, en apportant de manière constante une amélioration génétique à l’espèce. Les critères de choix sont : le rendement en paille et la richesse en fibres, leur composition (qualité), la hauteur des plantes (pour pouvoir être travaillées par les machines de récolte et de teillage), la tolérance naturelle aux stress biotiques (ravageurs) et abiotiques (stress froid, hydrique, thermique, salin, fortes amplitudes de températures), à la verse, la précocité à floraison et maturité…

Entre le croisement initial et la commercialisation, il faut compter 8 à 10 générations, soit au moins 5 à 6 ans (grâce aux serres, phytotrons, contre-saisons hivernales en Amérique du Sud), comprenant la purification de la lignée de lin, les essais variétaux, la multiplication de semences, les tests officiels et l’inscription au Catalogue Européen.

Organiser des essais de développement

Le lin est une espèce autogame, se reproduisant par autofécondation. Dans un schéma de création variétale, les deux parents sont choisis afin que chacun amène dans la descendance des caractères complémentaires d’intérêt. Après sélection, au fil des générations, des expérimentations sont réalisées pour comparer les nouveautés aux meilleurs témoins du marché, avec répétitions et analyses statistiques. Le rôle de l’obtenteur est aussi de fournir aux agriculteurs et techniciens les données les plus affinées sur ses variétés, afin de les placer dans les conditions optimales de culture, maximiser et sécuriser la production en fonction du potentiel des parcelles. Le facteur le plus décisif est la production de paille et la teneur en fibre totale, mais de nombreux autres critères agro-environnementaux entrent en jeu dans l’élaboration du rendement.

Pour cela, il faut organiser des essais de développement dans toutes les zones de culture du lin fibre pour évaluer les interactions Génotype x Environnement x Conduite. Répétés plusieurs années, ils déterminent l’adaptabilité des variétés aux différentes conditions pédoclimatiques. L’agriculteur peut ainsi choisir la variété avec l’itinéraire technique le plus approprié.

[1] Voir les préconisations culturales : https://frama.link/Lin-Fibre

 

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