Micronutriments non essentiels et pourtant…

Marie-Josèphe Amiot-CarlinVéronique Coxam

Le resvératrol se formant dans les baies de raisin se retrouve dans le vin. Ici, un grenache noir - © Françoise Dordor – INRA Montpellier
Le resvératrol se formant dans les baies de raisin se retrouve dans le vin. Ici, un grenache noir – © Françoise Dordor – INRA Montpellier

Les aliments d’origine végétale contiennent de nombreux composés dotés d’activités biologiques diverses, antioxydantes, anti-inflammatoires, antimicrobiennes… Ce sont des micronutriments dits « non essentiels » de notre alimentation, en raison de l’absence de pathologies associées à des carences. Ils ne bénéficient d’ailleurs pas d’apports nutritionnels conseillés. De nombreuses études, épidémiologiques, cliniques et expérimentales chez l’animal ou sur des modèles cellulaires, établissent qu’ils pourraient contribuer significativement à préserver notre santé.

Les micronutriments « non essentiels » appartiennent à différentes familles : les polyphénols, les caroténoïdes (en dehors des caroténoïdes provitaminiques A) comme le lycopène ou la lutéine, les composés soufrés (glucosinolates et sulfures d’allyle). Elles font partie intégrante de la stratégie défensive des plantes en les protégeant notamment des éventuelles agressions environnementales. Les composés phénoliques correspondent donc à des métabolites s’accumulant chez les végétaux en réponse à un stress. On leur a attribué le nom de phyto­alexines, molécules produites consécutivement à une attaque de pathogènes ou d’insectes. Ainsi, le resvératrol est un stilbène de structure phénolique se formant dans la baie de raisin après une attaque fongique (Botrytis) et qui se retrouve dans le vin. Ces mécanismes de protection peuvent être conférés à l’homme après ingestion. C’est pourquoi, compte tenu du potentiel de ces substances végétales sur la santé humaine et du fait de leur présence dans l’alimentation, la communauté scientifique a adopté la dénomination « phytomicronutriments », même si leur essentialité n’a pas été encore démontrée.

Les polyphénols protecteurs

Les composés phénoliques sont des molécules qui contiennent un groupe phénol (noyau aromatique avec un groupe hydroxyle). Les polyphénols ont donc plusieurs noyaux phénols et plusieurs groupes hydroxyles. Ils sont classés en plusieurs sous-groupes dont les acides phénoliques, les flavonoïdes (anthocyanes, flavones, flavonols, flavanes, flavanols, et isoflavones) et les tanins.

Des études épidémiologiques suggèrent une diminution de l’incidence de maladies cardiovasculaires associée à une forte consommation de flavonoïdes. Pendant longtemps, leur activité physiologique a été attribuée à leurs propriétés antioxydantes/antiradicalaires. Toutefois, du fait de leur faible absorption et leur forte métabolisation dans notre corps, leurs effets biologiques résultent plus probablement de leur capacité à réguler l’expression de gènes impliqués dans le processus athérosclérotique. Les polyphénols sont aussi capables de diminuer d’autres facteurs de risque des maladies cardiovasculaires, comme l’hyperlipémie : ils peuvent inhiber certaines des enzymes clefs de la synthèse du cholestérol et diminuer l’absorption intestinale des triglycérides par interaction avec les enzymes de la digestion lipidique ou déstabilisation des émulsions.

Contre certains effets délétères

En ce qui concerne les cancers, si les études épidémiologiques ne démontrent pas d’effet avéré sur les cancers, de nombreuses expérimentations in vitro ou chez l’animal mettent en avant des activités anticarcinogènes des polyphénols, mais les doses utilisées sont souvent pharmacologiques.

Certains polyphénols, comme les isoflavones ou les lignanes, sont appelés phytoœstrogènes car ils sont capables d’exercer une action similaire à celle des œstrogènes naturellement produits par le corps ou pris sous forme de médicaments. Dans certains cas, leur consommation peut être importante. Cependant, ces phytoœstrogènes ont une affinité pour les récepteurs des œstrogènes de cent à mille fois inférieure à celle des hormones endogènes et des hormones de synthèse.

Un effet antioxydant des polyphénols reste toutefois possible au niveau du tube digestif, où ils sont largement majoritaires lors de la digestion. Ils pourraient alors agir en limitant les effets délétères des substances pro-oxydantes présentes dans le repas et protéger les autres antioxydants alimentaires de la dégradation dans le tube digestif. Enfin, il faut noter que plusieurs études montrent des actions spécifiques des polyphénols sur le microbiote intestinal qui pourraient contribuer à leur bénéfice santé.

Le lycopène, pigment rouge de la tomate, participerait à la protection contre les risques cardiovasculaires - © J.-F. Coffin
Le lycopène, pigment rouge de la tomate, participerait à la protection contre les risques cardiovasculaires – © J.-F. Coffin

Les caroténoïdes en synergie

L’effet protecteur des caroténoïdes vis-à-vis de certaines grandes pathologies chroniques serait dû à leur pouvoir antioxydant. Les caroténoïdes sont capables de neutraliser les espèces oxygénées réactives, telles que l’oxygène singulet et les radicaux peroxyles, et de protéger ainsi les systèmes cellulaires de l’oxydation. Le caroténoïde le plus efficace en tant que piégeur de radicaux libres est le lycopène, suivi par l’alpha-carotène, la beta-cryptoxanthine, la zéaxanthine, le beta-carotène, et la lutéine. Les caroténoïdes sont certainement complémentaires ou synergiques avec d’autres antioxydants tels que les vitamines C et E.

Le lycopène, pigment rouge de la tomate, participerait à la protection contre certaines formes de cancer (prostate) et les risques cardiovasculaires. En plus de ses propriétés antioxydantes, en raison de sa faible biodisponibilité, il présenterait aussi des effets biologiques mettant en jeu des activités anti-inflammatoires, antimutagéniques, anticarcinogènes. L’effet inhibiteur du lycopène sur la carcinogenèse pourrait impliquer plusieurs mécanismes tels que la neutralisation des espèces oxygénées réactives, la régulation positive des systèmes de détoxification, la réduction de la prolifération cellulaire et l’augmentation de la différenciation, l’induction de la communication cellulaire par les « gap junctions » et l’arrêt de la progression du cycle cellulaire.

Le cresson, est l’un des principaux pourvoyeurs de lutéine, comme, ici, le cresson de fontaine @ Corine Enard – INRA Versailles-Grignon
Le cresson, est l’un des principaux pourvoyeurs de lutéine, comme, ici, le cresson de fontaine @ Corine Enard – INRA Versailles-Grignon

Lutéine et dégénérescence maculaire

La lutéine protègerait de la dégénérescence maculaire liée à l’âge, en agissant directement en tant qu’antioxydant, mais aussi indirectement en absorbant la lumière bleue responsable de la formation de radicaux libres. La lutéine et son isomère structural, la zéaxanthine, sont les deux principaux caroténoïdes présents dans la macula et la rétine. Leur concentration peut atteindre des teneurs environ 500 fois plus élevées que dans les autres tissus. Les légumes verts à feuilles, le cresson et les épinards, sont les principaux pourvoyeurs ; ce sont aussi des sources importantes de beta-carotène. Compte tenu des études cliniques, la recommandation en lutéine est de 6 mg/j pour prévenir la dégénérescence maculaire liée à l’âge, ce qui ne peut, néanmoins, être atteint par notre alimentation quotidienne.

Les sulfures d’allyle proviennent de la famille des alliacées (ail, oignon, poireaux) - © J.-F. Coffin
Les sulfures d’allyle proviennent de la famille des alliacées (ail, oignon, poireaux) – © J.-F. Coffin

Glucosinolates et sulfures d’allyle

Les glucosinolates sont transformés chez l’Homme en isothiocyanates, substances potentiellement anticarcinogènes car inductrices d’enzymes de la phase II comme la glutathion S-transférase (GST) impliquée dans la détoxification des carcinogènes. Les aliments principalement contributeurs de glucosinolates sont les choux et les brocolis.

Les sulfures d’allyle provenant de la famille des alliacées (ail, oignon, poireaux) ont également été impliqués dans la réduction de risque de certains cancers, ou affections liées à l’âge. Ils proviennent de la dégradation enzymatique par l’alliinase, de l’alliine, un constituant majoritaire représentant environ 1 % du bulbe de l’ail.

Phytostérols hypocholestérolémiants

Les phytostérols (ou stérols végétaux) sont des molécules liposolubles dotées d’une structure semblable à celle du cholestérol. Plusieurs études cliniques ont démontré que la consommation journalière de 2 g de phytostérols diminuait l’absorption du cholestérol de 10 % et limitait ainsi la cholestérolémie. Cet effet hypocholestérolémiant semble résulter de la réduction de l’incorporation du cholestérol (alimentaire et biliaire) dans les micelles mixtes, via une inhibition compétitive des phytostérols. Cependant, d’autres mécanismes de protection sont suggérés, comme une augmentation de l’efflux du cholestérol de la cellule intestinale vers la lumière intestinale.

En France, si l’on exclut les consommateurs de produits enrichis, les apports quotidiens moyens sont inférieurs à 300 mg/j. Les principaux aliments pourvoyeurs sont les céréales complètes, le pain complet, les huiles végétales, les légumes secs et les brocolis.

A lire …

– Amiot MJ, Coxam V, Strigler F (2012). Les phytomicronutriments. IFN/FFAS, Éditions Tec & Doc, Lavoisier, 382p

– Amiot Mj, Riva C, Vinet A (2016). Effects of dietary polyphenols on metabolic syndrome features in humans: a systematic review. Obes Rev, 17(7):573-86.

 

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