L’étonnante histoire de la liane royale

Gildas Gâteblé

Aujourd’hui pratiquement disparue et inconnue des pépinières, collections et jardins de l’Europe, la liane royale Oxera pulchella a pourtant connu son heure de gloire à la fin du XIXe siècle dans les journaux et collections botaniques et horticoles. Son étonnante histoire, étroitement liée à celle de la Nouvelle-Calédonie, couvre les premières explorations, le passé colonial, l’âge d’or des grands horticulteurs européens, les problématiques actuelles de conservation des milieux naturels et son avenir potentiel.


Détail de l’inflorescence d’Oxera pulchella subsp. grandiflora

Détail de l’inflorescence d’Oxera pulchella subsp. grandiflora

1: Détail de l’inflorescence d’Oxera pulchella subsp. grandiflora / 2: Détail de l’inflorescence d’Oxera pulchella subsp. grandiflora


L’histoire « récente » de la liane royale commence peu après la découverte de la Nouvelle-Calédonie par James Cook en 1774. C’est en 1793, lors de l’expédition de d’Entrecasteaux à la recherche du porté disparu comte de Lapérouse, que le botaniste explorateur français Labillardière découvre et recueille pour la première fois cette liane dans les forêts humides de moyenne altitude du nord-est de la Nouvelle-Calédonie. Mais ce n’est qu’à son retour en France et 30 ans plus tard (en 1824), que Labillardière décrit ce qu’il pensait pouvoir être une Bignoniaceae sous le nom explicite de Oxera pulchella Labill. Ce nom pourrait être traduit en français de façon peu élégante et équivoque par « la plus belle gorge gonflée ». Oxera pulchella reste curiosité botanique d’herbier jusqu’en 1853, date de prise de possession française de la Nouvelle-Calédonie, et à l’établissement de Port-de-France (Nouméa) en 1854. Entre 1824 et 1860, les botanistes savants de l’époque, au travers de plus de 20 articles scientifiques, n’arrivent pas à s’accorder pour savoir si ce genre nouveau et exotique Oxera doit faire partie de la famille des Bignoniaceae, des Lamiaceae, des Scrophulariaceae ou des Verbenaceae. Ces querelles d’experts aboutissent à une reconnaissance « ferme » et récente (2004) du genre Oxera dans la famille des Lamiaceae. Mais l’histoire future en cours d’écriture grâce aux progrès rapides de la biologie moléculaire dira si Oxera reste bien un membre à part entière de cette grande famille des lamiers.

 

Sa découverte horticole par Pancher

Peu après la prise de possession, la colonisation française bat son plein en Nouvelle-Calédonie et notamment à Nouméa. Les puissances colonisatrices, qui ont pour objectif de tirer un profit maximum de leurs lointaines colonies, dépêchent alors des scientifiques pour étudier et valoriser les ressources locales, notamment botaniques. A cette époque de la botanique appliquée, où botanique et horticulture sont intimement mêlées, l’horticulteur botaniste Jean Armand Isidore Pancher, envoyé par le Muséum national d’histoire naturelle en 1857, s’illustre par ses travaux et découvertes. Un genre botanique endémique de Nouvelle-Calédonie (Pancheria) et de nombreuses espèces endémiques de diverses familles botaniques (notamment Oxera pancheri) lui sont dédiés. Pancher est la première personne à avoir cultivé Oxera pulchella dans les jardins du gouverneur vers 1860. Il ne s’agissait cependant pas tout à fait de la même plante que celle décrite par Labillardière, mais d’une variété proche, endémique des forêts sèches de la presqu’île de Nouméa et aujourd’hui nommée Oxera pulchella subsp. grandiflora. Malheureusement, Pancher a laissé peu de traces écrites de ces essais d’acclimatation, explorations et autres envois botaniques. Ainsi, c’est à la célèbre famille d’horticulteurs britanniques Veitch que l’on doit de savoir que Pancher cultivait Oxera pulchella dans les jardins du gouverneur en 1865. A l’époque, les pépinières Veitch envoyaient en effet leurs explorateurs récolter des plantes nouvelles et originales dans les lointaines mers du sud. John Gould Veitch, lors de son court séjour à Nouméa en 1865, a été subjugué par les belles grappes de fleurs blanches d’Oxera pulchella qu’il imaginait déjà comme une plante ornementale de serre en Angleterre.
 


Reconstitution d’une caisse de transport de végétaux au 18ème siècle, lors des « Floralies 2012 » de Nouvelle-Calédonie (NB : fleurs blanches devant la caisse = Oxera neriifolia subsp. neriifolia, conifère dans la caisse = pin colonnaire ou Araucaria columnaris)

Caisse de transport de végétaux au XVIIIe siècle

Son introduction sur tous les continents

Les travaux d’acclimatation de la flore de Nouvelle-Calédonie par Pancher dans les jardins du Nouméa de l’époque intéressent particulièrement les rivaux coloniaux britanniques. Il organise des envois de matériel végétal et fait des dons botaniques aux navigateurs explorateurs lors de leurs passages à Nouméa. Les plantes sont alors transportées vivantes sur les voiliers, à travers les mers, dans des caisses botaniques de type « caisse de Ward ». C’est en Australie, à travers ses différents jardins botaniques (Sydney, Hobart, Adélaïde, Melbourne et Brisbane) qu’Oxera pulchella est d’abord cultivée et multipliée entre 1864 et 1885. Les jardins botaniques coloniaux de l’empire britannique étant bien organisés, Oxera pulchella est introduite au Jardin des Pamplemousses à l’île Maurice en 1880 et au Sri Lanka à la fin du XIXe siècle. Oxera pulchella est également retrouvée sur le continent africain au jardin botanique du Hamma, à Alger, un peu avant 1874. A partir de l’Algérie, si proche de l’Europe, Oxera pulchella est transportée au jardin d’essai de Cannes en 1878, en Irlande en 1880 et en Angleterre en 1881. A la fin du XIXe siècle, Oxera pulchella est également acclimatée sur le continent américain à au moins deux reprises. Mais, entre temps, Pancher qui a pris sa retraite du Muséum national d’histoire naturelle, rentre en France en 1869 et est embauché par le célèbre horticulteur belge Linden. Pancher revient alors en Nouvelle-Calédonie en 1874 pour alimenter les collections et nouveautés horticoles de M. Linden. Pancher et Linden sont alors les principaux artisans de l’introduction de nombreuses plantes endémiques ornementales de Nouvelle-Calédonie dans les serres et jardins d’Europe. Entre 1875 et 1877 (date de sa mort en Nouvelle-Calédonie), Pancher expédie ainsi de nombreuses plantes à Linden, dont Oxera pulchella.


Son heure de gloire et son déclin

A partir de la publication d’une planche colorée dans le journal britannique spécialisé « Curtis’s Botanical Magazine » en 1887, Oxera pulchella devient « the » plante à avoir dans sa serre. De nombreux et élogieux articles ont suivi au sujet de celle qui allait plus tard être nommée « Royal Creeper » ou « liane royale ». D’autres très belles illustrations sont publiées peu après dans des revues comme « L’illustration horticole » ou « The Garden ». L’engouement pour la liane royale était principalement dû au fait qu’elle fleurissait en serre en plein hiver à une période où la gamme des plantes fleuries de Noël était réduite. La liane royale reçoit ainsi le premier prix de la prestigieuse société horticole royale britannique. Alors, de nombreux conseils de culture sont dispensés à son sujet et il semblerait que la liane royale puisse supporter des températures basses, jusqu'à 5-8°C. L’horticulture ornementale étant un secteur très mouvant en matière de nouveauté, la liane royale après un éphémère coup d’éclat, retombe très vite dans l’oubli au début du XXe siècle. Il est maintenant très difficile de s’en procurer un plant dans une pépinière commerciale en Europe.
 

Planche de Oxera pulchella subsp. grandiflora tirée de Hooker, J. D. (1887). Oxera pulchella. Curtis's Botanical Magazine 113: Tab. 6938.

Planche de Oxera pulchella subsp. grandiflora tirée de Watson, W. (1888). Oxera pulchella. The Garden 33: 510-511.

Planche de Oxera pulchella subsp. grandiflora tirée de Rodigas, E. (1889). Oxera pulchella. L’Illustration Horticole 36: 17-18, Pl. LXXVI.

1: Planche de Oxera pulchella subsp. grandiflora tirée de Hooker, J. D. (1887). Oxera pulchella. Curtis's Botanical Magazine 113: Tab. 6938.
2: Planche de Oxera pulchella subsp. grandiflora tirée de Watson, W. (1888). Oxera pulchella. The Garden 33: 510-511.
3: Planche de Oxera pulchella subsp. grandiflora tirée de Rodigas, E. (1889). Oxera pulchella. L’Illustration Horticole 36: 17-18, Pl. LXXVI."


Plante menacée en Nouvelle-Calédonie

Bien que très largement cultivée dans le monde par le passé , la liane royale ne semble jamais avoir été cultivée en Nouvelle-Calédonie comme une plante ornementale depuis l’époque de Pancher. Il s’agit là d’une aberration historique que l’Institut Agronomique néo-Calédonien, à travers son programme de recherche sur la valorisation des plantes indigènes ornementales, tente de corriger depuis le début du XXIe siècle. Il est très dommage que les jardins nouméens et calédoniens actuels soient quasi-exclusivement ornées d’espèces ornementales exotiques dont de trop nombreuses posent des problèmes d’envahissement des milieux naturels et secondarisés. La sous espèce Oxera pulchella subsp. grandiflora qui a été valorisée en Europe est même une plante menacée d’extinction dans son milieu d’origine. Son aire de distribution naturelle, limitée à la presqu’île de Nouméa et à ses environs, en fait un taxon micro-endémique. L’urbanisation galopante des dernières décennies dans la région de Nouméa a réduit son aire d’occurrence à quelques rares lambeaux de forêts sèches. Les programmes de sensibilisation, de protection et de valorisation des forêts sèches commencent cependant à porter leurs fruits et la liane royale devient progressivement une plante de pépinière au même titre que les bougainvillées exotiques.

 

Plante ornementale du passé … et du futur ?

L’exceptionnelle richesse floristique de la Nouvelle-Calédonie permet d’envisager des voies de valorisation des ressources biologiques. En tant que « pays d’outre-mer » en cours d’émancipation, la Nouvelle-Calédonie est compétente dans de nombreux domaines comme la protection de l’environnement et le développement économique. Contrairement à l’époque coloniale, la Nouvelle-Calédonie a maintenant entre les mains les clefs de son futur développement et a pour cela mis en place des outils juridiques de protection de ses ressources biologiques. Oxera pulchella et les 20 autres espèces de ce genre Oxera presqu’endémique offrent un atout non négligeable en termes de valorisation. D’un point de vue horticole, un programme d’amélioration variétale par hybridation interspécifique a été lancé sur Oxera afin d’essayer de constituer une gamme de plantes ornementales à ports, formes de fleurs, parfums et coloris variés. La diversité des espèces constituant ce genre permet d’envisager la création de cultivars commerciaux à floraisons hivernales pour les marchés européens et américains comme plantes en pot fleuries et végétaux d’intérieur. En plus de son intérêt ornemental indéniable, le genre Oxera recèle des potentialités de valorisation, comme colorant naturel et pourquoi pas en santé humaine car certaines espèces sont riches en flavonoïdes, antioxydants reconnus.


Détail d’une inflorescence de Oxera robusta

Détail d’une inflorescence de Oxera baladica subsp. baladica

 Détail d’une inflorescence de Oxera neriifolia subsp. neriifolia

1: Détail d’une inflorescence de Oxera robusta / 2: Détail d’une inflorescence de Oxera baladica subsp. baladica
3: Détail d’une inflorescence de Oxera neriifolia subsp. neriifolia


A lire

- Gâteblé, G. (2009). Potentialités de valorisation de la flore néo-calédonienne en horticulture ornementale. PHM Revue Horticole 514: 39-44.

- Gâteblé, G. (2012). History, Biology and Conservation of Pacific Endemics: The Royal Creeper (Oxera pulchella: Lamiaceae), a New Caledonian Ornamental Plant. Pacific Science 66(4): 413-433.

- Gâteblé, G., V. Lemay et J. Ounémoa (2009). Advances in Oxera breeding. Acta Horticulturae 836: 85-90.

- Mabberley, D. J. et R. P. J. de Kok (2004). Labiatae. Flore de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances. P. Morat. Paris, Muséum National d'Histoire Naturelle. 25: 20-141 pp.
 

juillet-août 2013