Les plantes et le froid : adaptation obligée

Serge Aubert

La sortie des eaux des végétaux a nécessité l’élaboration d’une panoplie de stratagèmes ingénieux leur permettant de coloniser les milieux terrestres, parfois extrêmes. Comment les plantes arrivent-elles à éviter ou encore à tolérer le froid ? S’adapter… ou périr...
Un coussin de Silene acaulis (Saxifragacée des Alpes et de l'arctique, ici au Sptizberg en Norvège) colonisé par plusieurs espèces qui profitent du microclimat favorable du coussin (évitement du froid et du vent).© Serge Aubert

La température est un facteur majeur de répartition des végétaux, qu’ils soient situés aux fortes altitudes, en montagne, ou aux fortes latitudes, près des pôles. C’est le cas particulièrement en montagne où la diminution de 0,7°C tous les 100 m détermine notamment l’étagement de la végétation. Par ailleurs, les températures en altitude sont également marquées par des fluctuations de grande amplitude entre le jour et la nuit.
Face à un agent de stress comme le froid, les organismes vivants développent deux stratégies principales. La première consiste à l’éviter, c'està- dire à faire en sorte qu’il n’atteigne pas l’intérieur des tissus. La seconde consiste à le tolérer : les températuresn négatives touchent l’intérieur des tissus, mais les plantes développent des moyens pour empêcher le gel de s’installer à l’intérieur des cellules. Ces deux stratégies se combinent parfois chez une même espèce, dans diverses parties de la plante ou à divers stades de son développement.


Exemples de convergence adaptive chez les plantes en coussins. De gauche à droite : Androsace helvetica (Primulacées, ici à 2700 m dans les Alpes) ; Azorella selago (Apiacée, ici sur les îles Kerguelen) ; Raoulia eximia (Astéracée, ici dans les montagnes néo-zélandaises à 1700 m). - © Serge Aubert

Éviter le froid…

Chez les animaux, le déplacement représente une possibilité d’évitement, comme chez les oiseaux qui migrent pour échapper aux rigueurs hivernales. Bien ancrés dans le sol, les végétaux ne se déplacent pas, mais plusieurs adaptations leur permettent d’éviter le froid et le gel.
Dans les zones alpines, au-dessus de la limite supérieure des arbres (vers 2 200 m dans les Alpes), la petite taille des plantes devient la règle. Au ras du sol, les températures sont en effet plus élevées (ou moins froides !) en comparaison avec celles qui règnent un ou deux mètres plus haut. La petite taille des plantes permet aussi leur protection par le manteau neigeux en hiver (sous le couvert neigeux, la température avoisine 0°C, tandis que celle de l’extérieur affiche des valeurs négatives) et la limitation de l’action mécanique de la neige et du vent qui ont tendance à casser les tiges et les branches.
Le port en coussin est un cas particulier de plantes de petite taille. La sphère étant la forme géométrique qui expose la plus petite surface pour un volume donné, les plantes en coussins perdent moins de chaleur et d’eau. Enfin, la forme en coussin réduit également la prise aux vents… Elle est d’ailleurs sélectionnée par l’évolution chez plus de 1 000 espèces réparties dans une cinquantaine de familles. Il s’agit de convergence adaptative : des plantes qui n’ont aucun lien de parenté, mais qui sont exposées à des conditions environnementales similaires, ont acquis ce caractère commun. Par ailleurs, plusieurs espèces végétales (et animales) se développent au milieu de ces coussins, en évitant ainsi le froid et en profitant du microclimat favorable qui y règne. On parle de facilitation, un phénomène qui est d’autant plus marqué en altitude que les conditions de vie sont difficiles.


 

Exemples de convergence adaptive chez les plantes pachycaules. De gauche à droite, Senecio Keniodendron (Asteracées) et Lobelia deckenii ssp keniensis (Campanulacée), toutes deux ici au mont Kenya vers 4000 m ; Espeletia  pycnophylla (Astéracée, ici dans les Andes en Equateur vers 4000 m). - © Serge Aubert Plantes en touffes…

Une autre forme remarquable est représentée par les plantes en touffes rencontrées chez de nombreuses plantes graminoïdes (Poacées et Cypéracées). De même que les coussins, ces touffes rassemblent une multitude d’individus semblables (clones issus de la multiplication végétative) et procurent un microclimat à la fois thermique et hydrique. Le port pachycaule (étymologiquement, plantes à grandes tiges) est un autre exemple emblématique que l’on retrouve chez plusieurs espèces qui prospèrent dans les hautes montagnes tropicales, vers 4 000 m d’altitude. Ces plantes ne possèdent qu’un seul bourgeon protégé au coeur d’une rosette de feuilles. Ce bourgeon produit des feuilles et assure la croissance pendant plusieurs années avant de donner une inflorescence. Les mesures ont montré que la température de ce bourgeon n’est jamais négative, alors que toutes les nuits se caractérisent par des gelées (entre -5°C et -10°C). Là aussi, un bel exemple de convergence évolutive puisque cette adaptation se retrouve chez plusieurs familles de plantes en Afrique de l’Est et dans les Andes du Nord.
La pilosité des plantes permet également d’éviter le froid en créant un microclimat. Cette barrière protège également contre la déshydratation et l’excès de lumière.

 

 

Doronic à grandes fleurs (Doronicum grandiflorum, Astéracée) après une chute de neige au mois de juillet à 2500 m d'altitude dans les Alpes. - © Serge Aubert  Les stratégies de tolérance

Un des mécanismes pour tolérer le gel consiste à abaisser le point de congélation des liquides cellulaires, en augmentant la teneur en composés solubles (solutés) tels que des sucres ou acides aminés (suite à l’hydrolyse des macromolécules ou des mouvements d’eau de l’intérieur vers l’extérieur des cellules). L’eau pure gèle à 0°C et l’eau contenant des solutés gèle à une température d’autant plus basse que la concentration de ces solutés est grande.
Une autre stratégie est la surfusion. Cette propriété physique des liquides correspond au fait qu’ils peuvent rester à l’état liquide en dessous de leur point de congélation. Les capacités de surfusion dépendent de l’aptitude de la plante à éliminer les noyaux de nucléation responsables de l’initiation des premiers cristaux de glace, une stratégie très efficace puisqu’elle permet une résistance jusqu’à -40°C. Cette aptitude à la tolérance au froid, fort coûteuse en énergie pour les plantes, varie généralement au fil des saisons. Elle se met en place au cours de l’automne (endurcissement) et se perd au printemps, sous le contrôle de la lumière (photopériode) et de la température.
Un cas extrême de tolérance au gel se rencontre chez les organismes (animaux et végétaux) capables de reviviscence. Dans ce cas, les organismes tolèrent une déshydratation poussée (perte de plus de 90 % du contenu en eau) qui s’accompagne d’un passage en vie ralentie (ralentissement de toutes les activités physiologiques) associée à des capacités de résistance aux températures extrêmes, jusqu’à -196°C (température de l’azote liquide). Ces capacités de résistance se rencontrent notamment chez les lichens (associations symbiotiques entre algues et champignons), les mousses et chez certaines fougères et plantes supérieures. Cette formidable plasticité nécessite une protection des systèmes biologiques (membranes, enzymes) lors des phases de déshydratation. Ceci est rendu possible par l’accumulation de composés solubles qui viennent remplacer les molécules d’eau autour des membranes et des enzymes, maintenant ainsi leur intégrité, alors que chez la plupart des organismes la déshydratation poussée est synonyme de dénaturation irréversible.
Les plantes alpines constituent de remarquables modèles pour comprendre les adaptations aux conditions
extrêmes et envisager des applications pour les espèces d’intérêt agronomique. Les capacités d’adaptation au froid constituent par ailleurs un paramètre important pour comprendre les impacts du réchauffement climatique sur la répartition des plantes.
 

Le jardin botanique alpin du Lautaret © Serge Aubert

LE JARDIN BOTANIQUE ALPIN DU LAUTARET

Le Jardin botanique alpin du Lautaret est situé à 2 100 m d’altitude dans les Alpes. Il a été créé en 1899 par Jean-Paul Lachmann, professeur de botanique à l’université de Grenoble, et, depuis sa création, il a pour mission la sensibilisation du public à la biodiversité des montagnes du monde, la formation des étudiants et la recherche sur les plantes et les écosystèmes alpins. Un chalet-laboratoire a été construit en 1989 pour mener des recherches modernes auxquelles il contribue à travers ses expertises botaniques et horticoles. Ce jardin universitaire accueille aujourd’hui 15 à 20 mille visiteurs chaque été.


 

 

 




 

 




 

 

 

Bibliographie

•Aubert S. (2008) Les végétaux et le froid. In Aux Origines des plantes - Tome 1, Des plantes anciennes à la botanique du XXIe siècle Ed. Fayard, pp 298-307.
•Aubert S., Bligny R., Choler Ph., Douzet R. (2003). Les plantes alpines : une vie en milieu extrême. La Montagne & Alpinisme du Club Alpin Français 2 : 44-50.
•Côme D. (1992) Les végétaux et le froid. Ed. Hermann.
•Larcher W. (2010) Survival types of high mountain plants under extreme temperatures, Flora,  205: 3-18. 
•Site internet de la station alpine Joseph Fourier : http://sajf.ujf-grenoble.fr/