Les orchidées, à fleur de peau

Alain Jouy

Rares, insolites, sensuelles, parfois même inquiétantes, elles ont depuis toujours suscité la curiosité et l’admiration. Véritable objet de convoitise, recherché par des collectionneurs fous, l’orchidée rime avec luxe et raffinement… La plante intéresse aussi  les scientifiques qui voient en elle l’un des végétaux les plus évolués, doté d’une fécondation et multiplication pas communes…

Vanilla tahitensis - © MAP

Ces fleurs pulpeuses à la beauté surprenante furent longtemps mal connues, surtout du monde des horticulteurs et des jardiniers. Et seuls les botanistes leur portaient intérêt. Les plus belles se rencontrent dans des zones tropicales encore peu parcourues, tandis que celles qui poussent sous nos latitudes attirent plus les amateurs de salep [1] que les jardiniers.

La première orchidée tropicale fut introduite en Europe au début du XVIIIe siècle. L’herbier du Muséum national d’Histoire naturelle abrite d’ailleurs quelques échantillons dans les plus anciennes collections, dont celles de Tournefort et de Vaillant (fin XVIIe et début du XVIIIe siècle). Une mode furieuse explose et ces plantes fascinent les amateurs. Certains collectionneurs fortunés se les arrachaient pour enrichir leurs collections. Les raisons de cet engouement s’expliquent en partie par le phénomène d’ouverture des zones tropicales livrant ainsi leurs trésors botaniques. De plus, l’apparition de nouveaux modes de transport, de bateaux à vapeur par exemple, permit de ramener ces plantes fragiles d'Amérique du Sud ou d'Extrême Orient en causant moins de pertes que par le passé. Leur rareté et le fait qu'à cette époque nul ne savait faire germer leurs graines, les rendaient encore plus mystérieuses et désirables. Le XIXe siècle fut l'époque « de l'orchidomania ». Non seulement des collecteurs peu scrupuleux ravageaient les zones peuplées d’orchidées, mais les plus riches allaient même jusqu'à monter leurs propres expéditions pour se procurer les fleurs les plus rares. Cela entraîna une dégradation irréparable de nombreuses stations.
 


Un peu de botanique

Les orchidées, famille des Orchidacées, sont des plantes herbacées monocotylédones. Leurs fleurs sont construites sur le mode trimère : trois sépales, trois pétales. Les feuilles oblongues ont une nervation longitudinale. On considère cette famille comme l'une des plus évoluées du monde végétal et, de fait, son apparition semble avoir été assez tardive dans l'échelle des temps géologiques. Ceci lui a permis de bénéficier de maintes innovations apparues au fil de l'évolution comme la réduction du nombre des pièces florales par exemple. En effet, les orchidées ne comptent qu'une seule étamine, voire deux chez les Cypripedioideæ, et l’ovaire infère pour protéger les ovules des visites intempestives des pollinisateurs. La graine est dépourvue d'albumen, donc plus légère et facile à disséminer. Toutefois, la germination des orchidées reste une expérience souvent difficile et capricieuse.

Ces innovations font que les fleurs d'orchidées sont un peu déroutantes à première vue : pas de pistil ni d’étamine visibles ! Les pièces sexuelles sont en effet regroupées en une colonne, le gynostème, portant les pollinies en partie supérieure et la zone stigmatique, réceptrice du pollen, à sa base. Enfin, ce « modernisme » se traduit par une étonnante facilité à s'hybrider, comme en témoignent de nombreux exemples naturels, même parmi la flore européenne, et ceci même entre genres différents !


Germer… pas une mince affaire

Le véritable engouement pour ces végétaux tenait en fait, à quelques caractéristiques botaniques très particulières de la famille des orchidées. Leurs minuscules graines, souvent dispersées par le vent, ne contiennent pas de réserves alimentaires indispensables à la germination. D’ailleurs, celle-ci ne se produit qu’en présence d'un champignon mycorhizien (Rhizoctonia sp.) avec lequel la graine noue des liens privilégiés. L’association de la racine d’orchidée et des filaments du champignon n’est rien d’autre qu’une symbiose bénéfique pour les deux partenaires : une mycorhize. En effet, le champignon apporte à la graine les éléments nutritifs qui lui sont nécessaires pour se développer. La plante demeure, pour le reste de sa vie, en relation symbiotique avec ce champignon. Ce n'est que vers 1900 que Noël Bernard mettra en lumière cette particularité et montrera que la germination devenait possible pour peu qu'on apporte à la graine les substances nutritives requises. Il ouvrira ainsi la voie à la culture en milieu artificiel et, dès lors, on put cultiver les orchidées à partir des graines.
 

De la graine aux premiers clones 

Les progrès ont suivi. Tout d'abord avec la culture in vitro en milieu stérile, à l'abri de tous les germes responsables de nombreux échecs de germination. Plus tard, en 1955, George Morel inventa le moyen de multiplier les plantes à partir de leurs cellules de croissance : les méristèmes. Grâce à cette technique, l’on pouvait obtenir un nombre illimité de clones d’une même plante. La généralisation du clonage permit de passer du stade artisanal… à la grande industrie. Et les orchidées passèrent du statut de raretés réservées aux amateurs à celui d'articles d'appel dans les jardineries et supermarchés, au point d'être sur le point de détrôner les roses au premier rang des ventes florales !
 

Vanda "Indigo Pride" - © MAPVivre d’air et d’eau fraîche…

La grande majorité des plantes commercialisées dérivent des espèces tropicales qui, pour la plupart, sont des épiphytes. Les orchidées qui  croissent dans les forêts tropicales, denses et très sombres au niveau du sol, vont chercher un peu de lumière en se développant sur les arbres en épiphyte, c'est-à-dire en utilisant l'hôte uniquement comme support. Les orchidées ne sont, en aucun cas des parasites, contrairement à une opinion couramment répandue. Cet habitat très particulier leur impose une adaptation très poussée. Les racines aériennes absorbent l'humidité de l'air ou l'eau de ruissellement à la surface de l'écorce, celle-ci apportant aux plantes, de manière assez parcimonieuse, les sels minéraux nécessaires. Pour faire face aux périodes de sécheresse, les orchidées développent en général des « pseudo-bulbes », véritables « bosses de chameau », où elles emmagasinent une réserve d'eau pour faire face à la disette. Le maigre apport en sels amène ces plantes à réduire leur partie végétative, souvent limitée à quelques feuilles coriaces, tout en privilégiant les fleurs. On voit ainsi des pieds minuscules arborant une floraison magnifique comme dans le cas de la Lælia speciosa des zones arides du Mexique. Cet habitat naturel explique pourquoi la culture des orchidées en pot se fait sur un compost artificiel formé de sphaigne, d'écorce de pins, voire de billes de plastique, en l’absence de tout humus. Il explique aussi pourquoi un tel milieu demande l'apport d'engrais. C'est aussi la raison d'un besoin limité en eau. Bien souvent, les amateurs arrosent trop leurs orchidées – qui préfèrent une atmosphère raisonnablement humide à un arrosage fréquent – et par conséquent, beaucoup de ces plantes meurent à cause d’un arrosage abusif !


Hybridations et obtentions

Le développement de ces hybrides au niveau commercial est dû à trois raisons bien différentes. Comme partout, les hybrides, surtout de première génération, se parent de fleurs beaucoup plus grandes que les espèces « botaniques » dont ils dérivent. Très robustes, ils sont en plus d'une culture beaucoup moins exigeante, d'où un grand intérêt pour les amateurs.

Par ailleurs, le succès rencontré par les orchidées a amené très vite des effets de mode. Ainsi, les Cattleya, jadis tellement en vogue, ne le sont plus de nos jours, alors que les Phalaenopsis omniprésents, chaque année offrent de nouvelles variétés ; la plante passant du blanc au moucheté puis, récemment, au zébré, très « tendance » ! Cette recherche de nouveauté permanente passe, bien sûr, par l'édition incessante de nouvelles variétés.

Enfin, et cela est un côté plus positif, la réglementation en vigueur pour la protection des espèces botaniques (réglementation CITES [2] de la Convention de Washington) interdit toute exportation et le commerce d’orchidées botaniques.

Les hybrides cultivés, non soumis à ces règles, sont donc la solution, et protègent de ce fait indirectement la biodiversité du vandalisme. La liste de référence des hybrides créés, déposée à Londres, regorge de variétés nouvelles, certaines regroupant les gènes de deux, trois ou quatre genres ! Ces plantes sont stériles mais la culture, à partir des méristèmes, n'en a cure.

 

Pollinisation : l’art du costume

Le mode de dispersion des graines et les chances assez minimes de voir la germination réussir ont entraîné une production de graines considérables. L'ouverture d'une gousse d'un Orchis de nos contrées est toujours une source d'étonnement tant le nombre de semences est élevé. Pour produire un nombre si élevé de graines, il faut beaucoup de pollen, aussi la famille des Orchidacées a-t-elle développé des stratégies variées visant toutes à augmenter l'efficacité du mécanisme de pollinisation. Le pollen est agrégé pour former des pollinies compactes qui seront transportées en bloc par un insecte vers une autre fleur, évitant toute déperdition. Par ailleurs, le choix des insectes pollinisateurs est très critique. Le cas de nos Ophrys est bien connu et typique de cela. La fleur « choisit » une espèce bien particulière de petites guêpes chez qui les mâles éclosent quelques jours avant les femelles. Profitant de la chasteté forcée de ces bestioles, les fleurs parent leur labelle des couleurs de la femelle, allant  parfois jusqu'à transformer leurs pétales latéraux en pseudo antennes ! Certaines parviennent même à émettre le signal sexuel olfactif de ces guêpes (phéromone) pour mieux leurrer les « pauvres » mâles en manque. Ceux-ci « s’accouplent » avec ce labelle déguisé en femelle (c’est ce que l’on appelle une « pseudocopulation ») et repartent inassouvis et déçus après cette tentative frustrante, mais emportant souvent les précieuses pollinies collées à leur corps (les pollinies sont munies d'un adhésif efficace !) vers une autre fleur sur laquelle ils tenteront à nouveau leur chance. Ainsi, la spécificité du choix de l'insecte permet-elle de faire transporter là où il faut le précieux pollen. Évidemment, la spécificité a une contrepartie, il faut attendre parfois longtemps avant que ne se présente un « prince charmant ». Aussi les fleurs d'orchidées, dans leur grande majorité, restent-elles écloses pendant une période parfois très longue, en particulier celles qui nous sont venues des tropiques, et cela fait bien l'affaire des cultivateurs et des fleuristes ! Un pied de Phalaenopsis peut rester en fleurs jusqu'à six mois ! Qui dit mieux !

Par delà leur beauté et leur longue floraison, les orchidées qui sont très bien adaptées pour vivre dans nos appartements présentant, en général, une grande facilité à refleurir d'année en année, pour peu qu'on leur donne un minimum de soins. Que de raisons pour se découvrir amateur de ces plantes
Ophrys candica - © MAPCoelogyne burfodiense - © MAPVanda tricolor suavis - © MAP

   

[1] salep : sorte de poudre obtenue à partir de racines d’orchidées, très recherchée pour ses vertus aphrodisiaques…

[2] CITES : Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna an Flora (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d'extinction).