Les mycorhizes en agriculture et horticulture: Le modèle canadien

Jacques-André Fortin

La symbiose mycorhizienne: un phénomène fondamental et universel dans l’évolution et le fonctionnement des plantes et des écosystèmes terrestres.

Représentation schématique d’une radicelle colonisée par un champignon mycorhizien. Proportionnellement, en situation réelle, la phase extraracinaire s’étend bien au delà de la racine

Figure1 : Représentation schématique d’une radicelle colonisée par un champignon mycorhizien. Proportionnellement, en situation réelle, la phase extraracinaire s’étend bien au delà de la racine Dessin, J. André Fortin

 

Depuis la démonstration originale de Barbara Mosse en 1958, ce postulat continue de se confirmer dans la majorité des travaux de recherche mobilisant aujourd’hui des milliers de chercheurs et praticiens de par le monde. Devant l’ampleur du phénomène, auquel n’échappent ni les plantes agricoles ni les plantes horticoles, maraichères aussi bien qu’ornementales, on a cherché à définir comment on pourrait mettre à contribution cette symbiose pour rationaliser les pratiques agricoles et les orienter vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Nous ne parlerons ici que des mycorhizes arbusculaires prévalant chez les plantes agricoles et horticoles.

 

Dans les manuels de botanique des années 2000, on retrouve encore une description des racines primaires des plantes le plus souvent dépourvues de leur symbiose arbusculaire. Et pourtant, cette symbiose omniprésente modifie en profondeur les relations des plantes avec le sol et sa fertilité, avec les autres microorganismes du sol, avec les organismes pathogènes ainsi qu’avec les insectes pollinisateurs et les herbivores. La composition chimique des plantes est modifiée par la présence des mycorhizes, ce qui affecte sans aucun doute la composition de nos aliments. Devant ces considérations, il faut conclure qu’il n’y a pas d’agriculture biologique valable sans une considération approfondie du rôle des mycorhizes.


Effet de l’inoculation mycorhizienne sur la productivité de pommes de terres. Photo PremierTechBien que les champignons mycorhiziens soient omniprésents dans les sols naturels, les pratiques culturales perturbent le plus souvent leurs populations et leur diversité. Dans ces conditions, les nombreuses expériences conduites depuis plus de 10 ans au Canada et ailleurs dans le monde démontrent le plus souvent que l’addition aux sols de spores ou propagules de ces champignons (inoculum) se traduit par un départ plus rapide du développement de la plante, une floraison plus hâtive et des rendements accrus. L’utilisation de ces inocula permet de réduire l’utilisation d’engrais phosphatés de 25% ou même 50 % selon les sols, les espèces végétales et leurs cultivars. L’incidence des maladies est également moins fréquente, ce qui se traduit par une réduction de l’utilisation des biocides. Un meilleur approvisionnement en eau permet à la plante de mieux résister aux épisodes de sécheresse. Finalement, l’utilisation de l’inoculation mycorhizienne se traduit pour le producteur par des gains significatifs en rendement et en retour sur les investissements, accompagnés de réduction substantielle des fertilisants et pesticides de synthèse.


Mais voici que la production industrielle de ces champignons mycorhiziens arbusculaires présente un défi de taille. Associés aux plantes depuis leur apparition, il y a plus de 400 millions d’années, ces champignons sont devenus totalement inféodés à leurs symbiotes végétaux, de sorte que pour en produire les spores (semences) il faut absolument faire appel à une plante porteuse. L’existence d’une telle contrainte pour la production industrielle massive sur plantes entières permettant l’inoculation de millions d’hectares nécessiterait des installations onéreuses et risquées quant à l’introduction de contaminants et la régularité des productions. Tout de même, dans les années 1980, faute de mieux, nous produisions des inocula efficaces de souches sélectionnées en serres.

 

Sélection de souches et production de spores sur plantes entières. La souche inconnue #3 est devenu par la suite la souche DAOM 196197 du Glomus irregulare - © J. Fortin.

Figure 3. Sélection de souches et production de spores sur plantes entières. La souche inconnue #3 est devenu par la suite la souche DAOM 196197 du Glomus irregulare - © J. Fortin.


Utilisation de racines isolées pour l’étude et la multiplication aseptique des mycorhizes arbusculaires. (a) Vue d’ensemble d’un Petri à doubles compartiments. Le champignon saute la butée de séparation et gagne le milieu externe simulant le sol. (b) En vue rapproché, grande abondance de spores produites - © M. St-ArnaudAvec Guillaume Bécard, étudiant diplômé dans notre laboratoire et maintenant professeur à l’université Paul Sabatier à Toulouse, nous avons développé en 1988 ce qui s’est avéré une innovation biotechnologique déterminante non seulement pour la production massive de spores à l’échelle industrielle mais aussi incontournable pour l’avancement des connaissances fondamentales sur ces champignons toujours difficiles à étudier.

Cette innovation fait appel à la culture de racines isolées de leur tige, permettant de faire croître aseptiquement les champignons arbusculaires, à l’obscurité dans un simple incubateur, la partie aérienne photosynthétique étant remplacée par un apport en sucre et en minéraux essentiels dans leur milieu de culture

 

 

La sélection et la mise en culture des souches performantes

Il existe quelques centaines d’espèces de champignons arbusculaires et un nombre presqu’infini de souches pour l’ensemble de ces espèces. Les chercheurs et les industriels parlent souvent de la supériorité d’une espèce par rapport à une autre, alors que la variation des souches à l’intérieur d’une même espèce peut dépasser largement celle existant entre les espèces. Même si une souche s’avère performante dans des expériences en pots ou en sols, elle reste sans aucune utilité pratique si elle ne se prête pas à la multiplication massive sur organe racinaire, à l’échelle industrielle. Cette condition doit être remplie avant même d’évaluer l’efficacité des souches obtenues. Dès 1978, nous avons isolé une souche du Glomus irregulare, devenue célèbre sous le nom DAOM 197198; elle est maintenue sur culture de racine dans la collection de souches du gouvernement canadien à Ottawa. En conditions aseptiques sur culture d’organe racinaire, cette souche peut produire plus de 15 000 spores en 16 semaines, alors que sous des conditions comparables les souches suivantes ne produisent que quelques centaines de spores, ce qui est généralement le cas avec les souches des autres espèces de champignons mycorhiziens. Reproduite depuis douze ans sur culture d’organe racinaire, à l’échelle laboratoire aussi bien qu’industrielle, cette souche demeure toujours aussi prolifique. Bien qu’il existe sans doute dans la nature d’autres souches de productivité égale ou supérieure, celle-ci a permis de faire une percée majeure à l’échelle industrielle avec le développement de nombreuses formulations et des centaines d’essais à l’échelle de cultures aux champs.

 

La production industrielle massive des inoculants

Deux grandes entreprises internationales produisent actuellement des inocula aseptiques en quantités massives. Il s’agit de PremierTech au Canada et de Teri en Inde; bien que les procédés fassent l’objet de secrets industriels, il s’agit d’une mise à l’échelle de la méthode de culture sur racine isolée que nous avons réalisée en 1988. Au Canada la production de 530 billions de spores annuellement se fait dans une même usine de 1800 m2 .

 

Installations de la compagnie canadienne Premier Tech au Canada permettant la production en conditions  aseptiques de 520 billions de spores annuellement - © Pemier Tech.

Figure 5. Installations de la compagnie canadienne Premier Tech au Canada permettant la production en conditions  aseptiques de 520 billions de spores annuellement - © Pemier Tech.


Jusqu’à récemment, seule la souche DAOM 197198 a été propagée. Forte des résultats obtenus chez les producteurs, cette entreprise développe maintenant d’autres souches tout aussi efficaces se prêtant à la fois à la multiplication massive toujours sur culture de racine isolée. En Inde, la production décentralisée en sept usines réalise une production de plus de 200 billions de spores annuellement. L’entreprise Teri entreprend maintenant la distribution et la production de tels inocula ailleurs dans le monde. Dans cette entreprise on a favorisé la diversité des souches dès le départ, le produit industriel en comptant jusqu’à neuf. Plusieurs entreprises produisent également des inocula sur plantes entières dans différents pays, mais jusqu’ici la réglementation canadienne n’autorise la mise en vente que de produits issus de cultures aseptiques sur racine isolée.

 

Les formulations

Produire les inocula est une chose, mais assurer le succès de l’inoculation selon les différentes pratiques et les différents équipements utilisés en horticulture et en agriculture constitue un autre défi majeur.

 

Équipements agricoles auxquels on doit adapter les formulations contenant les inoculums mycorhiziens. Photo Premier Tech

Figure 6. Équipements agricoles auxquels on doit adapter les formulations contenant les inoculums mycorhiziens - © Pemier Tech.


Pour assurer une formation précoce et efficace de la symbiose sur les plantes, les spores doivent germer au voisinage immédiat lors du développement des toutes premières racines formées dans le substrat. En horticulture, la façon la plus simple est d’incorporer les spores dans les substrats de culture utilisés pour le démarrage des plants à repiquer. Ces milieux constitués par exemple de tourbe, de perlite et de vermiculite additionnés de fertilisants compatibles avec la formation des mycorhizes assurent non seulement la colonisation des racines, mais également le développement d’un réseau mycélien envahissant rapidement l’ensemble de la motte. Dans les premiers instants de son développement, la plantule doit recevoir un apport rapide en nutriments, ce que le réseau mycélien assure efficacement. Pour chaque cm2 de surface racinaire, on peut compter sur 10 cm2 de surface mycélienne du champignon, assurant l’interface avec le substrat. Par exemple, des plants de tomate ainsi traités apporteront avec eux les mycorhizes et un réseau mycélien bien établi au moment du repiquage et de la reprise au champ. S’ils ont bien compris, les pépiniéristes devraient assurer la production et la vente uniquement de plants mycorhizés. La formulation diffère pour les espèces propagées par semis, les spores étant mélangées à une poudre grossière que l’on applique dans de sillon avant l’ensemencement. Cette même poudre pourra être utilisée au moment de transplanter des rosiers à racines nues ou de planter des bulbes. Ces situations sont celles que rencontrent le jardinier amateur ou l’horticulteur travaillant à petite échelle. Mais une foule d’autres situations se présentent, par exemple les responsables de terrains de golf ont besoin d’une formulation adaptée à leur besoin. Les paysagistes aussi qui faute de disposer de plants mycorhizés en pépinière, doivent appliquer l’inoculum en surface de la motte au moment de la transplantation. Mais lorsqu’il s’agit des grandes cultures, là commence le grand défi. Les producteurs qui ensemencent 100, 1000 ou 10 000 hectares, pratiquant des façons de faire éprouvées avec des machineries aux technologies avancées, acceptent mal l’idée de modifier l’une ou l’autre pour introduire les mycorhizes dans leurs cultures. Chaque espèce de plante présentant une contrainte propre, l’inoculation de lentilles, de blé ou de pommes de terre ne peut se faire de la même manière. La lentille, une légumineuse fixatrice d’azote profite de l’inoculation avec les rhizobiums, mais les producteurs ne sont pas disposés à effectuer une deuxième application pour accommoder les champignons mycorhiziens; il faut donc leur présenter une formulation portant à la fois les rhizobiums et les spores des champignons mycorhiziens. Pour les grandes cultures, les agriculteurs utilisent de plus en plus les semences enrobées comportant  des fertilisants et des phytocides. Il faut alors assurer la compatibilité de ces apports avec la survie des champignons mycorhiziens.

 

Avenir de la biotechnologie mycorhizienne

Tous les concepts et les pratiques de l’agriculture et de l’horticulture ont été conçus comme si les mycorhizes n’existaient pas. Or elles existent depuis le tout premier moment de l’apparition des plantes terrestres il y a 400 millions d’années, conséquemment il faut repenser l’ensemble de ces principes et pratiques à la lumière des rôles joués par la symbiose mycorhizienne. L’inoculation mycorhizienne réussie assure un développement plus rapide de la plante, permet une diminution substantielle des fertilisants de synthèse, notamment les phosphates, améliore la résistance à la sécheresse, assure une protection contre les maladies bactériennes et fongiques ainsi que contre les nématodes. La qualité des aliments se voit améliorée. En janvier 2013, lors de l’inauguration de la 7e Conférence Internationale sur les Mycorhizes, tenue à Nouvelle Delhi en Inde, le ministre de la Science et de la Technologie de ce grand pays est venu nous expliquer pourquoi la technologie mycorhizienne s’avère d’une importance cruciale non seulement pour son pays, mais aussi pour l’ensemble des pays du monde. En agriculture, le XXe siècle aura été celui de la chimie, le XXIe siècle sera celui de la biologie.

 

mars-avril 2013