Les marchés du carbone, une opportunité pour les forêts

Clément Chenost

Les forêts couvrent 30 % de la surface terrestre et renferment plus de la moitié du carbone accumulé par les écosystèmes terrestres. Les « crédits carbone » peuvent aujourd’hui rémunérer les services environnementaux que fournissent les forêts et participer ainsi à l’effort d’atténuation de l’effet de serre.

La forêt, puits de carbone © Sergei Karapanov

Les forêts renferment, à l’échelle mondiale, environ la moitié du carbone accumulé par les écosystèmes terrestres. La dynamique des écosystèmes terrestres dépend des interactions entre le cycle du carbone, les cycles des éléments nutritifs et le cycle de l’eau. Les forêts occupent un rôle clé dans le cycle du carbone. La photosynthèse permet aux arbres de capter le CO2 de l’atmosphère et de le transformer en molécules organiques grâce à l’énergie solaire. Ainsi, les processus de photosynthèse, de respiration, de transpiration, de décomposition et de combustion entretiennent la circulation naturelle du carbone entre les écosystèmes et l’atmosphère. Le stock de carbone contenu dans les écosystèmes forestiers varie selon les conditions climatiques et les types de sol notamment. Une partie importante de ce stock est contenue dans le sol.
 


Bilan des flux atmosphériques © GIECUn élément clé du cycle du carbone

Les activités humaines peuvent modifier les stocks et les échanges de carbone. Via la déforestation et le drainage des forêts marécageuses, le secteur forestier participe à hauteur de 11 % aux émissions mondiales de Gaz à Eff et de Serre (GES). Cependant, les forêts absorbent globalement plus de carbone qu’elles n’en émettent : on dit qu’elles constituent un « puits » de carbone. Chaque année, elles séquestrent, à l’échelle mondiale, environ 1 milliard de tonnes de carbone.
Les différents facteurs qui impactent les forêts, dont les changements climatiques eux-mêmes, rendent complexe toute analyse de cet effet puits et toute projection sur l’avenir. Il est en effet difficile aujourd’hui d’évaluer de façon précise la part relative et l’impact probable dans l’avenir de facteurs favorables ou défavorables à la forêt, tels que la concentration en CO2 atmosphérique, les dépôts azotés d’origine atmosphérique (rejets agricoles et automobiles), la température, les évènements climatiques extrêmes, les incendies…

Toutefois, les conclusions du dernier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Changement Climatique) insistent sur le fait que le secteur forestier peut contribuer de façon importante aux efforts d’atténuation du réchauff ement climatique. La forêt s’inscrit donc dans un double défi pour notre société, sous l’angle de l’adaptation de la forêt aux nouvelles conditions climatiques, et sous l’angle de l’atténuationde l’effet de serre.
 

Une place encore très restreinte au sein des marchés du carbone

Il n’y a pas un marché mais des marchés du carbone caractérisés par leurs règles, les types d’actifs échangés ainsi que par les types d’acteurs impliqués. On en distingue deux grandes catégories.
Les marchés régulés font intervenir des acteurs qui ont des engagements de réduction d'émissions dans le cadre d'accords internationaux, de politiques nationales ou locales. Les principaux marchés d’engagements sont ceux défi nis à l’échelle internationale par le Protocole de Kyoto, ou à des échelles plus régionales comme l’EU-ETS (European Union Emission Trading Scheme) en Europe.
Dans les marchés volontaires, des acteurs prennent des engagements volontaires de réduction de leurs émissions et achètent des réductions d’émissions pour « compenser » ou « neutraliser » leurs impacts sur le climat. Cette demande a créé un marché de détail où s’échangent des crédits volontaires. En 2008, ce marché n’a représenté que 2 % des marchés régulés.


© FAO
 

Quelle demande pour les crédits forestiers ?

La demande en crédits forestiers des marchés régulés est aujourd’hui très restreinte pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la principale demande en crédits régulés dans le monde est constituée par les industriels européens sous quotas. Or, ces derniers n’ont pas accès aux crédits forestiers pour remplir leurs engagements. Les pays engagés dans le protocole de Kyoto peuvent y avoir recours, mais seulement dans le cadre de projets visant à créer de nouveaux boisements et non à l’amélioration des forêts existantes. Cependant, les projets forestiers sont plus complexes que d’autres technologies de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, ce qui a pu amener les acheteurs de crédits à s’en détourner. En conséquence, la demande en crédits forestiers est limitée à certains pays du protocole de Kyoto, à quelques marchés régionaux de taille restreinte et au marché volontaire. Dans ce dernier cadre, plus souple, la place des projets forestiers est plus importante. Les activités éligibles sont plus diverses : reboisement, lutte contre la déforestation tropicale, amélioration de la gestion sylvicole et même stockage de carbone dans les produits bois.
 


Pesée de biomasse en forêt naturelle au Chili. Les marchés régulés.

La dimension des marchés volontaires reste très restreinte face à l’ampleur des enjeux liés au changement climatique, c’est pourquoi seule une réelle intégration du secteur au sein des marchés régulés permettra de diriger des flux financiers d’ampleur vers la forêt et de lutter effi cacement contre le réchauffement climatique. Ainsi, les négociations en vue d’un accord post-Kyoto visent maintenant à réintégrer la question de l’inclusion des forêts au coeur du dispositif global de lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, d’autres marchés d’engagement (Europe, Etats-Unis, etc.) envoient des signaux positifs pour la création d’un vaste marché de crédits forestiers. L’évolution de ces régulations pourrait bouleverser la demande en crédits forestiers. Des travaux récents indiquent ainsi que pour réduire la déforestation de 50 % d’ici à 2030, l’investissement nécessaire serait considérable, compris entre 17 et 33 milliards de US$ par an.

 

 

Une plantation de Painera chorysia au Brésil : ces arbres captent le CO2 de l'atmosphère et le transforment en molécules organiques - © Clément Chenost Une plantation de teck (Tectona grandis), un autre exemple de forêt puit de carbone. - © Clément Chenost

LE CREDIT CARBONE

La mise en place des crédits carbone vise à aider les pays signataires à respecter leurs engagements internationaux en matière d’émission de gaz à effet de serre (Kyoto). Un crédit de carbone équivaut à l’émission d’une tonne de CO2. Ce sont des unités qui sont attribuées aux détenteurs de projet (États ou entreprises) qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre, et qu’il peut ensuite commercialiser pour financer ses projets.
Par exemple, une usine hydroélectrique évite l'émission de 30 000 t eqCO2 par an (parce qu'elle évite de brûler du charbon dans une centrale thermique pour fabriquer la même quantité de courant électrique). Le porteur de projet (souvent l'exploitant de l'usine) se voit attribuer 30 000 crédits carbone représentant chacun 1 tonne d'eqCO2 évitée. Il vend ses crédits carbone à quelqu'un qui lui achète et le revenu obtenu lui permet de rendre viable son installation.


[1] Mt equCO2 : millions de tonnes d'équivalent carbone sous forme CO2. Tous les gaz ne contribuent pas de façon équivalente à l'effet de serre. Pour pouvoir eff ectuer des calculs globaux, le CO2 est utilisé comme référence et toutes les émissions de gaz à effet de serre sont converties dans cette unité.

[2] Ecosystem Marketplace, 2010. State and Trends of the Forestry Carbon Market 2009.