Les bons fruits et légumes du jardin !

Laurent Urban

Celui qui possède un verger ou un potager est généralement envié. Ce privilégié peut cultiver ses propres fruits et légumes, réputés meilleurs au goût et meilleurs pour la santé. Mais qu’en est-il vraiment ?

La recommandation qui met tout le monde d’accord : consommer une grande variété de fruits et surtout de légumes, en quantité ! - © J.-F. Coffin
La recommandation qui met tout le monde d’accord : consommer une grande variété de fruits et surtout de légumes, en quantité ! – © J.-F. Coffin

 

Les fruits et légumes au jardin, qu’on suppose généralement cultivés sans pesticides et sans engrais chimiques, sont ils vraiment supérieurs ? Et que peut-on faire pour améliorer le goût et la qualité nutritionnelle des fruits et légumes au jardin ? Existe-t-il des pratiques, à la portée du jardinier amateur, permettant de doper les concentrations en arômes, en vitamines et autres composés naturels vitaux pour notre santé ou simplement bienfaisants ? Enfin, peut-on attendre des pratiques de l’agriculture biologique d’authentiques « bénéfices santé » ?

Les bienfaits des fruits et des légumes

Mettons un peu d’ordre dans un certain nombre de termes. Le premier est celui de composés secondaire. Il s’agit des composés chimiques naturels produits par les plantes qui ne sont ni des sucres, ni des lipides, ni des acides aminés, ni des protéines ou des acides nucléiques. Ces composés existent en général dans les plantes à des niveaux de concentrations faibles. Ce qui ne veut pas dire que leurs fonctions soient secondaires. Certaines de ces molécules sont des pigments ou des arômes impliqués dans les interactions entre les plantes et les insectes. D’autres jouent un rôle de premier plan dans la défense des plantes contre les maladies et les ravageurs…

Beaucoup de composés secondaires ont des effets sur les animaux qui les ingèrent. Parmi ces composés, certains contribuent à notre nutrition. On parle de phytomicronutriments (1).

(1) Voir dans ce dossier les articles de M J Amiot-Carlin et Véronique Coxam 1) Vitamines et minéraux 2) Micronutriments non essentiels

L’influence des pratiques culturales

Les viticulteurs appliquent couramment des privations d’eau pour améliorer la qualité de leur production - © J.-F. Coffin
Les viticulteurs appliquent couramment des privations d’eau pour améliorer la qualité de leur production – © J.-F. Coffin

L’idée selon laquelle il est possible d’agir au champ sur les concentrations en métabolites secondaires, arômes ou phytomicronutriments, des fruits et légumes n’est pas totalement neuve. Les viticulteurs appliquent couramment des privations d’eau pour améliorer la qualité de leur production. Scientifiquement, l’hypothèse selon laquelle les stress pourraient être exploités positivement pour stimuler le métabolisme secondaire des plantes fait sens (Ripoll et al. 2014). La privation d’eau entraîne une fermeture des stomates (certes dommageable pour la photosynthèse et le rendement) qui conduit mécaniquement à un déséquilibre entre la quantité d’énergie qui entre dans la feuille sous forme de photons et la quantité d’énergie utilisée par la photosynthèse. Les plantes savent généralement gérer ce déséquilibre pour limiter l’accumulation potentiellement dangereuse de ce qu’on appelle les espèces réactives de l’oxygène. Ces dernières, lorsqu’elles n’atteignent pas des niveaux dangereux pour la cellule, exercent, directement ou indirectement, un effet généralement stimulant sur les voies de synthèse des composés secondaires. En fait, ce ne sont pas juste les déficits hydriques, ce sont tous les stress qui potentiellement peuvent stimuler la synthèse des composés secondaires.

Éviter trop d’azote

Une alimentation limitée des fruits en sucres en début de croissance est favorable à la synthèse et à l’accumulation de caroténoïdes - © J.-F. Coffin
Une alimentation limitée des fruits en sucres en début de croissance est favorable à la synthèse et à l’accumulation de caroténoïdes – © J.-F. Coffin

On peut se demander si, en conditions de faible accumulation de métabolites primaires, la disponibilité de ces derniers ne limite pas la synthèse des composés secondaires qui en dérivent. Cela peut arriver. Inversement, une croissance forte peut se faire au détriment du métabolisme secondaire (théorie de la compétition entre fonctions de croissance et métabolisme secondaire). Nos propres observations sur fruits suggèrent qu’une alimentation limitée des fruits en sucres en début de croissance est en fait favorable à la synthèse et à l’accumulation de caroténoïdes. Bref, nous avons affaire à une vraie complexité. La recommandation pratique qu’on peut probablement faire sans risque c’est de réserver le stress plutôt à la fin du cycle productif, à un moment où l’on ne risque plus la perte de rendement.

Enfin, les privations d’azote stimulent la synthèse des composés secondaires, notamment des composés phénoliques. Là encore, pour ne pas pénaliser le rendement, on peut recommander simplement d’éviter les fertilisations azotées exagérées.

Le bio meilleur au goût et à la santé ?

On entend souvent que les produits bio sont meilleurs au goût. Pourtant, aucune étude n’a permis de conclure à une quelconque supériorité de ces derniers en termes de saveur ou d’arômes. Similairement, on crédite couramment les fruits et légumes bio de concentrations plus élevées en phytomicronutriments. Plusieurs études ont tenté de faire le point sur cette question. Yves Desjardins (2016) a étudié les synthèses existantes et évalué notamment la méta-analyse de Baranski et al. (2014). L’originalité de l’analyse d’Yves Desjardins est de questionner les idées qui fondent le concept de qualité micronutritionnelle. Jusqu’à présent, on admettait que les fruits et légumes nous étaient bénéfiques, notamment en raison de leurs apports en composés phénoliques antioxydants (surtout des flavonoïdes et des anthocyanines). Aujourd’hui on sait que ces composés n’agissent pas seulement à travers leurs propriétés antioxydantes mais également à travers des mécanismes plus subtils et plus complexes, ce qui rend la corrélation entre apports et bénéfices santé difficile à analyser. On a montré, tout récemment, que les composés phénoliques étaient capables d’agir indirectement, en influençant le microbiote intestinal. D’après Yves Desjardins, les quelque 12 % de composés phénoliques qu’on trouve en plus en moyenne dans les fruits et légumes bio ne peuvent pas sérieusement être crédités d’effets bénéfiques substantiels pour la santé des consommateurs.

Faut-il conclure que les fruits et légumes bio n’ont aucun intérêt ? Certainement pas. Les produits bio ont été obtenus à travers des méthodes durables qui respectent l’environnement ; ils présentent des taux de nitrate, de résidus de pesticides et de « métaux lourds » plus bas ; et ils nous apportent davantage de vitamine C. Le débat autour de la valeur micronutritionnelle du bio n’est pas clos non plus. On s’est beaucoup penché sur les composés phénoliques mais ils ne sont pas les seuls à contribuer à la valeur micronutritionnelle des fruits et des légumes.

Consommer varié

Tous les cultivars ne se valent pas du point de vue des apports micronutritionnels - © Jean Weber – INRA Versailles-Grignon
Tous les cultivars ne se valent pas du point de vue des apports micronutritionnels – © Jean Weber – INRA Versailles-Grignon

Il est théoriquement possible de manger des fruits et des légumes plus riches en composés bénéfiques pour notre santé. Certains cultivars sont plus performants à l’aune de ce critère. Certaines pratiques, inspirées de la vigne, pourraient également nous aider à obtenir des fruits et des légumes plus riches. En revanche, comme le montre le débat autour de l’agriculture biologique, nous ne pouvons pas attendre d’une petite augmentation des concentrations en phytomicronutriments un bénéfice santé très substantiel. La seule recommandation qui vaille finalement est de produire pour consommer largement des fruits et des légumes variés.

A lire…

– Barański, M., Średnicka-Tober, D., Volakakis, N., Seal, C., Sanderson, R., Stewart, G. B., … & Gromadzka-Ostrowska, J. 2014. Higher antioxidant and lower cadmium concentrations and lower incidence of pesticide residues in organically grown crops: a systematic literature review and meta-analyses. British Journal of Nutrition, 112, 794-811.

– Desjardins, Y. 2016. Are organically grown fruits and vegetables nutritionally better than conventional ones? Acta Horticulturae, 1137, 187-200.

– Gonord, F., Bidel, L., Fanciullino, A.L., Gautier, H., Lauri, F. and Urban, L. 2010. The health benefits of vitamins and secondary metabolites of fruits and vegetables, and the prospects to increase their concentrations by agronomic approaches. Journal of Agricultural and Food Chemistry, 58, 12065-12082.

– Ripoll J., Urban L., Staudt M., Lopez-Lauri F.l., Bidel L.P. and Bertin N. 2014. Water shortage and quality of fleshy fruits‚ making the most of the unavoidable. Journal of Experimental Botany, 65, 4097-4117.

– Urban, L. et Urban, I. 2010. Les secrets d’un jardin écologique. Belin. Paris. 320 pages.

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