Les alliances racinaires au commencement de l’histoire évolutive des plantes

Christine Strullu-Derrien

Plus de 90% des plantes actuelles sont associées à des champignons, avec lesquels elles forment des mycorhizes. Le terme mycorhize associe les mots grecs mukês = champignon et rhiza = racine. Il a été proposé par Frank en 1885 pour désigner les associations symbiotiques observées chez diverses espèces arborescentes, feuillues ou résineuses. Grâce à cette symbiose, le champignon reçoit de la plante les sucres produits lors de la photosynthèse et en retour celui-ci fournit à la plante les éléments minéraux, comme le phosphore ou l’azote. La majorité des plantes voient la symbiose avec les champignons se concrétiser au niveau des racines. Or, tout débute au Paléozoïque*, au niveau des axes aériens…

 

La colonisation de la surface terrestre par les plantes représente un événement capital dans l’histoire de la Terre. Les plus anciennes spores (cellules de reproduction) décrites, et attribuées à des végétaux vivant sur des terres exondées, proviennent de sédiments datés de -460 millions d’années (Ordovicien). Ces végétaux montrent une organisation proche des hépatiques actuelles. Le plus ancien champignon, Palaeoglomus grayi, considéré comme un gloméromycète a été décrit dans des sédiments de la même époque. Les gloméromycètes sont des symbiotes obligatoires, ils forment avec les plantes la symbiose mycorhizienne la plus répandue actuellement : les endomycorhizes à arbuscules. Les plantes entières sont présentes dans le registre fossile vers - 420 millions d’années (milieu du Silurien). Cooksonia est la plus ancienne plante vasculaire connue. Les plantes primitives sont de simples axes dichotomiques, sans feuilles ni racines, qui atteignent seulement quelques centimètres de hauteur. Des plantes préservées dans des dépôts de la fin du Silurien apparaissent plus grandes et plus complexes que Cooksonia suggérant une origine et une diversification précoce des lycophytes (plantes possédant des feuilles à une seule nervure). Les plantes vont ensuite se diversifier durant le Dévonien.

 


Les plantes terrestres (embryophytes) proviennent de lignées d’algues d’eau douce : les coléochaetales ou les charales (Kenrick & Crane, 1997) (Figure ci-dessous).

 

Palaeoglomus grayi (Mycotaxon, 2002, 84 : 33-37) Champignon de type gloméromycète. Parasite ou mutualiste : un lien entre  plante et champignon n’est pas clairement établi à cette époque. (Diamètre de la spore : 50 µm) - © D. RedeckerLes différents groupes de plantes

Palaeoglomus grayi (Mycotaxon, 2002, 84 : 33-37) Champignon de type gloméromycète. Parasite ou mutualiste : un lien entre  plante et champignon n’est pas clairement établi à cette époque. (Diamètre de la spore : 50 µm) - © D. Redecker (à gauche)
Les différents groupes de plantes (de l’Ordovicien à la fin du Carbonifère) d’après la classification de Kenrick & Crane, 1997. Les Lycophytes comprennent les Zostérophyllopsides et les  Lycopsides. Ord = Ordovicien, Sil = Silurien, Dév = Dévonien, Car = Carbonifère, I = inférieur, M = moyen, S = supérieur, Mis = Mississipien, Pen = Pennsylvanien. (à droite)



*Paléozoïque : - 541 à - 254 Ma

  Mésozoïque : - 254 à - 66 Ma

  Cénozoïque : - 66 à aujourd’hui


Rhynie, en Ecosse : un village situé à 50 km au nord-ouest d’Aberdeen - © C. Strullu-DerrienBloc de chert poli - © C. Strullu-Derrien


Rhynie, en Ecosse : un village situé à 50 km au nord-ouest d’Aberdeen - © C. Strullu-Derrien (à gauche) - Bloc de chert poli - © C. Strullu-Derrien (à droite)

 

Pour coloniser la surface de la Terre, les premières plantes ont acquis des structures leur permettant de survivre hors de l’eau. Elles ont mis en place une cuticule ou revêtement cireux étanche, des éléments de conduction et des spores pour leur dispersion. Pour obtenir les éléments minéraux dont elles avaient besoin et qui ne se trouvaient pas à l’état dissous dans le sol, on pense qu’elles se sont associées à des champignons. A - 460 millions d’années, on observe les champignons de type gloméromycètes et les spores des plantes; celles-ci sont de nature trop fragile pour être préservées dans le registre fossile. Les études anatomiques n’étant pas possibles, on ne possède pas d’indication sur la nature de l’association. Les premières traces d’endomycorhizes à arbuscules ont été décrites chez des plantes provenant d’un gisement d’exception, mondialement connu : les cherts de Rhynie en Ecosse. Ce gisement est daté de - 407 millions d’années (début du Dévonien).

 

Une preuve décisive

L’environnement dans lequel se développaient les plantes de Rhynie est considéré comme analogue au parc de Yellowstone (USA), caractérisé par la présence de sources d’eaux chaudes. Aucun autre cas de plantes primitives mycorhizées, évoluant dans d’autres environnements, n’a été décrit à ce jour. L’existence d’une association mycorhizienne a été suggérée dès 1921  (Kidston & Lang) chez des plantes de Rhynie, notamment chez Rhynia gwynne-vaughani et Aglaophyton major. Elle a été confirmée quelque 50 ans plus tard (Boullard et Lemoigne), puis la preuve décisive a été fournie en 1994 (Remy et collaborateurs), par la visualisation des arbuscules comparables à ceux observés chez les plantes actuelles. Les plantes terrestres présentent un cycle de développement comprenant deux générations : le gamétophyte et le sporophyte. L’association mycorhizienne a été décrite à la fois chez le gamétophyte et le sporophyte d’Aglaophyton major, le gamétophyte ayant été décrit sous le nom de Lyonophyton rhyniensis.

 

Les plantes du chert de Rhynie ont des éléments conducteurs différents des trachéides (éléments de conduction de la sève brute) des plantes actuelles; bien qu’elles soient déjà relativement complexes, elles se trouvent à un stade intermédiaire entre les bryophytes et les plantes vasculaires (ou trachéophytes).

 

 

Aglaophyton major (hauteur : 12 cm) (D’après Edwards, 1986)Arbuscules chez Aglaophyton major - © Hans Kerp

 

Aglaophyton major (hauteur : 12 cm) (D’après Edwards, 1986) et Arbuscules chez Aglaophyton major (Diamètre des cellules : 100 µm) - © Hans Kerp


Il est important de souligner que la mycorhization intervient chez ces plantes primitives au niveau des axes aériens rhizomateux et non pas au niveau des racines, dont ces plantes sont dépourvues. La pénétration par le champignon a lieu au niveau des stomates. Un autre exemple de plante mycorhizée est en cours d’étude, montrant une voie de pénétration différente lors de la colonisation des axes aériens.

 

Du Dévonien au Carbonifère

Au cours du Dévonien, considéré comme l’âge d’or du développement des plantes, toutes les structures caractérisant celles-ci - à l’exception de la fleur - vont se mettre en place. Trois groupes (cladoxylopsides, lycophytes, archéoptéridales) présentent des formes arborescentes. Aucune association mycorhizienne n’est décrite chez ces arbres. Parmi ces trois groupes, différentes tentatives de mise en place du bois existent. On sait maintenant que la structure « bois » a d’abord été développée chez des plantes de petite taille du Dévonien inférieur. Un bois présentant de grandes cellules avec des parois minces, c’est à dire un bois de faible densité, a permis d’accroître la rigidité des axes aériens. Les formes arborescentes apparaissent au Dévonien moyen et constituent déjà des forêts diversifiées, présentant plusieurs strates, comme le montre l’étude récemment publiée sur la forêt fossile de Gilboa (New York, USA).

 

Le Carbonifère fait suite au Dévonien. Durant cette nouvelle période, il y a environ 300 millions d’années, de grandes forêts se développent sur les terres émergées. Les lycophytes, ayant pour représentants actuels seulement des plantes herbacées, en constitue l’élément dominant. Lepidodendron est un arbre qui peut atteindre plus de 30m de hauteur. Un champignon mycorhizien arbusculaire a été décrit, chez un de ces arbres, au niveau du système racinaire constitué d’un important rhizome, qui porte le nom de Stigmaria. Les forêts de la fin du Carbonifère sont à l’origine du charbon, dont on connaît le rôle dans l’essor industriel du XIXe siècle.


A l’origine, le système racinaire des plantes semble avoir été dévolu à un accroissement de la surface de sol colonisé plutôt qu’à un développement  en profondeur des racines. La première racine mycorhizée, semblable à une racine actuelle et caractérisée par la présence d’un endoderme, est mise en évidence chez une cordaite - conifère primitive - de la fin du Carbonifère. Le groupe des cordaites comprend de grands arbres aussi bien que des arbustes. Il est connu comme ayant occupé des habitats variés, allant des mangroves à des endroits plus secs à l’intérieur de terres.

 

Stigmaria  dans la forêt fossile de Victoria Park, Glasgow (Ecosse) - © C. Strullu-DerrienRadicelle mycorhizée de cordaite : la plus ancienne trace d’association racine-champignon (New Phytologist, 2009, 182: 561-564). Diamètre de la radicelle : 0,6 mm  - © C. Strullu-Derrien

Stigmaria dans la forêt fossile de Victoria Park, Glasgow (Ecosse).Hauteur : environ 90 cm - © C. Strullu-Derrien (à gauche)

Radicelle mycorhizée de cordaite : la plus ancienne trace d’association racine-champignon (New Phytologist, 2009, 182: 561-564). Diamètre de la radicelle : 0,6 mm  - © C. Strullu-Derrien (à droite) 

 

Des lames prometteuses

L’histoire des endomycorhizes se poursuit au Mésozoïque*. Des associations ont été décrites chez Antarcticycas schopfii (Cycadophytes) et chez le conifère Metasequoia milleri, tous deux disparus. Le deuxième grand type de mycorhizes - les ectomycorhizes - concerne majoritairement les arbres des forêts tempérées froides et boréales ainsi que certains espèces des forêts tropicales. Les partenaires fongiques sont différents de ceux formant les endomycorhizes à arbuscules ; Des ascomycètes, des basidiomycètes et des zygomycètes constituent les ectomycorhizes. Il faut attendre le Cénozoïque* (vers - 50 millions d’années) pour trouver les premières traces d’ectomycorhizes ; celles-ci ont été décrites chez le genre Pinus et, très récemment, chez une angiosperme probablement de la famille des Dipterocarpaceae. Cependant plusieurs évidences (date d’apparition des plantes concernées, données moléculaires) plaident en faveur d’une origine plus précoce des ectomycorhizes, peut-être aux environs de - 200 millions d’années. Le registre fossile des mycorhizes est à ce jour peu documenté. Il y peu d’observateurs ayant l’œil ou l’envie pour les trouver. Les lames minces se trouvant dans les collections des principaux muséums européens et de certaines universités s’avèrent être un matériel très intéressant pour l’étude des interactions plantes champignons et autres microorganismes. Ces lames minces ont été réalisées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle dans le but de décrire des plantes fossiles. La plupart des résultats récents ont été obtenus à partir des nouvelles études réalisées sur ces lames minces. De par la richesse de leur contenu, celles-ci se montrent très prometteuses pour de futures descriptions.

 

Remerciements 

Hans Kerp, Institut für Geologie und Palaontologie, Forschungsstelle für Palaobotanik, Westfalische Wilhelms-Universität Münster, Germany

Dirk Redecker, UMR 1347 Agroécologie, Pôle Interactions Plantes-Microorganismes - ERL CNRS 6300, BP 86510, 17 rue Sully, 21065 Dijon cedex, France

Nigel Trewin, University of Aberdeen, Department of Geology and Petroleum Geology, Meston Building, Aberdeen, AB24 3FX, UK

Brian Devlin, Land and Environmental Services, 231 George Street, Glasgow G1 1RX, UK.

Pour la relecture du manuscrit :

Marc-André Selosse, Université Montpellier II, Centre d'Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CNRS, UMR 5175), 1919 Route de Mende, 34 293 Montpellier cedex 5, France

Paul Kenrick, The Natural History Museum, Department of Earth Sciences, Cromwell Road, London SW7 5BD, UK

* Paléozoïque : - 541 à - 254 Ma

  Mésozoïque : - 254 à - 66 Ma

  Cénozoïque : - 66 à aujourd’hui

3 thoughts on “Les alliances racinaires au commencement de l’histoire évolutive des plantes”

  1. Bonjour,
    Désolé mais les illustrations ne sont toujours pas visibles.
    Dommage ! ça nous intéresse aussi même si nous nous situons ici au niveau du néolithique en matière de gestion des sols agricoles.
    Jacques Mermoud

    1. Monsieur Mermoud,

      Un grand merci pour votre message qui nous a permis de corriger ce manque.
      Nous vous souhaitons une agréable lecture.

      L’équipe Jardins de France

  2. Bonjour,
    Toujours pas de visualisation de vos figures qui illustrent les textes explicatifs.
    Est-ce un mauvais coup de Monsanto ?
    Merci
    Jacques Mermoud (encore)

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