Le piment : des goûts et des couleurs pour tous les amateurs d’épices

Anne-Marie Sage-Palloix

Piments rouge du Bhoutan - © M. Cambornac
Piments rouge du Bhoutan – © M. Cambornac

Lorsque Christophe Colomb part vers l’ouest, il rencontre les civilisations amérindiennes qui ont domestiqué le piment. Il le ramène en Europe en 1493. En l’espace d’un siècle, le piment se répand dans le monde entier. Son acclimatation aisée et sa facilité de culture ont permis aux gens du peuple de se fournir en épices. Les Portugais ont répandu des piments du Brésil en Afrique et en Inde. Les galions espagnols, à partir d’Acapulco et de Lima, ont exporté le piment vers Manille, la Chine et l’Asie du Sud-Est.

Le piment appartient à la grande famille des Solanacées dans laquelle le genre Capsicum comprend tous les piments. La dénomination Capsicum date du 16è siècle et provient du latin où elle signifie « boite », ce qui correspond bien à la structure du fruit creux dans lequel sont stockées les graines. Il existe environ 25 espèces de Capsicum dont 5 sont cultivées.

Piments du Mexique

C. annuum : fleur blanche, solitaire. C’est le plus connu sous nos latitudes où il est cultivé en plante annuelle. Selon les variétés, il peut produire de gros fruits doux ou des fruits plus petits et souvent brûlants (Cayenne et autre variétés). Cependant ces deux caractères sont indépendants et il y a des variétés à gros fruits brûlants et des variétés à petits fruits doux ! Une espèce proche, C. frutescens, aux fleurs verdâtres, à pédoncule nettement coudé, est parfois cultivée en plante pérenne et forme un arbrisseau pouvant vivre 4 à 5 ans. De cette espèce a été sélectionnée la variété Tabasco.

Piments vert du Bhoutan - © M. Cambornac
Piments vert du Bhoutan – © M. Cambornac
Piments des Andes

Aji est le piment chéri des andins. C. baccatum possède des fleurs blanches marquées de chevrons jaunes. Rocoto est plus bolivien que péruvien : c’est le C. pubescens à fleurs violettes et graines noires.

Piments Amazone-Caraïbe

C. chinense n’a rien de chinois sinon la forme des fruits qui peuvent faire penser à de petites lanternes chinoises, de couleurs vives, à surface toute plissée. Très parfumé, il connait un grand succès aux Antilles et en Afrique de l’Ouest car cette espèce est très adaptée aux climats chauds et humides

Deux millions d’hectares

Au niveau mondial, les surfaces cultivées pour la production de poudre de piment atteignent 2 millions d’ha pour 3,4 millions de tonnes de produit sec. Cette surface équivaut à celle consacrée aux piments et poivrons frais (1,9 millions d’ha, pour 31 millions de tonnes de produit frais). L’Asie est le plus gros producteur avec 2,4 Mt devant l’Afrique (0.62 Mt), les Amériques (0,25 Mt) et l’Europe (0,12 Mt). Les leaders de ces continents sont la Chine (0,29 Mt), l’Ethiopie et le Ghana (0,1 Mt chacun), le Pérou (0,18 Mt). En Europe, ce sont principalement la Roumanie (47 000 t), la Bosnie-Herzégovine (27 000 t), et la Hongrie (22 000 t).

De très nombreuses variétés sont utilisées pour le séchage des fruits et la production de poudre de piment qui peut être douce, modérément brûlante ou très brûlante (encadré 2).

Les noms du piment

Pour les professionnels, le mot « piment » désigne tout d’abord la plante, qu’elle produise de petits fruits brûlants (piments) ou de gros fruits doux (poivrons). Dans de nombreux pays, les mêmes mots recouvrent à la fois poivre et piment. Ainsi pepper en anglais, peretz en russe, de même fil-fil en arabe et en persan, ce qui prête à confusion. Aussi ajoute-t-on souvent le qualitatif de rouge pour le piment. Red Pepper, en Amérique est le piment, non le poivre rouge. Même en France, le poivre de Cayenne désigne bien un piment. Trois dénominations sont utilisées en France.

Piment est le plus commun et le plus général. Il dérive du latin pigmentum qui veut dire colorant, fard mais aussi aromate, condiment, de même que pimiento qui est le nom espagnol pour toutes les sortes de piment.

Poivron caractérise les piments à gros fruits dépourvus de saveur brûlante. C’est un augmentatif du mot « poivre » (gros poivre), de même que peperone en italien.

Paprika a été emprunté au Hongrois, où il désigne toutes les variétés de piment et poivron. En Français, son sens a été détourné puisqu’il désigne la poudre de piment, qu’elle soit brûlante ou douce.

Le piment brûle mais ne pique pas

Le goût brûlant du piment est dû à un alcaloïde qui est synthétisé sur le placenta des fruits et que l’on ne trouve que chez lui : la capsaïcine et ses isomères. Ces variations mineures vont contribuer à des effets gustatifs différents. Ces capsaïcines imitent un neurotransmetteur que nous produisons naturellement (l’anandamide) lors d’une infection, blessure ou brûlure. Cette molécule se fixe sur les récepteurs nerveux de la chaleur présents dans l’épiderme et les muqueuses, puis les neurones sensitifs transmettent le signal au système nerveux central qui interprète  » attention : brûlure ! « . Notre cerveau nous ment, trompé par la capsaïcine, car il n’y a pas d’élévation de température. Un fait intéressant : les oiseaux ne sont pas sensibles à la capsaïcine, ce qui permet la dissémination des graines de piments.

De multiples usages

Une épice favorable à la qualité nutritionnelle

Qu’il soit utilisé sous forme de poudre, de pâte ou directement en frais, le piment accompagne tous les mets. Les grands consommateurs disent qu’il a un effet exhausteur de goût : la bouche « chaude » leur permet de mieux sentir les autres arômes du plat, mais pour cela, il faut un certain degré d’accoutumance. Il est aussi utilisé pour son effet appétant : lorsque le régime est monotone, la chaleur dans la bouche incite à reprendre la bouchée suivante. Enfin, la capsaïcine amplifie les secrétions salivaires et gastriques, elle allège le travail mécanique de l’estomac et le protège des ulcères. Le piment est le fruit le plus riche en vitamine C. Les poivrons frais contiennent de 250 à 300 mg de vitamine C pour 100g de fruit frais (20 fois l’orange). Ces teneurs peuvent monter jusqu’à 1 000 mg pour les piments brûlants.

Un colorant alimentaire naturel

Le piment nous offre aussi ses pigments rouges que sont la capsanthine et la capsorubine. Ils sont très utilisés comme colorants alimentaires naturels dans les confiseries, laitages etc.

En pharmacie, des effets curatifs et préventifs

La capsaïcine a des effets analgésiques car l’action directe sur les terminaisons nerveuses supprime la douleur. De plus, elle active la circulation sanguine et l’oxygénation des tissus. Des onguents et des cataplasmes contenant de la capsaïcine sont utilisés contre les foulures, entorses, torticolis. Préventivement, les onguents à la capsaïcine sont utilisés par les sportifs pour chauffer les muscles avant la performance.

Une arme redoutable mais non contondante

La capsaïcine est exploitée pour ses effets répulsifs dans les bombes aérosol d’autodéfense. En Amérique du Nord, les randonneurs en milieu sauvage sont fortement incités à s’équiper d’une bombe aérosol à forte concentration en capsaïcine pour se défendre contre d’éventuelles agressions par les ours : une pulvérisation dans les yeux et les muqueuses stoppera net une charge, sans mettre en danger la vie d’animaux protégés.

Du piment sauvage aux variétés cultivées

- © D.R.
– © D.R.

Les piments sauvages (centre de la photo) sont très homogènes : ils produisent tous de petits fruits (0,1 à 0,2 g) de forme ovoïde ou lancéolée, rouges à maturité, brûlants et déhiscent (le fruit se détache du pédoncule à maturité). A l’état naturel, ils sont picorés par les oiseaux qui disséminent leurs graines, d’où l’appellation « piment oiseaux » utilisée dans les Antilles. C’est à partir de cette forme sauvage que l’homme, il y a 8 000 à 10 000 ans, a commencé à sélectionner des mutants naturels aboutissant aujourd’hui à une infinité de formes, de couleurs et de goûts différents. Ainsi, les variétés sur le pourtour de la photo proviennent toutes de la forme sauvage, et appartiennent à la même espèce (Capsicum annuum). Les gros poivrons actuels peuvent peser plus de 300 g : la sélection par l’homme a multiplié par plus de 1 000 le poids du fruit.

Production de poudre de piment

La production de piment pour la poudre utilise souvent des variétés à croissance déterminée et à fruits dressés (photo 1) qui synchronisent la maturation et facilitent la récolte. L’arrêt de l’arrosage lorsque les fruits sont mûrs est aussi une technique utilisée pour défolier les plantes et initier le séchage des fruits (photo 2 : culture au Nouveau Mexique). Après récolte, les fruits étaient traditionnellement séchés par épandage sur lit de paille au champ (photo 3, région de Kahramanmaras en Turquie), mais pour des raisons sanitaires, ce mode de séchage est remplacé par le séchage en étuves. Le séchage sur tresses est encore utilisé pour des productions artisanales et permet une conservation pour l’année (photo 4, marché Hongrois). En France, plusieurs variétés de piment valorisent les terroirs tels le piment d’Espelette, le Poivre Rouge de Bresse, sans oublier le piment de Cayenne, mais aussi des variétés plus ou moins brûlantes et consommées en frais ou en conserve tels le piment Sucette de Provence, le Jaune Sucette Hyérois et aux Antilles le Bondamamjak, le Végétarien.

Sans titre 2
Photo 1 (à gauche), photo 2 ( à droite)

Sans titre 1
Photo 3 (à gauche), photo 4 (à droite) © D.R.

 

 

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