Le melon, toute une histoire !

Michel Pitrat

Membre de la famille des cucurbitacées, le melon (Cucumis melo) est proche parent du concombre (Cucumis sativus) et plus éloigné de la pastèque (Citrullus lanatus). Il est relativement facile de différencier sur les étalages en France ces trois espèces, en particulier la pastèque avec les graines réparties dans la chair et non regroupées dans une cavité centrale. Cependant, au cours de voyages à l’étranger, on peut avoir quelques difficultés à s’y reconnaître. Par ailleurs, les documents anciens ne permettent pas toujours de distinguer ces trois espèces. C’est dans un petit voyage dans le temps et dans l’espace que nous vous convions autour de la diversité biologique du melon.

 

Melon de type chito retourné à l’état sauvage en Amérique centrale à partir de formes domestiquées introduites.

Photo 5. Melon de type chito retourné à l’état sauvage en Amérique centrale à partir de formes domestiquées introduites.

Melon, concombre et pastèque sont originaires de l’ancien monde, alors que les courges du genre Cucurbita sont d’origine américaine. La pastèque est originaire d’Afrique et le concombre d’Asie, au pied de l’Himalaya. Pendant longtemps, le melon a été considéré comme d’origine africaine, en particulier parce que toutes les espèces sauvages (sauf une) ayant le même nombre de chromosomes que le melon (n=12) sont présentes en Afrique et non en Asie. Une hypothèse récente donnerait à tout le genre Cucumis une origine asiatique.
 

 

Une diversité domestiquée

La domestication est classiquement définie comme l’interdépendance de l’homme et d’un autre être vivant, en l’occurrence une plante. L’homme dépend de cette plante pour son alimentation et la plante dépend de l’homme par les soins qu’il prend d’elle : semis, désherbage… c’est-à-dire l’agriculture. Une plante sauvage peut croître, se reproduire et se maintenir dans un environnement pédo-climatique favorable en l’absence de l’intervention de l’homme ; une plante domestiquée ne peut pas. A partir de formes sauvages ancestrales, la sélection naturelle a conduit aux formes sauvages actuelles, alors que la domestication suivie de la diversification, c’est-à-dire l’action de la sélection humaine, a abouti aux variétés cultivées présentant des différences de forme, couleur, taille, qualité, précocité… La limite entre domestication et diversification n’est pas nette et on parle plutôt d’un continuum. Il a pu éventuellement y avoir plusieurs événements de domestication indépendants à différentes époques ou en différents lieux. Dans les zones où coexistent plantes sauvages et plantes domestiquées il peut y avoir des hybridations naturelles et donc la présence de formes intermédiaires. Signalons enfin d’une part qu’une plante domestiquée peut retourner à l’état sauvage (il s’agit alors d’une forme férale (voir photo. 5) et d’autre part qu’il y a des plantes cultivées qui ne sont pas domestiquées ; c’est le cas de nombreuses plantes fourragères ou forestières.

 

Vue extérieure d’un melon sauvage (échelle = 1 cm) et coupe transversale du fruit

Photo 1. Vue extérieure d’un melon sauvage (échelle = 1 cm) et coupe transversale du fruit

Sauvage de l’Afrique au Japon

Les melons sauvages se rencontrent en Afrique, en Asie de la Turquie au Japon, et en Australie et présentent peu de diversité phénotypique[1] (Photo. 1). En revanche, les melons cultivés présentent une très grande diversité, au niveau des organes végétatifs (taille, forme et couleur des feuilles, ramifications, système racinaire), des fleurs et surtout des fruits qui sont la partie consommée. La forme et le poids du fruit, les couleurs de l’écorce et leur répartition, les sillons et les côtes, les broderies superficielles sur l’écorce, la couleur de la chair, la teneur en sucre, les arômes, la fermeté et la jutosité, la durée de conservation après récolte, la taille et la couleur des graines… peuvent offrir différentes combinaisons. D’un point de vue botanique, deux sous-espèces (melo et agrestis) sont définies d’après la pilosité de l’ovaire. D’un point de vue horticole on distingue trois grands groupes que l’on retrouve dans les deux sous-espèces. Les « melons légumes » ne sont pas sucrés à maturité et sont consommés généralement immatures, crus comme des concombres, cuits comme des courgettes ou après conservation en saumure ou fermentation comme des cornichons. Ces types présentent une grande diversité allant du type le plus « primitif », les tibish cultivés exclusivement au Soudan (Photo. 2), au melon serpent (groupe flexuosus) pouvant atteindre 1,80 m de long et cultivé de la Méditerranée à l’Inde (Photo 3), en passant par le groupe conomon cultivé en Extrême-Orient, le groupe acidulus cultivé en Inde ou le groupe chate illustré sur les pyramides égyptiennes.

 

 

Melon de type tibish non sucré cultivé au Soudan

Melons serpents non sucrés de type flexuosus

Photo 2. Melon de type tibish non sucré cultivé au Soudan; Photo 3 à droite. Melons serpents non sucrés de type flexuosus

 

Le melon fruit

Le deuxième grand groupe peut être dénommé les « melons fruits » en ce sens que les fruits sont sucrés à maturité. Là aussi il y a une grande diversité et les Français, tout en étant très attachés au type Cantaloup Charentais, consomment aussi des melons du groupe inodorus à chair vert pâle, peu aromatique et de plus longue durée de conservation avec les types Canaris ou Olive d’hiver. Un troisième grand groupe que l’on pourrait dénommer « melon parfum » est constitué par le type dudaim qui n’est pas consommé mais dont les fruits non sucrés sont utilisés pour leur parfum de la Turquie à l’Afghanistan. Il est probable que le melon a d’abord été récolté, cultivé et peut-être domestiqué pour la consommation des graines. En effet comme les pastèques ou les courges sauvages, la chair des melons sauvages est souvent amère due à la présence de cucurbitacines ; les graines sont un aliment riche en protéines et en lipides de bonne qualité. Cette consommation est aujourd’hui marginale.


Deux melons (avec des figues et des dattes) dans une corbeille sur une pyramide égyptienne (vers 1200-1300 av J.C.) et nom du melon en hiéroglyphe

Figure 4. Deux melons (avec des figues et des dattes) dans une corbeille sur une pyramide égyptienne (vers 1200-1300 av J.C.) et nom du melon en hiéroglyphe

Une histoire incertaine

Cette grande diversité et les ressemblances des « melons légumes » avec le concombre ou des « melons fruits » avec la pastèque entraînent des incertitudes sur l’histoire ancienne du melon. Par exemple les Hébreux qui errent dans le désert du Sinaï après la fuite d’Egypte se lamentent en ces termes « Ah ! quel souvenir ! le poisson que nous mangions pour rien en Egypte, les concombres, les melons, les laitues, les oignons et l'ail ! maintenant, nous dépérissons, privés de tout » (Nombres 11 :5) ; on pense maintenant que les « concombres » sont en fait des melons non sucrés et les « melons » seraient plutôt des pastèques. Les textes doivent donc être interprétés avec précaution. L’iconographie est peut-être moins sujette à caution. Les plus anciennes représentations proviennent de pyramides égyptiennes (Fig. 4). Des offrandes en terre cuite datées du VIème siècle av J.C. ont été trouvées dans un temple du sud de l’Italie. Des mosaïques romaines représentent également des melons serpents. Pline l’Ancien nous apprend que l’empereur Tibère aimait manger des concombres toute l’année (Livre XIX). Dans tous ces cas, il s’agit de type de melon non sucré de forme allongée de type chate ou flexuosus qui dans les textes sont dénommés sikyos en grec, cucumis en latin ou qishu’im en hébreu. Le Capitulaire De villis vel curtis imperialibus daté de 812 sous Charlemagne recommande un certain nombre de plantes qui doivent être cultivées dans les jardins royaux parmi lesquelles des cucumeres et des pepones ; les premiers pourraient correspondre à des concombres et les seconds à des melons non sucrés. Les melons serpents sont encore largement évoqués par Olivier de Serres (1600) « Autre race de concombres que de la commune, se void non sans esbahissement, pour son estrange figure, ressemblante celle du serpent autant naïfvement qu’on diroit que Nature a voulu là refaire son propre ouvrage. Ces concombres croissent entortillés de la longueur de quatre à cinq pieds, et davantage… ». Aujourd’hui ces melons non sucrés ont pratiquement disparu en France, mais ils sont encore cultivés en Italie et du Maghreb à l’Inde et à l’Extrême-Orient.

 

Les sucrés peu prisés des Romains

Les melons non sucrés ont donc été largement cultivés les premiers, mais qu’en est-il des melons sucrés ? La distinction avec la pastèque est souvent difficile. Pline l’Ancien indique : « Au moment où j'écris, on vient d'en obtenir en Campanie une variété qui a la forme d'un coing : on m'apprend qu'un premier individu naquit ainsi par hasard, ensuite que la graine en a fait une espèce ; on nomme ces concombres melopepons ; ils ne sont pas suspendus, mais ils s'arrondissent sur le sol. Ce qu'ils offrent de singulier, outre la figure, la couleur et l'odeur, c'est que, devenus mûrs, ils se séparent de leur queue, bien qu'ils ne soient pas suspendus ». Il s’agit là probablement d’un melon sucré ; en effet, la pastèque est d’une part peu aromatique et d’autre part le fruit ne se détache pas du pédoncule à maturité. Cependant ces melons sucrés ne devaient pas être excellents car les gourmets romains ne leur accordent pas beaucoup de place dans leurs écrits. Une littérature assez abondante à partir des IX-Xème siècle en Asie Centrale indique la présence de melons sucrés. En Andalousie, Abu al-Khayr (vers 1100) et Ibn al-‘Awwam (vers 1180) décrivent plusieurs types de melon sucrés et non sucrés. Les voies commerciales allant du sous-continent indien à la mer Rouge par cabotage, puis, après un court passage sur terre à Suez, à nouveau cabotage en Méditerranée étaient utilisées depuis l’époque romaine et les Arabes les ont beaucoup pratiquées. Les melons sucrés peuvent avoir été introduits en Andalousie à partir de l’Asie centrale par cette voie. D’après les descriptions de Ibn al-‘Awwam et les types de melon cultivés aujourd’hui dans la péninsule ibérique, il pourrait s’agir essentiellement de type inodorus c’est-à-dire de melons sucrés et peu aromatiques comme les canaris, boule d’or, olive d’hiver…

 

L’histoire du Cantaloup

A partir du Moyen-âge, on trouve beaucoup plus de mentions de melons sucrés dans les textes ou bien dans les illustrations. Albert le Grand en Allemagne du Sud au milieu du XIIIème siècle décrit des melons sucrés sous le nom de pepo. Des images de Tacuinum sanitatis du XIVème siècle nous montrent différentes images de melons sucrés sous différents noms, par exemple melones dulces, ressemblant à nos cantaloups, ou melones insipidi, correspondant au type Olive d’hiver sucré mais peu aromatique. On répète couramment que les melons de type cantaloup tirent leur nom de la petite ville de Cantalupo près de Rome où les papes les faisaient cultiver dans une propriété qu’ils possédaient et que les graines auraient été envoyées d’Arménie par des moines. Nous n’avons pas réussi à trouver le texte original établissant cette jolie histoire et en particulier l’origine arménienne. Mais on pourrait admettre qu’il y a eu plusieurs introductions en Europe de melons sucrés, la première en Andalousie par les Arabes avec plutôt des types peu aromatiques, à chair verte et de longue conservation (groupe inodorus) et une autre plus récente en Italie avec des types plus aromatiques, à chair orange et de faible durée de conservation (groupe cantalupensis).
 

Le melon « charentais de Cavaillon »

Le type de melon le plus cultivé en France depuis la seconde moitié du XXème siècle est le melon de Cavaillon ou Charentais : fruit rond, d’un kilogramme environ, précoce, à chair orange, sillonné, sucré et parfumé. Il ne s’agit pas du melon cultivé traditionnellement en Provence dont on peut voir des illustrations par exemple sur des cartes postales du marché de Cavaillon à la fin du XIXème siècle. Il n’est pas décrit sous ce nom dans « le Vilmorin », ouvrage de référence ; cependant la description de la variété « melon de 28 jours » s’en rapproche. Il semblerait en fait qu’un jeune agriculteur de la région de Cavaillon soit allé faire son service militaire dans les Charentes vers les années 1920, qu’il ait remarqué une variété locale et qu’il ait rapporté des graines dans sa ville d’origine. Ce melon s’est bien adapté et a été adopté d’abord par les producteurs de la région de Cavaillon puis de la France entière, d’où le « melon charentais de Cavaillon ».


[1] Le phénotype est l'ensemble des caractères observables d'un individu par opposition au génotype qui est l'ensemble des gènes d'un individu. Le phénotype résulte de l'expression des gènes plus ou moins modifiée par l'environnement.

janvier-février 2014