Le fruit

Daniel Lejeune

Le mot « fruit » vient du latin fructus*[1]. On le rencontre dès la fin du IXe siècle dans le sens de revenu et de profit. A l ‘époque médiévale, fruit peut désigner l'enfant. En 1524, les suisses font appel à ce mot pour désigner lieu où se fabriquent les fromages. 1534 voit apparaître l'adjectif frugal et on relève en 1580 l'expression « faire du fruit » « le fruit défendu», allusion au péché originel est attesté en 1682. Un emprunt à l'italien devient « fruits de mer », vers 1709. Enfin, en 1793, pour le célèbre calendrier révolutionnaire[1], Fabre d'Eglantine baptise « Fructidor », le 12e mois de 30 jours, équivalent à la période traditionnelle du 18 août au 17 septembre. C'est évidemment le mois des principales récoltes de fruits ! De son côté, le langage économique et juridique entend par « fruit », le produit d’un placement ou d’un travail (faire fructifier des économies, recueillir le fruit de ses effort...). Bénéficier du produit d'un bien ou jouir d'un immeuble sans en être toutefois propriétaire, c'est en être usufruitier. On rencontre encore le mot « fruit » dans le champ lexical de certaines professions techniques[2].

 

cenelle (Crataegus monogyna) - © D. Lejeune
Le fruit en botanique 

Le fruit résulte du développement des carpelles ou de l’ovaire à la suite de la fécondation des ovules qui vont devenir des graines[3]. C’est un phénomène hormonal qui peut être « mimé » par divers parasites (les gales ou cécidies des insectes ou acariens et les galles provoquées par certains champignons). La paroi de la feuille carpellaire qui comporte un parenchyme recouverts de deux épidermes donne le péricarpe se décomposant en épicarpe (externe), le mésocarpe et l’endocarpe (interne). Le péricarpe et l’endocarpe peuvent porter des poils plus ou moins modifiés (Citrus). Selon la manière dont les feuilles carpellaires s’associent en un ovaire, le développement de ce dernier en fruit conserve la structure originelle, lisible notamment à travers le système des cloisons. [4]. En toute rigueur, le fruit est une spécificité des Angiospermes. En effet, chez les Gymnospermes, nées au début du Permien (290 millions d’années), les graines sont en général libres et, par un véritable abus de langage, leur « fructification », est en réalité à rapprocher d’une induvie. Les Angiospermes sont relativement récentes. Elles naissent au début du Crétacé, il y a 100 à 130 millions d’années, alors que chez les Gymnospermes, les conifères sont à leur apogée. Elles deviennent prédominantes au début de l’ère tertiaire. On estime que les Angiospermes comportent aujourd’hui 250 à 300 000 espèces[5].

 

Coupes de fleurs selon Deyson


La diversité des types

Les botanistes s'étant intéressé aux possibilités de classification des végétaux offertes par la diversité de leurs fruits  sont André Cesalpin (médecin du pape Clément VIII), qui a établi la première nomenclature scientifiques les fruits [6] et surtout l’écossais Robert Morison (1620-1683) qui après avoir observé les Ombellifères[7] est parvenu à 18 classes, dont la dernière regroupe les plantes à problème !). Bien qu’artificielle, ce fut la première classification rigoureuse. Malheureusement et même si elle fournit parfois de précieux indices (Apiacées, Fabacées, Poacées...), la diversité des types des fruits ne coïncide pas vraiment avec la diversité des familles et ce sera naturellement la structure florale qui sera retenue comme critère systématique majeur par Linné et ses successeurs. Abandonnée au niveau taxonomique des familles, la diversité des fruits a parfois été conservée pour en caractériser les tribus (Rosacées, Solanacées...). Selon De Candolle, il faut considérer comme fruit, le corps contenant les ovules transformées en graines par la fécondation, les carpelles qui les entourent, les contiennent et les nourrissent et toutes les parties de la fleur qui, en adhérant aux carpelles, semblent plus ou moins exactement former partie intégrante de tout cet appareil. En effet, selon la manière dont les feuilles carpellaires s’associent en un ovaire, le fruit développé en conserve la structure originelle, lisible notamment à travers le système des cloisons[8].

 

Une signification évolutive du fruit

L’apparition du fruit au sein de l’évolution végétale est interprétable comme un perfectionnement dans la conservation des semences. Il contribue à la dispersion des graines : capsule des Papavéracées, samare des Acéracées, akènes plumeux des Clematites ou crochus des Renoncules ou des Bardanes, fruits charnus consommés et dispersés par les animaux frugivores, tout en contribuant à une répartition accrue de leur germination au cours du temps par la mise en place de dormances multiples. L’akène, fruit sec ne contenant qu’une seule graine, peut être considéré comme une « supergraine », rejoignant la notion de semence bien connue des agronomes[9].

 


Origine des plantes selon Bournieras et al.

Une classification traditionnelle [10] :

Fruits secs indéhiscents
            akènes et caryopses

Fruits secs déhiscents
            Fruits secs déhiscents monocarpiques
                         follicules, gousses, siliques
            Fruits secs déhiscents gamocarpiques
                        capsules (porricides, septicides, loculicides), pixides

Fruits charnus
            Péricarpe entièrement charnu
                        baies, hespérides, péponides
            Epicarpe et mésocarpe charnus, endocarpe sec
                        drupes monospermes ou polyspermes

 

Une classification plus explicite, selon Lindley[11] :

I - fruits apocarpés (issus de fleurs à  pistil simple ou unicapellées)
            A- apocarpés indéhiscents secs, monospermes ou dispermes : caryopse, akène, samare
            B- apoxarpés indéhiscents charnus, monospermes ou dispermes : drupe
            C- apocarpés déhiscents, polyspermes : follicule, légume

II – fruits syncarpés (issus de fleurs à carpelles multiples soudés entre eux)
            A- syncarpés déhiscents : silique, pyxide, capsule
            B- syncarpés indéhiscents : (gland !), hespéride, balauste, pépon, pomme, baie

III – fruits agrégés ou anthocarpés
            A- agrégés : gaillet
            B- anthocarpés : cône ou strobile, galbule, sycone, syncarpe

 

Diffusion des graines par les fruits

A- Par le vent : c’est le cas des akènes aidés par des appendices plumeux (clématite, linaigrette) ou ailés (samares diverses).  Un cas singulier est celui des fines graines de pavot distribuées par la capsule, lors des oscillations de la tige au gré des vents.

B- Certains fruits sont spécialisés dans la diffusion dynamique des graines :
balsamines , linaire cymbalaire, cornichon sauteur, sablier élastique ou pet du diable...

C- utilisation du transport passif par les animaux (akènes à crochets de la bardane ou des renoncules)

D- diffusion par l’eau (plantes aquatiques, palmier des Seychelles ou cocotier de mer...)

E- transport actif par les animaux récoltant des semences et les stockant (écureuils, geai, ce dernier ayant été couronné premier forestier de France en raison de son rôle dans la reconquête des contrées septentrionales par le chêne)

F- Rapprochement du fruit vers le sol (cyclamen, certaines espèces de viola) ou enfouissent (arachide)

G- Coévolution avec les animaux se nourrissant de fruits charnus et en assurant la dissémination de leurs graines par le transit digestif (gui, merisier, if…)

 

Le cas des légumineuses (Fabacées) est très intéressant

A partir de formes à graines arillées, le fruit a évolué vers la gousse fermée qui est dans divers cas indéhiscente (arachide, caroube), déhiscente (haricot, pois), fragmentable en articles se comportent alors comme des akènes (Entada, Sophora).

 

La déhiscence des fruits secs est purement physique. Elle est en général liée à une dessication différentielle des tissus de l’épicarpe et de l’endocarpe. On distingue la déhiscence luculicide (au milieu de la loge) et septicide (au niveau de la cloison). Les fruits charnus ne libèrent les semences qu’après destruction (phase climacérique de maturation, sous le déclanchement de l’éthylène), putréfaction ou digestion. Il y a cependant des fruits « presque charnus » qui s’entr’ouvrent avant de pourrir (balsamine, noyer, amandier, marronnier). Remarquons également qu’en climat aride, c’est plutôt la survenue de précipitations qui déclanche l’ouverture des fruits (hygroclastie des Mesembryanthémacées).


Lexique

Diakène (Cerfeuil musqué, Myrrhis odorata) - © D. LejeuneAkène (ou achaine) : fruit sec ne contenant qu’une seule graine. Il est plumeux chez les Clématites et les pulsatilles et muni de crochets (renoncules, bardane) Il peut être groupé (diakène des ombellifères, tétrakène des Lamiacées…) ou accompagné par les bractées de la fleur qui persistent et se développent (gland du chêne, noisette, châtaigne…)

Arille : annexe charnue d’un fruit sec lui conférant une attractivité pour la consommation par les animaux (litchi, fusain, if…)

Baie : fruit charnu contenant une ou plusieurs graines (cassis, datte, chèvrefeuille, groseille, myrtille, raisin…)

Baie aréolée : baie issue d’un ovaire infère et conservant des vestiges de pièces florales (cassis)

Baie (Ribes grossularia) - © D. LejeuneBaie (Solanum sisymbriifolium) - © D. LejeuneBaie (Vitis vinifera perdin) - © D. LejeuneBaie (Atropa belladona) - © D. Lejeune

Epi de caryopses (Avoine,  Hordeum_vulgare) - © D. Lejeune

 

Cabosse : fruit du Cacaoyer

Carcérule : désigne un fruit sec indéhiscent et à plusieurs loges, comme chez le Tilleul

Carpelle : (ou feuille carpellaire) organe reproductif  femelle fermé contenant les ovules. Lorsque les carpelles se soudent en un organe unique, on parle d'ovaire (plantes gamocarpellées).

Epi de caryopses (Blé,  Triticum sativum) - © D. LejeuneCaryopse : fruit des Graminées (Poacées). C’est un akène dont les enveloppes sont soudées au tégument de la graine (cas extrêmement perfectionné de super-graine)

Cécidie : voir Gale

Cerise : désigne le fruit de certains Prunus (merise, cerise…) mais aussi celui du Caféier, qui est une drupe à deux noyaux

Cône :  infrutescence correspondant à un ancien épi (aulne)

Crochus : akène muni d'un crochet chez les renoncules

Cynorrhodon : faux-fruit des Rosacées rosoïdées, correspondant à un développement concave du réceptacle floral, contenant les vrais fruits qui sont des akènes, mêlés à des poils.

Cône (Magnolia grandiflora) - © D. LejeuneCône (Liriodendron tulipifera) - © D. LejeuneFaux-fruit (Cynorrhodon rosa rugosa) - © D. Lejeune

Drupe : fruit charnu comportant un ou rarement plusieurs noyaux contenant la ou les graines (noix, noix de coco, framboise, mûre…). C’est le fruit typique des Rosacées prunoïdées (abricot, cerise, pêche, prune)

Drupe (Prunus armeniaca) - © D. LejeuneDrupe (Prunus cerasus) - © D. LejeuneDrupe sèche (Prunus amygdalus) - © D. Lejeune

Elatérie : fruit du ricin

Follicule : fruit sec unitaire dérivé du carpelle (pivoine)

Fraise : faux-fruit résultant du développement du réceptacle qui porte des akènes qui sont les vrais fruits (fraisier, Duchesna, potentilles…)

Follicule (Aquilegia sp) - © D. LejeuneFollicule (Staphylea pinnata) - © D. LejeuneFollicule (Catalpa bignonioides) - © D. Lejeune

Faux-fruit (Fraise fragaria vesca) - © D. LejeuneFaux-fruit (Anacardium occidentale) - © D. LejeuneFaux-fruit (Opuntia ficus indica) - © D. Lejeune

Fructification : formation plus ou moins complexe et spécifique de la phase reproductive d'un végétal ou d'un champignon (carpophore). Les seules fructifications vraies concernent par définition les Angiospermes. A ne pommier de Cajou oter que des organes non reproductifs peuvent participer à l'élaboration d'une fructification, comme chez l'Hovenia ou le pommier de cajou où la partie charnue et sucrée provient du pédoncule floral !

Fruit complexe : résulte du développement du réceptacle où sont plus ou moins inclus les vrais fruits (lotus)

Fruit lomantacé : désigne un fruit sec et allongé, se fragmentant transversalement en articles successifs réductibles à des sortes d’akènes (Entada, Raphanus…)

Gland (Quercus cerris) - © D. LejeuneGland (Quercus sessiliflora) - © D. LejeuneGalbule : cône réduit à quelques écailles épaissies

Gale ou cécidie : excroissance d'un organe végétal provoquée par la ponte puis le développement de la larve d'un insecte ou d'un acarien. Cette néoformation imite souvent une fructification.

Galle : avec cette orthographe, désigne une excroissance végétale dûe à l'infection par certains champignons ou bactéries

Gland : fruit akénoïde du chêne, accompagné d’une cupule

Gousse ou légume : fruit sec typique de la famille des Légumineuse (Fabacées). C’est en fait un follicule particulier

Gousse en lanterne (Colutea arborescens) - © D. LejeuneGousse (Lupinus polyphyllus) - © D. LejeuneGousse lomentacée (Sophora japonica) - © D. LejeuneGousse (Ceratonia siliqua) - © D. Lejeune

Hespéride (Citrus limon) - © D. LejeuneHespéride  (Fortunella japonica) - © D. Lejeune

 

Hespéride : fruit des Citrus, dont les graines sont incluses parmi les poils charnus et sucrés de l’endocarpe. Le mésocarpe est l’albédo et le péricarpe le zeste.

 Induvie : persistance résiduelle ou non de pièces florales accompagnant le fruit mûr (calice accrescent des Physalis, pédoncule charnu des Anacardium, cupules des glands…)

Infrutescence : ensemble fructifère succédant à un ensemble floral (inflorescence : grappe, corymbe, ombelle...etc.)

Lanterne : peut désigner le calice Lanterne (Physalis franchetti) - © D. Lejeuneaccrescent qui englobe plus ou moins la baie (Physalis peruviana, philadelphica, franchetti..)
Lomentacé : caractère d'un fruit allongé dont le développement en renflements successifs au niveau de chaque graine suggère une fragmentation par articles en lieu et place d'une déhiscence suturale (on connaît de nombreux exemples chez les Fabacées et les Brassicacées)

Melonide ou Piridion: désigne la baie particulière des Rosacées pomoïdées où le fruit charnu est soudé à l’ancien réceptacle de la fleur infère (nèfle, pomme, poire, coing…)

Nuculaine : fruit  charnu à noyaux multiples (lierre, sureau, bourdaines…)

Nucule : Akène  dont le péricarpe est très lignifié (noisette)

Ovaire : organe reproductif femelle résultant du regroupement des feuilles carpellaires.

Péponide : c’est le fruit bacciforme typique des Cucurbitacées. Généralement polysperme, le péponide est exceptionnellement monosperme chez la chayotte.

Pixide : fruits sec s’ouvrant comme le couvercle d’une boîte : Anagallis arvensis

Peponide (Cucurbita pepo) - © D. LejeunePeponide (Ecballium elaterium) - © D. LejeunePixide (Anagallis arvensis) - © D. Lejeune

Pomme à osselets : désigne la nèfle

Propagules : bourgeons détachables et enracinables produits dans certaines conditions écologiques à la place des fleurs ( agaves et les Allium)

Samare : akène ailé (charme, érable, frêne, orme, Ptelea) : des espèces anémophiles

Silique : fruit sec typique de la famille des Crucifères (Brassicacées). Il résulte du développement d’un ovaire biloculé (moutarde, choux, giroflée, monnaie du Pape, radis)

Samare (Ptelea trifoliata) - © D. Lejeune Disamare (Erable champêtre, Acer campestre) - © D. LejeuneSilique (Lunaria biennis) - © D. LejeuneSilique lomentacee (Raphanus maritimus) - © D. Lejeune

Schizocarpe : fruit sec se morcelant en akènes indépendants par dessication différentielle (Geraniacées)

Semence : unité reproductive confiée au sol par l'agronome ou l'horticulteur. Il peut s'agir d'une simple graine, de la partie indurée du fruit charnu (noyau des drupes), d'un fruit indéhiscent mono ou polysperme (il faut alors démarier les plantules après germination), voire même, par extension du champ sémantique,  d'un organe purement végétatif (bulbilles, tubercules...). On parle ainsi de « pommes de terre de semence »

Sorose : drupe multiple des mûriers

Strobile : Chez les conifères, le strobile est en fait un cône condensé (cyprès, certains genévriers, Chamaecyparis)
Sycone : faux-fruit des figuiers, correspondant à un développement concave du réceptacle floral, contenant les vrais fruits, qui sont des akènes

Syncarpe : fruit collectif résultant de la fusion de fruits individuels avec en outre une partie du réceptacle ou de l’ancien axe floral (Ananas…)

Strobile (Alnus glutinosa) - © D. LejeuneSycone (Ficus carica) - © D. LejeuneSyncarpe (Ananas comosus) - © D. Lejeune

 

Bibliographie

DEYSSON G : cours de botanique générale

Site à visiter : www. snv. jussieu.fr/bmedia/Fruits

 


   [*]Les mots non latins typographiés en italique dans le texte renvoient au lexique.

[1] Le calendrier révolutionnaire, qui comporte 12 mois de 30 jours et 5 « sans-culotides » sera brièvement réactivé en 181, durant la Commune de Paris

[2] Malgré nos recherches, nous n'avons pu trouver d'explication à l'emploi de « fruit » en architecture et en maçonnerie, désignant l'inclinaison de la base « talutée »d'un mur.

[3] A cette règle générale, il faut ajouter le développement de fruits sans fécondation d'ovules (parthénocarpie), voire sans production de graines (sélection agronomique d'agrumes, bananes...)

[4] Il peut toutefois apparaître des cloisons néoformées ou fausses cloisons, longitudinales chez la silique des Brassicacées ou transversale dans la gousse de certaines Fabacées, comme le Quassia

[5] On rencontre dans certaine familles d'Angiospermes, des formes résiduelles de gymnospermie ancestrales (Firmania)

[6]  XVe siècle 1583 –Libri XVI de plantis, 15 classes

[7] 1672-Plantarum umbelliferum distributio nova

[8]Il peut toutefois apparaître des cloisons néoformées ou fausses cloisons, longitudinales chez la silique des Brassicacées ou transversale dans la gousse de certaines Fabacées, comme le Quassia

[9] La semence est littéralement, ce que l'on sème

[10] Deysson, cours de botanique élémentaire

[11]  Duchartre : Elements de botanique, 3ème édition 1884