L’auto-éclaircissage du pommier

Jean-Marc Celton

L’éclaircissage est une pratique indispensable pour améliorer le calibre et la qualité gustative des pommes. Dans un contexte de réduction des intrants, des solutions alternatives à l’éclaircissage chimique couramment pratiqué doivent être trouvées. Jean-Marc Celton nous présente une « description histologique de l'abscission sélective des jeunes fruits ».

 

Photo 1 : Fruit de X3177 au début de l'été. Le fruit central se développe alors que les fruits latéraux ont clairement arrêté leur croissance et sont sur le point de chuter. © Celton INRA

La majorité des variétés de pommes présentes sur le marché et en jardinerie nécessite une opération d'éclaircissage au printemps. Celle-ci peut se réaliser à l'échelle d'un arbre en éliminant les jeunes fruits axillaires au sécateur. Pour un producteur de pommes, à l'échelle d'un verger, cette opération se pratique plus couramment à l'aide de produits chimiques éclaircissants. Qu'elle soit mécanique ou chimique, cette pratique permet d’ajuster le nombre de fruits récoltés, ainsi que le calibre et la qualité gustative des fruits à la récolte, tout en préservant l’induction florale pour la production de l’année suivante.
Cependant, le contexte actuel de réduction des intrants dans l’agriculture implique de nombreux changements dans les modes de production, notamment une réduction des produits utilisés pour l'éclaircissage chimique. Cette réduction va contraindre les producteurs à se tourner vers d’autres solutions pour conserver leur qualité de production.

 

Le génotype X3177 identifié

Une solution consiste à exploiter les ressources génétiques présentes dans les diverses collections de pommiers (notamment les collections entretenues par l'INRA) et d’identifier des génotypes ayant des propriétés auto-éclaircissantes afin de les introduire dans les schémas de sélection.
Un de ces génotypes, X31771, identifié dans les années 1970 par Jean-Marie Lespinasse à la station INRA d’arboriculture fruitière de Bordeaux, se caractérise par sa capacité naturelle à faire chuter les fruits latéraux en développement tout en conservant le fruit central, de manière quasi systématique. Récemment, à l’INRA d’Angers, l’étude de ce génotype a été entreprise sous l’angle physiologique, anatomique et génétique.
La chute des jeunes fruits positionnés de façon latérale sur la bourse (renflement charnu) débute trois semaines après la floraison et peut se terminer dans certains cas au début de l'été (photo 1). De manière générale les jeunes fruits les plus éloignés du fruit central sont les premiers à chuter, suivi des fruits les plus proches. Les observations réalisées au sein de l’inflorescence de type corymbe, nous ont permis de formuler l'hypothèse que la dominance du fruit central sur les fruits latéraux était peut-être due à un meilleur approvisionnement du fruit central en sucres et autres nutriments.

 

Suivi du développement des pédoncules

Pour valider cette hypothèse nous avons mis au point un protocole pour suivre le développement des pédoncules des jeunes fruits. Pour cela, des pédoncules ont été prélevés à différents stades de développement de la fleur et du jeune fruit, et des coupes longitudinales et transversales ont été colorées et observées au microscope.

Photo 2 : Coupe transversale d'un pédoncule de fruit central de X3177. Les flèches blanches indiquent la position des faisceaux médullaires surnuméraires dans la moelle du pédoncule. © Celton INRA

Les résultats de ces observations indiquent que l’abscission des jeunes fruits latéraux chez le génotype X3177 semble étroitement liée à la présence de faisceaux vasculaires médullaires surnuméraires dans les pédoncules des fruits centraux (photo 2). Ces faisceaux ont été identifiés dès la floraison et sont totalement absents des pédoncules des fruits latéraux. Ils apparaissent comme étant composés de strates organisées de cellules de type phloème, sclérifiées en leur centre, et présentant très peu de cellules de xylème en périphérie. Le nombre de faisceaux surnuméraires peut varier d'un pédoncule à l'autre, généralement entre deux et cinq. Des analyses cytologiques complémentaires ont mis en évidence que ces cellules ont pour origine une surproduction de phloème à la base du jeune fruit central. Cette surproduction de tissu conduit à une invagination du phloème dans la moelle du pédoncule, suivi d'une réorganisation du tissu et formation des faisceaux médullaires surnuméraires disposés de façon concentrique (photo 2).

 

 

Développement d'une zone d'abscission

Des analyses biochimiques ont par la suite démontré que les pédoncules des fruits centraux contiennent des concentrations en sucres plus élevées que les pédoncules de fruits latéraux, grâce à la présence de ces faisceaux surnuméraires, permettant ainsi un meilleur approvisionnement et le développement d'une dominance forte.
Cette acquisition de dominance des fruits centraux affecte ainsi le développement des fruits en position axillaire. L'arrêt de croissance de ces derniers entraîne enfin le développement d'une zone d'abscission à la base des pédoncules (photo 3), provoquant ainsi leur chute dans les semaines suivant la pollinisation. Le développement de cette zone d'abscission débute cinq à six jours avant la chute effective des fruits. Elle commence par une multiplication cellulaire à la base du pédoncule. Ces nouvelles cellules vont ensuite se lignifier et produire du suber, permettant ainsi la cicatrisation juste avant la chute.

 

Photo 3 : Coupe longitudinale effectuée à la jonction entre la bourse et un pédoncule de fruit latéral de X3177 - 21 jours après floraison - © Celton INRA

Un génotype élite

Afin de comprendre le déterminisme génétique et moléculaire de l'auto-éclaircissage chez le pommier, des recherches ont été entreprises au laboratoire en collaboration avec l'INRA de Montpellier pour identifier les gènes responsables de ces mécanismes. Ces études nous ont permis de mettre en évidence le rôle essentiel de gènes impliqués dans la formation de faisceaux conducteurs, de l'éthylène, de l'auxine, du transport des sucres et des différentes enzymes impliquées dans la restructuration des parois cellulaires lors de la formation de la zone d'abscission.
En parallèle, X32632, un descendant de X3177 qui exprime aussi le caractère auto-éclaircissant, a été croisé avec la variété 'Belrène' qui maintient un nombre élevé de fruits par inflorescence. Les 200 individus issus de ce croisement ont été étudiés et nous ont permis de mettre en évidence l'héritabilité du caractère « un fruit par inflorescence » ce qui constitue une voie possible d'amélioration du pommier pour réduire l'usage des produits éclaircissants et révèle que l'hybride X3177 constitue un génotype élite pour ce caractère.

 

Sélection assistée

Des travaux de création de nouvelles variétés portant ce caractère auto-éclaircissant seront poursuivis, bénéficiant des connaissances acquises tant au niveau physiologique que génétique. Cette création sera effectuée par hybridation de X3177 (ou X3263 et autres descendants de X3177) avec d'autres variétés élites incluant des caractères gustatifs recherchés, et de résistance à des pathogènes. La création de ces nouvelles variétés pourra s'appuyer sur des outils de biologie moléculaire telle que la sélection assistée par marqueurs permettant d'accélérer et de compléter le processus de sélection.

 

À lire…


- Lespinasse J-M., Delort F., Lauri P-E., 1995. "Le raisonnement de la branche fruitière". In Pomme Haute Définition, N° Hors-Série. Fruits & Légumes, Janvier 1995, pp.52-62.

 



[1] X3177 : hybride résistant à la tavelure (porteur du gène Vf) issu du croisement Idared x Prima

[2] X3263 : hybride résistant à la tavelure (porteur du gène Vf) issu du croisement, Redwinter x X3177

 

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