La multiplication des conifères n’est pas toujours un jeu d’enfant

Yves Leguennec

La multiplication des conifères peut s’effectuer de plusieurs façons : le semis, le bouturage, le marcottage et le greffage, les trois dernières assurant la conformité avec la plante mère.

Graines d'Araucaria - © Y. Leguennec Semis en plaques alvéolées - © Y. Leguennec

 

On les sème…

La méthode est bien sur la plus « naturelle ». Dans la nature, tous les conifères à l’exception de quelques cultivars se multiplient de cette façon. La plupart des graines sont matures sur l’arbre en 2 années. Les récoltes sont effectuées par des spécialistes à l’automne, si nécessaire lorsqu’il s’agit de porte-graines remarquables et de dimensions imposantes, les cônes sont « chassés au fusil ». La connaissance de l’origine des semences est très importante pour être assuré de la pureté de la variété, le croisement naturel étant fréquent. Les graines sont nettoyées puis stockées pour être semées de février à avril. Certaines ont besoin de soins spécifiques (appelés stratification) pour germer. La stratification des graines permet notamment de ramollir les téguments. Les semences passent l’hiver dans de la tourbe humide. Pour venir à bout de téguments, il existe aussi des méthodes plus rudes (scarifications), comme l’emploi de gravier dans une bétonnière ou d’acide pour dissoudre les coques des graines les plus dures. Dans la nature, ce type de traitement existe aussi, puisqu’on raconte que les feux de forêt dans les Montagnes Rocheuses permettent une meilleure levée des graines de Séquoia  l’année suivante.Le semis reste la méthode de multiplication la moins coûteuse.Dans l’entreprise nous semons environ 150 000 conifères par an.  Les plantes multipliées par graines sont utilisées en jardin d’ornement, en plantation industrielle (bois, pâte à papier…),  comme porte-greffe ou en plantation forestière.

 

On peut les marcotter…

La marcotte peut se pratiquer, à l’occasion, sur certaines variétés pour multiplier à l’unité chez le particulier par exemple. Ce type de multiplication n’est pas pratiqué dans l’entreprise, je n’en n’ai donc pas l’expérience mais je pense que certains Juniperus par leur forme naturelle (rameaux rampants) peuvent se prêter à ce genre de multiplication. De même, les conifères à branches souples et à enracinement facile comme les Thuya me semblent présenter les qualités d’une bonne réussite en marcottage. Dans la nature d’ailleurs, il n’est pas rare que le Thuja plicata se marcotte spontanément, ce qui lui confère sa silhouette caractéristique, ventrue à la base, et assure une bonne homogénéité de la base lorsqu’il est conduit en haie. La technique est simple : arquer la branche à marcotter, dégarnir la partie à enfouir sous terre en n’omettant pas de pratiquer une blessure sur la partie posée sur le sol, afin d’induire la réaction de multiplication des cellules préalable à l’enracinement, fixer le rameau solidement avec un cavalier en fil de fer, recouvrir la partie préparée de terre végétale, arroser et s’armer de patience. Il faut au moins une année pour voir les résultats de la marcotte. Régulièrement il faut vérifier l’avancement de l’enracinement. L’emploi d’hormones d’enracinement peut être un plus. Il suffit alors d’appliquer un peu de poudre sur la blessure avec un doigt humide ou un autre support.

 


Taille sévère sur Picea abies - © N. DorionLe plus souvent on les bouture…

Le bouturage reste la pratique la plus courante en horticulture. Le bouturage se fait de façon industrielle. Cette forme de clonage  permet de multiplier par milliers toutes sortes de conifères d’ornement. Les genres les plus bouturés sont les Thuya, les Cupressocyparis, les Chamaecyparis et les Juniperus. Le bouturage peut être utilisé pour d’autres genres mais demande des techniques et des moyens plus élaborés. C’est le cas pour Cupressus, Picea et Pinus. Le temps d’enracinement est plus long pour ces plantes, deux hivers pour les épiceas par exemple. Pour moi la meilleure saison de bouturage des conifères se situe en novembre et décembre, à l’arrêt de la croissance végétative. Nous utilisons un rameau sain coupé au sécateur, prélevé sur une plante de bonne vigueur n’ayant pas souffert de la chaleur estivale ni de la sécheresse. Le feuillage ne doit pas  présenter de taches de « rouille » souvent signe de maladies cryptogamiques. La bonne qualité du pied-mère est un critère de réussite pour le bouturage. Pour certains genres comme Juniperus  plus la plante à multiplier est jeune meilleur sera l’enracinement. Les plantes âgées donnent de moins bons résultats. Les arbustes peuvent être rajeunis par un recépage ou une taille sévère et des soins appropriés (engrais et arrosage). Le résultat n’est pas toujours assuré avec les conifères qui n’apprécient pas ce type de tailles.


Comparatif talon (G) et sans talon (D) - © Y. LeguennecTaille de feuillage - © Y. Leguennec

Comparatif talon (G) et sans talon (D) - © Y. Leguennec


Deux types de boutures peuvent être pratiqués : la bouture de tronçon et la bouture à talon. Le choix du type de bouture dépend du genre à multiplier. La bouture à talon permet d’avoir une surface cambiale plus importante. En effet, l’émission des racines se fait à proximité des zones profondes de la tige donc du cambium. Il est possible de faire des blessures le long de la tige de la bouture pour provoquer l’apparition d’un cal préalable à l’enracinement. L’architecture de la bouture est importante pour la suite de la culture. Une bouture est en effet un petit arbre ou arbuste miniature. La forme générale de la plante doit se retrouver dans la bouture. Une bouture de conifère élancé sera élancée. Pour les conifères dont les ramules se développent dans un plan horizontal (végétation « plate »), comme Thuya plicata l’opérateur va chercher une charpente équilibrée (exemple trois ramules bien marquées). Dans la plupart des cas la base de la bouture sera composée de bois marron mature (lignifié). La partie aérienne sera composée de rameaux « feuillés » puisqu’il s’agit en grande majorité d’espèces à feuillage persistant. La longueur de la bouture peut varier d’une variété à l’autre. Douze centimètres peut être une moyenne. Pour limiter les problèmes phytosanitaires, la taille du feuillage doit se faire au niveau des « écailles » et non à la poignée. Pour les conifères caducs (Taxodium), la bouture ressemble alors à une bouture dite de bois sec, de douze centimètres de long et de la grosseur d’un crayon. Pour stimuler la formation du cal d’enraciment une incision sur un côté (un simple écorçage avec un outil tranchant) est un plus. L’emploi d’hormone végétale d’enracinement (auxine) s’avère fort utile voire indispensable dans certains cas. L’hormone améliore la qualité et le volume des racines. Dans le commerce vous trouvez facilement des produits d’enracinement dont la matière active est l’acide beta indole butyrique symbolisée (AIB). La forme poudre est la plus facile à utiliser. La spécialité commerciale est composée de talc et d’une faible quantité d’auxine à des concentrations allant de 0,1% à 2%. Certaines marques incluent des fongicides dans leur préparation. L’utilisation du produit est fort simple. Il suffit de tremper la base de la bouture sur 0,5 cm dans la poudre et de secouer pour faire tomber le surplus.

Bouture hormonée Picea abies - © N. DorionCertaines espèces nécessitent l’utilisation d’une hormone à forte concentration comme le  Cupressocyparis (1 ou 2%). D’autres espèces comme Thuya occidentalis ne nécessitent qu’une concentration de 0,1%. Arrive ensuite la phase de plantation. Vous pouvez planter les boutures en pleine terre dans un coin de votre potager par exemple, dans une caissette à semis ou dans un autre support à votre convenance comme des plaques alvéolées ou des pots. Dans tous les cas la qualité du substrat est essentielle. Je vais vous livrer quelques secrets de multiplicateur : « votre terreau doit être drainant mais pas séchant, il ne doit pas être asphyxiant mais pas non plus trop aéré. Si votre terre de jardin est argileuse n’hésitez pas à lui incorporer du sable grossier. Pour les supports hors sol l’idéal est un mélange composé de 75% de tourbe blonde de bonne qualité (pas de la poussière) et de 25% de sable grossier. La tourbe retiendra l’eau nécessaire à la vie de la plante et le sable sera un bon élément régulateur de l’humidité. En arrosant votre lieu de plantation la veille vous aurez une terre ressuyée de façon idéale. Pour le bouturage de conifères, je vous conseille de ne pas utiliser des éléments grossiers du type écorce ou fibre de coco. Ils accentuent le phénomène de cal d’enracinement et nuisent à la qualité des racines. La bouture doit être enfoncée jusqu’au feuillage. La base de la plante doit être cernée délicatement avec les doigts tenant la bouture. Celle-ci sera plantée le plus droit possible. La densité de plantation est un facteur de réussite important. Les feuillages doivent se frôler mais ne pas se toucher ainsi un microclimat sera créé autour de la culture. La dernière opération de fabrication sera l’arrosage fin mais suffisant. Le suivi de la culture dépendra des moyens à disposition. La méthode la plus simple reste de couvrir la culture avec un plastique de type polyane placé à 15 cm au dessus des plantes et supporté par des arceaux. Les conifères sont sensibles aux stress hydriques (le trop comme le pas assez). L’exposition doit éviter les excès de températures et de soleil. Durant la période d’hiver (jusqu’en fin février) il suffit de découvrir la culture lors d’une journée clémente, une fois toutes les trois semaines. Ensuite selon les conditions climatiques, il faudra aérer de plus en plus souvent jusqu’à complet sevrage. N’oubliez pas les soins habituels à un suivi de culture (arrosage, désherbage, engrais..). A la fin de l’été l’enracinement doit être acquis ». Dans l’entreprise, nous réalisons un million de boutures de conifères par an.


Greffage de Chamaecyparis obtusa 'Nana gracilis' - © N. Dorion

Greffage de Chamaecyparis obtusa 'Nana gracilis' - © N. Dorion


Et on greffe les récalcitrants…

Certains conifères sont multipliés par greffage car par expérience nous savons qu’ils ne s’enracinent pas ou que leurs racines ne sont pas de qualité suffisante pour permettre à la plante d’avoir une végétation « solide » (par exemple Cupressus, Cedrus, de nombreux cultivars).


De plus, l’emploi d’un porte-greffe adapté permet de cultiver certaines plantes dans des sols qui leur seraient interdits autrement. Pour les conifères, l’exemple le plus connu est le Cupressocyparis leylandii qui, greffé sur Cupressus sempervirens,  peut  pousser dans les sols calcaires. Le greffage des conifères reste une technique de multiplication délicate. Elle demande des moyens plus importants que pour le bouturage. Il faut une serre ou un chassis, posséder des porte-greffes élevés en godets depuis au moins un an et une grande dextérité. Les porte-greffes sont issus la plupart du temps de semis. Ils sont de la même famille botanique que la variété à greffer mais pas forcement du même genre. On peut greffer du Calocedrus (Libocedrus) sur Thuya par exemple. Le choix des porte-greffes demande des connaissances particulières. Ainsi, le choix des porte-greffes dans la multiplication des pins se fait en fonction du nombre des aiguilles (les pins peuvent avoir les aiguilles groupées par 2, 3, 5 ou 7). Dans le jargon professionnel on parle de greffer un 2 aiguilles sur un 2 aiguilles (exemple: Pinus sylvestris comme porte-greffe et Pinus sylvestris ‘Fastigiata’ comme greffon). Le type de greffage le plus utilisé est la greffe en placage sur le coté. Elle se pratique d’octobre à mars. Le porte-greffe est dégarni en base sur 3 ou 4 cm  et étêté à 20 cm de haut. Le sujet doit faire en moyenne 0,5 cm diamètre. Le greffon choisi sur un pied-mère sain doit avoir une base mature de couleur marron et doit être légèrement plus fin que le sujet à greffer. La longueur varie selon l’espèce à multiplier (pas plus de 15 cm). La base du greffon est dégagée sur 3 à 4 cm. La partie la plus délicate est de soulever une languette d’écorce sur la partie dégagée du porte-greffe avec un greffoir ou un cutter. Sur le greffon l’opérateur va écorcer les cotés opposés avec le même outil et couper la base en biseau. Ensuite le greffeur va glisser le greffon sous l’écorce du porte-greffe le biseau en haut. Ensuite on va ligaturer l’ensemble en utilisant du raphia ou une attache élastique spécifique. Comme dans le bouturage le miracle viendra du cambium. Si l’opération est faite avec minutie celui du greffon sera en contact avec celui du porte-greffe et la cicatrisation pourra se faire. Le suivi de culture est proche de celui de la bouture avec une opération  supplémentaire, le sevrage du porte-greffe, à effectuer en mai-juin. Pour les « conifères » caduques comme le Ginkgo, la greffe à l’anglaise donne de bons résultats. L’entreprise produit annuellement 15000 conifères greffés.

TABLEAU INDICATIF DE MULTIPLICATION DE CONIFERES
Nom des variétés Type demultiplication
genre espèce cultivar semis marcotte bouture greffage
Abies toutes   x      
Abies pinsapo tous       x
Araucaria araucana   x      
Calocedrus decurrens   x      
Calocedrus decurrens Variegata       x
Cedrus toutes   x      
Cedrus toutes tous       x
Chamaecyparis toutes   x      
Chamaecyparis toutes tous     x x
Chamaecyparis toutes cultivars à faible végétation   x
Cryptomeria japonica tous     x x
Cupressocyparis leylandii tous     x x
Cupressus toutes   x      
Cupressus toutes tous     x x
Ginkgo biloba   x      
Ginkgo biloba tous       x
Juniperus toutes   x      
Juniperus toutes tous   x x x
Larix toutes   x      
Metasequoia glyptostroboides   x   x  
Microbiota decussata       x  
Picea toutes   x      
Picea toutes tous     x x
Pinus toutes   x      
Pinus toutes tous       x
Sequoia sempervirens   x      
Sequoiadendron giganteum   x      
Sequoiadendron giganteum tous       x
Taxodium distichum   x      
Taxus toutes   x      
Taxus toutes tous     x x
Thuya toutes   x      
Thuya toutes tous   x x  

 

3 thoughts on “La multiplication des conifères n’est pas toujours un jeu d’enfant”

  1. Bonjour,

    Je suis étudiante en BTS Production Horticole et je m’intéresse à la multiplication par bouturage des conifères, savez-vous comment cela se déroule dans une pépinière de multiplication? Notamment quel type de substrat et de contenant est utilisé, de plus quel niveau d’humidité et de chaleur est nécessaire pour les boutures de conifères?

    Merci d’avance.

    1. Bonjour,
      Nous vous invitons à poser votre question directement aux experts de la Société Nationale d’Horticulture de France sur le service de questions/réponses HortiQuid http://www.hortiquid.org.
      Belle journée à vous.

      1. une fois le semis sorti, comment élève t’on les jeunes plants, quelle fréquence et quelle période de rempotage

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