La dématérialisation des collections – L’utopie du XXIe siècle

Emmanuelle Royon

« Libre à tous », peut-on lire à l’entrée de la bibliothèque de Boston et, en lettres d’or sur le mur de la salle des administrateurs de la bibliothèque de New York, ces mots de Thomas Jefferson : «Je considère la diffusion des Lumières et de l’éducation comme le moyen d’améliorer la condition, de promouvoir la vertu et d’assurer le bonheur des hommes.» Nous nous retrouvons là au XVIIIe siècle. Notre république s’est bâtie sur la foi en un principe central de la République des Lettres : la diffusion du savoir[1].

 

Livres anciens de la bibliothèque de la SNHF - © SNHF

Livres anciens de la bibliothèque de la SNHF - © SNHF


La première occurrence de la République des lettres remonte au XVe siècle ; la respublica literaria que l’on pourrait traduire par le «bien commun littéraire européen»[2]. Les humanistes italiens souhaitaient retrouver les grands textes classiques grecs et latins, qu’ils soient philosophiques, scientifiques ou poétiques afin de les restituer commentés et, grâce à l’imprimerie, de les réunir en collections «destinées à former le noyau de toutes les bibliothèques européennes»[3]. Après cette révolution technologique qu’a été l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles, nous sommes aujourd’hui face à une nouvelle révolution technologique, celle du web de données et de la dématérialisation. La numérisation fait grandir en nous la réalisation de l’utopie de la République des Lettres. Utopie, du grec ou «non » et topos « lieu », autrement dit « en aucun lieu », la numérisation en est la traduction littérale. Elle peut et doit offrir un accès à la connaissance à tous et où que nous nous trouvions.

 

La numérisation s’inscrit au cœur des missions des bibliothèques depuis une vingtaine d’années déjà. Pour ne prendre que l’exemple de la France, le président François Mitterrand annonçait le 14 juillet 1988, «la construction et l'aménagement de l'une ou de la plus grande et la plus moderne bibliothèque du monde... [qui] devra couvrir tous les champs de la connaissance, être à la disposition de tous, utiliser les technologies les plus modernes de transmission de données, pouvoir être consultée à distance et entrer en relation avec d'autres bibliothèques européennes» [4]. L’objectif de la création d’une bibliothèque numérique était d’ores et déjà inscrit dans les principes fondateurs de la Bibliothèque nationale de France.
Depuis 1997, date d’ouverture de Gallica[5], les bibliothèques numériques se sont multipliées en France et les fonds des réserves ne sont désormais plus seulement accessibles aux chercheurs accrédités mais à toute personne désireuse d’en avoir la connaissance. La numérisation s’accélère. La BnF a lancé des programmes de numérisation de masse des imprimés du XIXe siècle, de la presse et soutient les programmes de nombreuses bibliothèques d’établissements publiques, d’associations, de sociétés savantes, etc. La SNHF a rejoint, depuis 2012, les projets nationaux de numérisation en devenant pôle associé de la BnF. Si elle avait déjà entrepris de numériser ses collections dès 2011, ses ambitions se sont vues grandies par ce partenariat. En 2013, la SNHF a développé un logiciel dédié de bibliothèque numérique et ses collections rejoindront ce premier semestre 2014 celles de la BnF par le biais d’un protocole qui permet l’interopérabilité des métadonnées.

 

Plus qu’une bibliothèque numérique, Gallica se doit de rassembler les collections numérisées françaises. Ce sont désormais plus de 2 millions de documents qui y sont accessibles. Ces documents viennent des collections de la BnF mais aussi des bibliothèques partenaires[6] comme très prochainement celles de la bibliothèque numérique Hortalia de la SNHF. L’objectif est désormais de regrouper les collections de toutes les bibliothèques numériques afin de favoriser le référencement des documents sur le web. A l’échelle française, il s’agit du rôle de Gallica, à l’échelle européenne celui du portail Europeana[7]. Outre-Atlantique, 2013 a vu la réalisation d’un projet ambitieux : la DPLA[8] , Digital Public Library of America. Ce projet vise d’abord à regrouper les collections des bibliothèques américaines, bien sûr, mais il vise aussi à rassembler les ressources de la DPLA avec d’autres portails et notamment Europeana.

Est-il encore possible d’entrevoir des limites technologiques à la réalisation de ces projets ? Sommes-nous sur le point de nous rapprocher de l’utopie de la République des Lettres ? Quelle place auront alors nos bibliothèques traditionnelles ?
A Pierre Syren, qui s’interrogeait récemment dans un article du Monde : « A quoi sert une bibliothèque quand l’information est partout ?[9] », nous aimerions répondre que les missions de mise à disposition des documents physiques ou numériques, de médiation entre les contenus et les usagers seront toujours primordiales et utiles. Quel avenir présager pour les bibliothèques ? Encore de beaux-jours, oserons-nous y croire…
 

Page d'accueil d'Hortalia, la bibliothèque numérique de la SNHF.

hortalia bientot en ligne

La bibliothèque numérique Hortalia sera très prochainement mise en ligne et ses collections rejoindront celles de Gallica au premier semestre 2014. Son ouverture sera l’occasion d’une rétrospective des projets de numérisation de la SNHF. Ci-contre, page d'accueil d'Hortalia, la bibliothèque numérique de la SNHF.

 

[1] Robert DARNTON, Apologie du livre : demain, aujourd'hui, hier, traduit par Jean-François SENE, Ed. augmentée, Paris : Gallimard, 2012, p. 156

[2] http://www.res-literaria.fr/respublica-literaria/definition-et-historique/, consulté le 20/12/2013

[3] Ibid.

[4] http://multimedia.bnf.fr/visitefmitterrand/histoire/esp_hp.htm, consulté le 19/12/2013

[5] Bibliothèque numérique de la BnF.

[6] http://gallica.bnf.fr/html/bibliotheques-partenaires, consulté le 19/12/2013

[7] http://www.europeana.eu/

[8] http://dp.la/

[9] André Pierre Syren, cité par Pascal Krémer, « Ma médiathèque mute », Le Monde, rubrique culture et idées, 21 janvier 2012

 

janvier-février 2014