La couleur des fleurs, une réalité virtuelle !

Alain Cadic

Fleurs de Fritillaria meleagris : les mouchetures montrent une « répartition territoriale » des matières colorantes dues à leur biosynthèse - © N. Dorion
Fleurs de Fritillaria meleagris : les mouchetures montrent une « répartition territoriale » des matières colorantes dues à leur biosynthèse – © N. Dorion

La couleur intrinsèque des objets n’existe pas ! Et pourtant, tout le monde connait les couleurs du spectre visible et peut s’extasier devant le vert des feuillages, le rouge, le jaune, l’orangé d’une fleur. En réalité, la vision résulte de l’analyse faite par le cerveau des signaux captés par l’œil. Ces signaux proviennent de l’objet, en l’occurrence, la fleur, qui renvoie certaines des ondes lumineuses qu’il a reçues. Il s’agit d’une relation impliquant la source d’excitation (la lumière), la réaction de la fleur à ces stimuli et l’observateur dont les yeux et le cerveau sont les éléments essentiels.

Le capteur et l’analyseur : l’œil et le cerveau

Nous, êtres humains, savons distinguer les couleurs avec plus ou moins de subtilité. Ce n’est pas le cas tout le temps et ce n’est pas le cas de tous les animaux. En effet, si nous nous plaçons dans le noir ou si nous utilisons des lumières bleues, jaunes ou autres, la perception que nous avons d’un même objet n’est pas la même (illustration 1). Notre cerveau analyse l’information reçue et l’interprète. Toutes les illusions d’optique montrent bien l’influence du cerveau dans l’interprétation des signaux visuels et de la réalité objective.

Les structures de l’œil et de la rétine conditionnent notre perception des couleurs grâce aux cellules en cônes qui sont excitées différentiellement par les rayons lumineux. Trois sortes de cônes captent, pour les uns dans le bleu, pour les autres dans le rouge et pour les troisièmes dans les longueurs d’ondes intermédiaires. Transformés en signaux électriques, ces informations parviennent au cerveau par le nerf optique. La zone occipitale du cerveau interprète ces stimuli en fonction de notre expérience. Certains défauts, comme le daltonisme ou des accidents cérébraux, peuvent nous priver de la perception de tout ou partie des couleurs.

La lumière est obligatoire

Illustration 1 – L’éclairage modifie la perception des couleurs d’un poivron et d’une feuille de Bergenia

Qu’elle soit naturelle, produite par le soleil ou résultant d’une réflexion sur des surfaces (la lune, les murs, les vitrines, …) ou artificielle (produite par des lampes de natures variées), la lumière est indispensable à la vision. Le spectre de lumière visible que l’œil humain peut capter fait partie de toute une famille de radiations électromagnétiques (voir encadré 1) que l’on peut caractériser par la longueur d’onde, la fréquence ou l’énergie. La lumière du soleil contient toutes les longueurs d’ondes visibles alors que l’éclairage artificiel peut privilégier certaines longueurs d’onde selon les lampes (incandescence, néons, à vapeur de sodium ou de mercure, LED, …). Les horticulteurs sont sensibles à cette question lorsqu’ils doivent éclairer leurs serres et les photographes savent l’importance de l’éclairage sur le rendu de leurs photos.

La réaction des objets éclairés

Tout objet peut être concerné, mais nous nous limiterons ici aux plantes et plus spécialement aux fleurs. Une fleur est baignée par des rayonnements de toutes natures mais en particulier par les rayonnements UV, infrarouge et par le rayonnement visible par l’œil humain.

L’état de surface des organes ou leur composition peut modifier la perception que nous en avons. Ainsi, la présence de pruine sur un fruit comme la prune modifie sa couleur. La pubescence plus ou moins importante des feuilles ou des fruits diminue le degré de saturation des couleurs sous-jacentes. La présence de bulles d’air sous épidermiques produit une réflexion de la lumière en donnant des coloris gris comme chez Pilea cardierei.

Chez les végétaux, les couleurs sont produites par absorption des rayons lumineux par des substances de diverses natures formant les matières colorantes parfois appelées improprement pigments. De la structure moléculaire du constituant dépend les longueurs d’ondes qui sont absorbées. La couleur perçue est celle qui correspond aux longueurs d’onde du spectre qui ne sont pas absorbées (encadré 2).

Les matières colorantes

Les matières colorantes sont très diverses dans leurs structures et leurs voies de biosynthèse.

Les chlorophylles : Il existe 6 formes de chlorophylles dont la « a », présente chez tous les végétaux, et la « b » spécifique des végétaux supérieurs. La chlorophylle « a » montre deux pics d’absorption, l’un à 430 nm (bleu) et l’autre à 660 nm (rouge) et, respectivement, 445 et 645 pour la chlorophylle b (illustration 2). Les rayons de la partie centrale du spectre (vert) ne sont pas absorbés, c’est pourquoi seule la couleur verte et ses diverses nuances sont visibles dans les parties végétales très riches en chlorophylle comme les tiges, feuilles et sépales.

Illustration 2 : Spectre d'absorption des chlorophylles a et b
Illustration 2 : Spectre d’absorption des chlorophylles a et b

 

Les caroténoïdes : Ils forment un groupe de constituants présents chez les plantes à photosynthèse et les bactéries. Les caroténoïdes ne sont pas solubles dans l’eau (d’où la difficulté de nettoyer les taches de sauce tomate) et s’accumulent dans les graisses des animaux qui en consomment beaucoup (saumon, flamants roses, …). Selon la nature des molécules concernées, la couleur des caroténoïdes varie du jaune (lutéine du jaune d’œuf ou de l’œillet d’inde) au rouge vif (capsanthine du poivron) en passant par l’orangé (carotène de la carotte). Les caroténoïdes absorbent principalement dans la bande du bleu au vert.

Les polyphénols : regroupent un ensemble vaste comprenant plusieurs classes de molécules dont les flavonoïdes et les anthocyanes. Ils jouent un rôle important dans la coloration des organes végétaux. Le plus souvent, ils sont présents en association avec des sucres (fructose, glucose, rhamnose, …) et peuvent former des structures complexes avec des copigments comme l’ion aluminium (Hydrangea). La copigmentation et le pH des tissus modifient sensiblement la couleur qui, pour les anthocyanes, varie du bleu au rouge-violacé. Le coloris jaune des dahlias, des mufliers etc. est due à la présence d’aurones, une autre classe de polyphénols. Les flavonoïdes, excités par les rayons UV, sont également visibles par les insectes pollinisateurs. Ils montrent souvent la direction du centre de la fleur où se trouvent les sources de pollen et de nectar.

Les bétalaïnes : sont des colorants jaunes, rouge vif ou rouge violacé présents uniquement dans l’ordre des Caryophyllales sauf chez les Caryophyllaceae. Décrites pour la première fois dans la betterave rouge, on les rencontre chez les bougainvilliers, les belles de nuit, les Opuntia et autres Cactaceae mais pas chez l’œillet où la couleur est due à des anthocyanes.

D’autres composés apparaissent plus rarement et sont employés dans les teintures à base de végétaux[1].

Assez fréquemment, l’association de colorants dans les divers tissus d’un pétale est responsable de la variété des nuances. Des anthocyanes présents dans l’épiderme et des caroténoïdes dans le parenchyme sous-jacent donnent par superposition des nuances autres que leurs coloris pris isolément.

La biosynthèse des matières colorantes obéit parfois à une répartition territoriale donnant des figures très variées : en croix dans certaines variétés de Petunia, sous forme de mouchetures (Alstroemeria, Fritillaria), de rayures (Cosmos), de taches plus ou moins régulières comme chez les rosiers ou les dahlias chimériques.

Le rayonnement électromagnétique

Le rayonnement électromagnétique est caractérisé par sa fréquence, sa longueur d’onde ou son énergie. Son spectre varie de 0 à l’infini. Il comprend les ondes radios, les diverses formes des infrarouges, le spectre visible par l’homme, les divers rayonnements UV, les rayons X et les rayons gamma dans le sens croissant de la fréquence en Hertz et dans le sens décroissant des longueurs d’onde.

Le spectre visible par l’œil humain, ou spectre prismatique, est compris entre 390 nanomètres (violet) à 780 nanomètres (rouge) ; le spectre visible par d’autres animaux dépend de la nature des récepteurs rétiniens.

* 1 nanomètre = 1 millionième de millimètre

Couleurs et longueurs d’onde

L’une des propriétés des rayonnements électromagnétiques est la réfraction, c’est à dire le changement de direction des rayons en passant du milieu air à un autre milieu. L’importance du changement de direction dépend de la longueur d’onde du rayon. Ce phénomène a été clairement mis en évidence par Newton et compris plus tard : une lumière blanche, composée de rayons de multiples longueurs d’onde se disperse à la sortie du prisme.

Couleur et longueur d’onde en nanomètres

Rouge 625-740
Orange 590-625
Jaune 565-590
Vert 520-565
Cyan 500-520
Bleu 450-500
Indigo 430-450
Violet 380-430

 

[1] Pour en savoir plus, voir le dossier n°644 de Jardins de France : Fibres et teintures végétales

 

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