Des introductions originales mais sans lendemain : Les vignes tuberculeuses…

Daniel Lejeune

Le 12 mars 1882, la maison Vilmorin-Andrieux et compagnie reçoit de M. Martin, jardinier de l’Etat à Saïgon, des graines d’une vigne cochinchinoise merveilleuse. Martin relate dans ses courriers dont de larges extraits sont publiés dans la Revue Horticole[1], qu’il a vu de ces vignes lancer des tiges herbacées de 50 pieds de long et porter des grappes de raisins de 4 kg. Une sorte de record est pulvérisé par un sujet ayant donné 100 kg de raisin !

RH 1883 Vigne tuberculeuse de Cochinchine2Quoi de plus intéressant, alors que nos bonnes vignes à vin sont décimées par l’affreux Phylloxera arrivé au début des années 1860, que les terres viticoles se bradent à vil prix, que les vignes américaines, résistantes, ne donnent que des vins médiocres et même parfois toxiques…La crise phylloxérique, nous disent les économistes, aura coûté à la France plus cher que le conflit de 1870 avec la Prusse. Ce n’est pas rien !

Vignes exotiques

On cherche des espèces asiatiques, sud-africaines, etc. qui sauveraient la viticulture française. On tente des hybridations pour concilier la carpe et le lapin, entendez la résistance au Phylloxera et la qualité du raisin. On noie le puceron et les racines qui le portent, on l’intoxique au sulfure de carbone…rien n’est satisfaisant.

Alors, ces vignes exotiques, ne se conservant durant la mauvaise saison que par un système racinaire « tuberculeux »…pourquoi ne pas les essayer ?

Encore faudrait-il que les graines expédiées soient fertiles : ce n’est pas le cas. On importe donc directement des souches racinaires. De timides essais sont tentés jusque dans l’Allier, mais c’est globalement peu convaincant. Déjà à Saïgon, le raisin était peu goûteux et le vin atteignait péniblement les 4 °…, même pas un succès d’estime ! Les Vilmorin auront en tout cas essayé d’entretenir cet espoir.

Le greffage, la bonne solution

RH 1883 Vigne tuberculeuse de CochinchineDans le même temps, un explorateur, Lecard, avait trouvé des plantes similaires dans le Soudan africain. Diverses formes avaient été derechef décrites et baptisées par Elie-Abel Carrière : Vitis Lecardii, Duratii, Xchantinii, Faidherbii, Hardyi. Les dédicaces étaient bonnes, c’est déjà cela…et ce sera tout[2].

Ces végétaux sans doute pleins de potentialités sous leur climat originel, n’emporteront pas davantage de succès que les Vignes vierges auxquelles on également avait pensé.

Elles sont dorénavant connues sous le nom de Ampelovitis et ne sont plus qu’un souvenir.

Ce sera finalement la technique préconisée par Charles Baltet, celle du greffage de notre Vitis vinifera sur des porte-greffes américains, qui s’avèrera être la bonne solution.

[1] RH 1882 p 25, 89, 137, 162, 183

[2] RH1881 p 352, 413, 456