Installation d’une safranière et culture du Crocus sativus

André Pierronnet

Crocus sativus en pleine floraison (octobre) - © A. Pierronnet
Crocus sativus en pleine floraison (octobre) – © A. Pierronnet

Plante géophyte[1] triploïde stérile le Crocus sativus est un crocus à floraison automnale, à feuillaison automnale à printanière et à dormance printanière à estivale dont l’organe de conservation et de multiplication est un cormus. La reproduction végétative est obligatoire et se fait annuellement par la production de cormus fils issus du cormus père. Tout le cycle est étroitement lié aux variations saisonnières des températures (Fig. 1).

Le travail du safranier aura pour but de favoriser le plus fort grossissement possible des cormus fils car c’est de leur taille que dépend la récolte des fleurs de la saison automnale à venir.

A partir de cormus sains et de diamètre ≥ à 2,5 cm, de façon à avoir tous les cormus à fleur l’année même de la plantation, la durée de la culture est de trois ans (trois floraisons en place). Chronologie pour installer une safranière :

Choisir un bon emplacement de la safranière

Figure 1 – Cycle de végétation de Crocus sativus
Figure 1 – Cycle de végétation de Crocus sativus

Le choix de l’emplacement de la safranière dépend des exigences de la plante.

La terre doit être bien drainée, fertile, de consistance moyenne et bien orientée sud, sud-ouest. En terre trop argileuse l’excès d’eau prolongée provoque la pourriture des cormus ; inversement une terre trop sableuse ne convient pas.

Il faut :

  •  avoir une possibilité d’irrigation. Le Crocus sativus a besoin d’eau de septembre à avril, mais il ne craint pas la sécheresse pendant la dormance.
  •  proscrire les précédents culturaux de plantes « racines » qui risquent de transmettre des maladies.
  • Un emplacement ensoleillé favorise la pousse. Crocus sativus ne craint pas les enneigements intermittents mais il faut bien réfléchir à la région d’implantation de la safranière car le cormus gèle à –13°C à son niveau et il suffit d’une période prolongée de froid très intense pour anéantir plusieurs années de travail.

Les feuilles ne craignent pas les gelées même fortes, mais les fleurs gèlent à -1, -2°C et deviennent difficiles à émonder.

Un terrain ameubli et engraissé

Le sol doit être labouré profondément, bien ameubli, engraissé par une fumure de fond, consistant en un apport de 10 à 15 tonnes/ha d’un fumier bien décomposé, de 100 kg de P2O5 et de 100 kg de K2O, répartie dans toute l’épaisseur exploitable par les racines (30 à 40 cm).

Pour les cultures qui restent en place plusieurs années, les fumures complémentaires de surface sont faites durant la période de dormance à la dose de 70 kg de P2O5 et 70 kg de K2O par ha/an. Durant la végétation active la fumure azotée apportera 70 kg de (NO3-) par hectare/an.

Bien préparer les cormus.

Les cormus doivent être réservés chez un safranier. Ils sont préparés, avant ou après l’achat, pour la plantation en juillet[2].

Les cormus récoltés après la sénescence complète des feuilles (juin) sont séparés, nettoyés sommairement, calibrés et stockés à l’ombre dans une pièce aérée à 25-30°C pour que l’induction florale soit complète et que la dormance soit levée. Avant la plantation, les cormus sont débarrassés de la vieille tunique fibreuse sans les mettre à nu.

Planter pendant la dormance estivale.

Les cormus préparés sont plantés en juillet. Après une bonne reprise d’affinage du sol on ouvre les sillons avec un engin approprié. La bonne profondeur de plantation (p), pour la plante, est entre 15 et 20 cm, pour les raisons suivantes :

  1. a) le cormus gèle à -13°C donc il faut le mettre en protection en cas d’hiver très rigoureux,
  2. b) si le cormus est trop près de la surface (p < 15 cm), il subit trop les variations des températures à la baisse comme à la hausse.

Les cormus sont plantés à la densité d’environ 70/m2 sur des lignes espacées d’environ 15 à 20 cm. L’espacement sur la ligne est de 8 cm pour des cormus normalement à fleurs (diam.≥2,3 cm[3]) car il faut prévoir la place des futurs groupes de cormus, le taux de multiplication étant de 4 par an environ. Les cormus de diamètre inférieur à 2,3 cm sont plantés séparément à une densité supérieure. Ils ne sont pas florifères l’année de la plantation. Les cormus plantés sont rapidement recouverts de terre.

Après plantation et surfaçage, un arrosage permettra de tasser la terre et de faire lever les herbes indésirables que l’on pourra détruire avant la sortie des pointes feuillées des cormus (sarclage ou brûlage).

Végétation active et floraison.

La floraison se déroule d’octobre à début novembre - © A. Pierronnet
La floraison se déroule d’octobre à début novembre – © A. Pierronnet

Cormus poussant, tunique enlevée, avec les racines sur le cormus père et le démarrage des bourgeons qui donneront les cormus fils (photo prise début octobre) – © A. Pierronnet

Cormus poussant, tunique enlevée, avec les racines sur le cormus père et le démarrage des bourgeons qui donneront les cormus fils (photo prise début octobre) - © A. Pierronnet
Cormus poussant, tunique enlevée, avec les racines sur le cormus père et le démarrage des bourgeons qui donneront les cormus fils (photo prise début octobre) – © A. Pierronnet

A la mi-août, en terre, alors que la température moyenne commence à baisser et qu’une pluie (ou un arrosage) aura bien humecté le sol, le cormus entre en végétation en émettant des racines et en allongeant les apex des bourgeons. Le début feuillaison et la floraison ont lieu de façon concomitante d’octobre à début novembre.

D’octobre à mars les feuilles se développent ainsi que les cormus fils enveloppés par la base de celles-ci.

En fin d’hiver le cormus père se dessèche progressivement et les cormus fils atteignent leur volume maximal.

Courant avril- mai, les feuilles se dessèchent et les cormus fils, groupés autour du résidu sec du cormus père, entrent en dormance estivale (Fig1).

C’est un peu avant le début du dessèchement des feuilles et durant la première période de ce dessèchement que se fait l’initiation des bourgeons à fleurs et des bourgeons végétatifs du cycle suivant. L’initiation des fleurs se fait d’autant mieux que les températures subies par les cormus avoisinent les 25-30 °C (températures du sol au niveau des cormus ou du lieu de stockage).

Récolte des fleurs et préparation du safran.

Technique d'émondage pour récupérer les stigmates - © A. Pierronnet
Technique d’émondage pour récupérer les stigmates – © A. Pierronnet

La baisse des températures (17°C et au dessous) provoque le grandissement des fleurs et des feuilles. La floraison dure environ trois semaines (octobre). Le matin on passe dans le champ, on coupe les fleurs d’un coup d’ongle du pouce 1 cm sous la corolle et on les dépose dans un panier.

La cueillette finie, on les reprend et on coupe le style juste au-dessous de la bifurcation des trois stigmates rouges que l’on enlève si possible ensemble. On peut aussi couper la fleur entière à sa base et trier les résidus floraux pour récupérer les stigmates.

Quand on a une quantité suffisante de stigmates frais, on les met sur un tamis métallique inoxydable, au dessus d’une source de chaleur modérée, environ 60-70°C, sans fumée. Un four électrique réglé à 60°C ventilé fait très bien le séchage en 30 min. Il ne faut pas brunir les stigmates qui doivent garder une coloration rouge sombre, être souples et non cassants.

Lors de la dessiccation le stigmate perd 80 % de son poids. Celle-ci est indispensable pour une bonne conservation et un bon développement de l’arôme et de la saveur du safran. L’odeur, due principalement au safranal, se développe intensément dans le mois qui suit la dessiccation. Une fleur fraîche pèse environ 0,4 à 0,5 g et donne 0,03 g de stigmate frais qui donneront environ 0,006 g de safran sec. Il faut les stigmates d’environ 165.000 fleurs, pour obtenir 1 kilogramme de safran[4].

On conservera le safran sec dans des boîtes opaques, hermétiques, à l’abri de l’humidité sinon il moisira.

Après la récolte des fleurs, on entretient la safranière. En plus du désherbage il faut empêcher les attaques de lapins et de chevreuils ou autres brouteurs. Les petits rongeurs s’installent sous la ligne de plantation et consomment les cormus. Les vers blancs des hannetons attaquent les cormus.

Arrachage et nettoyage des cormus

Un groupe de cormus après récolte et nettoyage sommaire (photo prise en juin) - © A. Pierronnet
Un groupe de cormus après récolte et nettoyage sommaire (photo prise en juin) – © A. Pierronnet

À la fin de la culture triennale, en mai- juin, une fois les feuilles bien sèches, on peut sortir les cormus fils (troisième génération) de terre. La récolte doit se faire rapidement sans exposer les cormus à la lumière. On les sèche dans un endroit aéré et chaud (25 à 30° C), à l’obscurité, sur un plancher ou un grillage.

Les cormus provenant d’une safranière après trois ans d’exploitation, sont triés par calibre en fonction de leur destination : les petits cormus non florifères (diamètre < 2,3 cm), pour les rangs pépinière de grossissement, les gros cormus florifères diamètre ≥2,3 cm, pour les rangs de récolte florale et de multiplication.

Au cours du séchage, les cormus sont nettoyés mais on leur laisse les résidus de leurs propres feuilles (tunique).

On vérifie leur état sanitaire en soulevant la tunique. Il faut éliminer les cormus présentant des invaginations de la chair, couleur noire ou orangée, ainsi que les cormus mous ou blessés.

[1] Les géophytes sont des plantes qui passent leur période de dormance sous la surface de la terre……

voir la classification de Raunkier pour plus de détail

[2] Voir 4) préparation des cormus

[3] Les cormus de 2,3 cm fleurissent à 80% ; pour l’achat je dis des cormus de 2,5 cm pour être sûr d’avoir au moins une fleur par cormus acheté

[4] Si on n’a pas beaucoup de fleurs, on peut stocker celles-ci, sans les émonder, dans un récipient étanche garni de papier absorbant, pendant trois jours maximum au réfrigérateur.

 

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