Hormones végétales, régulateurs de croissance et horticulture (partie I)

Noëlle Dorion

Le développement[1] d’une plante qui recouvre à la fois la naissance et la croissance des organes, ne se fait pas au hasard ni de façon anarchique. Il existe un système de régulation que l’on soupçonnait déjà complexe dans la seconde moitié du 20ème siècle et qui se révèle de jour en jour encore plus complexe tout en commençant à livrer ses secrets. Ce développement harmonieux et reproductible est rendu possible grâce à des messagers chimiques internes à la plantes qu’on appelle hormones végétales ou phytohormones.

 

La connaissance du fonctionnement des hormones a permis de nombreuses applications comme des conservateurs pour Alstroemères - © N. Dorion

La connaissance du fonctionnement des hormones a permis de nombreuses applications comme des conservateurs pour Alstroemères - © N. Dorion

 

En plus de la coordination des évènements normaux de la vie de la plante, les hormones sont aussi impliquées dans les réactions aux événements anormaux (stress), qu’ils soient biotiques (champignons, bactéries, virus, insectes, vertébrés divers,…) ou abiotiques (sécheresse, inondation, gel, tempête,..). Contrairement aux animaux, la plante ne peut pas se déplacer pour se mettre à l’abri ou chercher sa nourriture. Elle ne peut donc réagir à une situation de stress qu’en mettant en place très rapidement des réactions de défense plus ou moins efficaces par l’intermédiaire de médiateurs chimiques.

 

Une multitude de phénomènes

Les phytohormones sont des substances organiques composées de petites molécules synthétisées par la plante, transportées des lieux de synthèse vers le site d’action dans le système vasculaire ou par voie intercellulaire et agissant à faibles concentrations. Cette première définition, qui date de la première moitié du 20ème siècle, est aujourd’hui un peu battue en brèche car certaines hormones ont une action strictement locale à proximité des sites de synthèse et celles qui agissent loin de leurs lieux de synthèse primaire ont en plus un effet local. Contrairement aux organes animaux, les lieux de synthèse ne sont pas structurés en glandes et les hormones végétales agissent en général sur une multitude de phénomènes (effets pléïotropiques).


 

Transporteurs et récepteurs

La cascade d’évènements qui conduit de la synthèse à l’effet est complexe. Ainsi, le nombre de molécules d’hormones efficaces disponibles dépend en simplifiant beaucoup :

- De l’équilibre entre la synthèse, la dégradation et l’inactivation par stockage de l’hormone.

- De l’existence de transporteurs capables de prendre en charge la molécule pour la conduire vers les cellules cibles dans les flux de sève ou de cellules à cellules .

- Du nombre de molécules d’une hormone donnée qui atteignent le site d’action

- Et finalement du nombre et de la sensibilité des récepteurs présents au niveau de la cible.

La réponse sera théoriquement forte quand les molécules et les récepteurs sont nombreux, et faibles quand les molécules sont peu nombreuses et/ou les récepteurs peu nombreux ou insensibles.

 

Six types d’hormones connus à ce jour

Très tôt après la découverte des premières phytohormones, de leurs structures chimiques et de leurs modalités de synthèse, les chimistes ont été capables de synthétiser artificiellement des molécules nouvelles qui, appliquées sur la plante, avaient les mêmes effets que l’hormone naturelle ou étaient susceptibles d’en bloquer les effets en agissant soit sur la synthèse, soit sur transport de l’hormone. On appelle ces molécules de synthèse les régulateurs de croissance. Très rapidement, en dépit de connaissances fondamentales encore limitées, ces molécules sont sorties du laboratoire pour être utilisées à des fins de maîtrise du développement des plantes en agriculture comme en horticulture. On connaît actuellement six types d’hormones découvertes entre 1926 et 1995 que l’on peut classer schématiquement en substances stimulatrices du développement (4) et des substances à effets mixtes (2). Pour les premières (Auxines, Cytokinines, Gibbérellines, Brassinostéroides) on connaît aujourd’hui toute une famille de molécules actives. Pour la seconde catégorie, Ethylène et Acide Abscissique une seule structure a été identifiée. Pour faciliter la lecture de cet article qui comprendra deux parties, les hormones vont être présentées successivement avec les applications horticoles majeures. Cependant, elles interagissent soit de façon antagoniste (effets opposés) ou synergique (effets additifs), dans un réseau extrêmement complexe.

 

Enracinement in vitro de micro boutures de pêcher ‘Armking’ dans un milieu contenant des auxines - © N. Dorion

Enracinement in vitro de micro boutures de pêcher ‘Armking’ dans un milieu contenant des auxines - © N. Dorion

Les Auxines

L’AIA (acide β-indolyl acétique) est la première auxine endogène identifiée (Went 1926). Elle doit son nom à la mise en évidence de son rôle dans la croissance (auxèse) des cellules. Depuis, d’autres auxines naturelles ont été identifiées, et de nombreuses substances à activité auxinique ont été synthétisées et utilisées en horticulture. Les auxines sont synthétisées dans le méristème caulinaire qui assure la croissance végétative de la plante, principalement au niveau des ébauches foliaires. La circulation est polarisée, vers le bas, soit avec la sève élaborée, soit de cellule à cellule. Plusieurs effets importants pour l’horticulture sont à mentionner. Elles imposent la dominance apicale, privilégiant la croissance de la tige sans pousse latérale concurrente. L’horticulteur et le jardinier connaissent bien cet effet qu’ils annulent lorsqu’ils pincent ou taillent les pousses pour favoriser la ramification. La transformation du méristème végétatif en méristème floral produit le même effet. Les auxines stimulent la division des cellules au niveau du cambium qui assure la croissance en épaisseur de la tige et activent l’apparition des racines secondaires ou adventives. Associés au transport polarisé, ces effets sont importants pour le praticien. Ils déterminent le fait qu’une tige qu’on bouture est capable de s’enraciner. Les auxines vont s’accumuler à la base de la tige favorisant l’organisation des racines à partir du cambium. Ceci explique pourquoi des plantes qui s’enracinent difficilement peuvent être traitées localement par des préparations commerciales à base d’auxines de synthèse (AIB, Acide indole butyrique,..) pour faciliter l’apparition des racines[2].

novembre-décembre 2013


Courbure géotropique des inflorescences de Muflier inclinées - © N. Dorion Courbure géotropique des inflorescences de Muflier inclinées - © N. Dorion

 

Croissance cellulaire et gravitropisme

Les auxines contrôlent aussi la croissance cellulaire et le gravitropisme qui assure que les tiges croissent dans l’air (orthotropisme) et les racines dans le sol (géotropisme). Par exemple, une inflorescence de glaïeul ou de muflier, couchée, se redresse inexorablement. Dans ces tiges, les auxines vont migrer de cellule à cellule de la partie supérieure de la tige vers la partie inférieure entraînant une croissance différentielle des deux parties de la tige (FIGURE 2). Ce phénomène est important pour les professionnels puisqu’il leurs impose de transporter et de conserver à la verticale les fleurs qui y sont sensibles. Les auxines ont aussi un rôle dans la croissance des fruits qu’elles stimulent et dans le phénomène d’abscission[3] qu’elles retardent. Ainsi, l’utilisation des substances auxiniques de synthèse est préconisée en arboriculture fruitière. Logiquement, elles sont utilisées pour favoriser la nouaison, c'est-à-dire la toute première croissance des fruits, et éviter la chute quand la situation extérieure et défavorable. Par contre, beaucoup moins logiquement, elles sont aussi employées pour l’éclaircissage en provoquant la chute d’un certain nombre de fruits ; elles contribuent à favoriser la croissance de ceux qui restent et à limiter le phénomène d’alternance[4]. Pour expliquer ce phénomène, il faut se rappeler d’une part que les hormones végétales interagissent et que l’effet hormonal se produit à faible dose. Dans la situation ci-dessus, les doses supra optimales utilisées vont interagir avec l’éthylène qui, elle, est connue pour activer l’abscission. D’ailleurs, pour les auxines, les effets d’overdoses sont bien connus et utilisés depuis longtemps puisque une molécule à activité auxinique telle que le 2-4D a été utilisée comme désherbant dès les années 40. Quelques formulations sont autorisées en France.

 

Les Gibbérellines

Dans les années 20, certains riz japonais contaminés par un champignon (Gibberella fujikuroi) devenaient géants. Dans les années 30, les extraits du milieu de culture du ce champignon se sont révélés actifs sur la croissance végétale. Vers 1955,  ces substances ont été purifiées : les gibbérellines étaient nées. Cette famille de molécules naturelles (GAs) est immense, plus de 130 connues à ce jour, mais seulement 2 ou 3 réellement actives dans la plante (l’acide gibbérellique -GA3, GA1 et GA4). Les GAs sont produites principalement dans les jeunes feuilles en croissance, dans les graines et dans l’embryon. Elles circulent indifféremment dans la sève brute, dans la sève élaborée ou de cellule à cellule. L’effet reconnu en premier est donc l’effet sur la croissance des organes et en particulier sur l’allongement des entre-nœuds (FIGURES 3). C’est cet effet qui mobilise le plus d’applications mais l’enjeu agronomique est inverse. En effet, l’agriculteur comme l’horticulteur souhaite avant tout limiter la croissance des tiges, le premier pour rendre les céréales plus résistantes à la verse, le second pour éviter l’étiolement des plantes cultivées en serre en période hivernale (fleurs coupées, plantes à massifs) ou pour obtenir des plantes plus trapues donc plus esthétiques et moins encombrantes (plantes fleuries en pots, plantes de pépinières). Pour atteindre l’objectif, il faut donc empêcher l’action des GAs. Pas facile ! Mais la recherche fondamentale a fourni la solution.

 

Wichurana en fleur - © M. Randoux

Rosa wichurana traitée par GA3 : allongement des tiges et des entre-nœuds, inhibition de la floraison- © M. Randoux

1: Wichurana en fleur - © M. Randoux / 2: Rosa wichurana traitée par GA3 : allongement des tiges et des entre-nœuds, inhibition de la floraison - © M. Randoux

 

Plusieurs applications

Pour étudier les effets des GAs, elle s’est attachée à identifier d’une part tout le processus de synthèse et d’autre part les substances capables de le bloquer. Ces substances de structures diverses et inconnues dans la plantes sont appelées « retardants de croissance » ou « nanifiants » et appartiennent à la catégorie des régulateurs de croissance. Pour les usages en horticulture ornementales, le professionnel dispose de Paclobutrazol et de Daminozide ce dernier étant quatre fois plus nocif pour l’applicateur que le Paclobutrazol (DL50 pour le rat 8400 mg/kg contre 1954 mg/kg). Dans les conditions naturelles, les GAs produites par les graines et les jeunes fruits contribuent au maintien du fruit sur l’arbre et à sa qualité. Des traitements avec un mélange de GAs (GA4+ GA7) ont été utilisés pour promouvoir la croissance de poires parthénocarpiques (sans graines) après un gel tardif compromettant la nouaison ou pour améliorer la qualité des variétés de raisins sans pépins. On a maintenant la confirmation moléculaire que les GAs inhibent l’induction florale chez les Rosacées rendant les rosiers, non remontants, ou les variétés fruitières alternantes3. Dans la graine, les bourgeons et les bulbes, les contenus en GAs sont bas au cours de la dormance. Par contre, les GAs sont indispensables au développement des très jeunes pétales de rose. C’est pour cette raison qu’il est impossible de récolter des roses en bouton fermé. Pour les graines, au moment de la germination, les contenus en GAs augmentent à nouveau et contribuent via la synthèse d’enzymes spécifiques (ex α-amylase) à la mise à disposition des réserves nécessaires à la croissance de l’embryon. En découlent deux applications l’une qui consiste à utiliser dans certains cas GA3 pour lever la dormance des graines (cf. règles ISTA) et pour activer la synthèse d’α-amylase en malterie pour accélérer la production de malt à partir des graines d’orges. Enfin, les GAs ont une fonction anti-sénescence qui se manifeste par un maintien de l’intégrité de la chlorophylle. Cet effet est mis à profit dans la constitution des conservateurs pour Alstroemères dont les feuilles jaunissent rapidement (cf. photo en début d’article).

 

A lire :

- La deuxième partie dans un prochain numéro

- Biologie (tout le cours en fiches) 2ème édition sous la Direction de Daniel Richard, éd. Dunod, p 420-433

- http://e-phy.agriculture.gouv.fr/

- http://www.ressources-pedagogiques.ups-tlse.fr/physiologie-vegetale/M8G08/CHAPITRE%20III.pdf


[1] On  regroupe sous le terme de développement différentes phases de l’évolution d’une plante telles que la bipolarisation de l’embryon, le géotropisme positif de la racine et négatif de la tige, la germination, l’apparition ordonnées des feuilles et leur croissance, la mise ne place des vaisseaux et l’allongement de la tige, la régulation de la dormance, la floraison, la fructification, la sénescence…

[2] Se référer à : « Le bouturage ou comment naissent les racines adventives » dans la rubrique à l’affût des connaissances de Jardins de France

[3] Abscission : chute des organes (feuilles, fruits,…)

[4]  Pour en savoir plus sur l’alternance et la floraison des rosiers voir le Colloque scientifique 2013 de la SNHF : Les coulisses de la floraison

novembre-décembre 2013

 

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