Fruits et légumes. Les micronutriments, critère de sélection trop peu considéré

Emmanuel GeoffriauSylvain Guyot

Fig. 2. La teneur en caroténoïdes chez la carotte est variable et dépend de l’uniformité et intensité de la couleur de la racine - © D.R.
Fig. 2. La teneur en caroténoïdes chez la carotte est variable et dépend de l’uniformité et intensité de la couleur de la racine – © D.R.

Les micronutriments sont des substances importantes pour notre santé (1). Au-delà de leur intérêt majeur pour l’apport en fibres, les fruits et légumes sont essentiels pour la diversité de micronutriments indispensables qu’ils apportent. Pour autant, la composition en nutriments est rarement considérée comme un objectif de sélection alors qu’une grande variabilité existe.

La composition en micronutriments fait partie des critères de qualité des produits. Cependant, ces critères n’ont pas vraiment fait l’objet de sélection pour des raisons économiques et génétiques. Il s’agit de caractères complexes, à déterminisme génétique dit « quantitatif », c’est-à-dire que de nombreux gènes sont impliqués. De plus, ces critères, sont sensibles aux conditions de production (2), de conservation et de commercialisation, ce qui fait qu’une variété sélectionnée pourrait ne pas être reconnue comme un produit amélioré. Enfin, la diversité des fruits et légumes, des micronutriments d’intérêt et la lourdeur des moyens d’évaluation de ces composés freinent le développement des programmes de sélection. Or, la demande sociétale pour des produits alimentaires de qualité et la recherche de différenciation commerciale conduisent actuellement à une meilleure prise en compte de ces composés en sélection, même s’ils ne sont pas encore reconnus comme critères d’inscription des nouvelles variétés.

Prendre en compte la biodisponibilité

Les travaux actuels visent à maîtriser la nature et la teneur en micronutriments dans les produits végétaux mais il conviendrait aussi de prendre en compte leur biodisponibilité (3). C’est à dire la forme de stockage dans les tissus végétaux, la nature des parois cellulaires favorisant l’extraction des phytonutriments lors de la digestion, la synergie entre composés etc…

Les travaux de génétique et de sélection portent en général sur les micronutriments principaux comme les caroténoïdes chez la carotte et les polyphénols chez la pomme.

Les richesses de la carotte à étudier davantage

Si la carotte contient de nombreux micronutriments d’intérêt tels que les vitamines (E, B, C), les minéraux et oligoéléments (calcium, phosphore, magnésium, sodium), les polyacéthylènes (falcarinol et falcarindiol), les lignanes et les polyphénols, elle représente de par ses fortes teneurs, la source la plus importante en caroténoïdes, composés présentant une activité antioxydante et surtout provitamine A. Curieusement, la carotte a fait l’objet de peu de travaux jusqu’à récemment, contrairement à des légumes fruits tels que la tomate, le piment ou la pastèque, alors que le carotène a été extrait et identifié dans le jus de carotte par Wackenroder dès 1831 et que ces composés ont été nommés d’après le nom de l’espèce. Une variabilité importante pour les teneurs en caroténoïdes (α- et β-carotène, lycopène et lutéine) est disponible (Fig. 1). Celle-ci est due à l’évolution génétique de l’espèce en lien avec la couleur : d’abord violette ou jaune après la domestication, la racine de carotte est devenue blanche ou orange en Europe de l’ouest au 17ème siècle et rose en Asie au 18ème siècle, avant que le type orange ne se généralise au niveau mondial (4).

Garantir les teneurs

Les premiers travaux d’étude du contrôle génétique de l’accumulation des caroténoïdes chez la carotte datent des années 1970-1980. Plusieurs gènes ont été identifiés : le gène A pour la présence de α-carotène chez la carotte orange et le gène L pour l’accumulation de lycopène chez la carotte rose, les gènes majeurs Y conditionnant la forte accumulation en caroténoïdes chez les carottes jaunes et orange et Y2 augmentant les teneurs en xanthophylles et réduisant les carotènes. Le séquençage récent du génome de la carotte va permettre d’identifier les gènes responsables de cette accumulation.

Les variétés récentes contiennent de plus fortes teneurs en ces composés du fait de la sélection pour une couleur uniforme (y compris interne) et une couleur orange plus intense. L’objectif actuel est de maîtriser l’accumulation afin de pouvoir garantir les teneurs pour une variété donnée.

Les pommes, sources de polyphénols

Les variétés de pommes à cidre sont une source d’inspiration pour la sélection de nouvelles variétés de pomme plus riches en micronutriments phénoliques. Le besoin d’utiliser des variétés de pommes riches en polyphénols pour l’élaboration de cidres de qualité est connue depuis longtemps puisque déjà au XVIème siècle, Julien Le Paulmier, Médecin du Roi, écrivait dans son ouvrage De Vino et Pomaceao (1589): « Qui veut avoir de bon fidre le doit faire de pommes douces ou amères » (5). Aujourd’hui on sait que l’amertume dont il était question est le fait d’une forte concentration en composés phénoliques, en particulier en tanins. Si ces tanins, aussi nommés procyanidines, sont généralement les polyphénols majeurs de la pomme(6), les acides hydroxycinnamiques, les catéchines, les dihydrochalcones et les flavonols y sont aussi présents en proportions et en concentrations variables selon les variétés (figure 3).

Figure 3 – Distribution des composés phénoliques dans les fruits d’une série de variétés de pommes à cidre et de pommes de table (extrait de Sanoner et al., 1999 et Guyot et al., 2002)
Figure 3 – Distribution des composés phénoliques dans les fruits d’une série de variétés de pommes à cidre et de pommes de table (extrait de Sanoner et al., 1999 et Guyot et al., 2002)

Un patrimoine précieux

Les bénéfices d’un apport modéré en polyphénols dans notre alimentation sont aujourd’hui avérés et la pomme, ainsi que ses produits dérivés (compotes, jus, cidres) représente une part importante de cet apport pour les populations occidentales. Cependant, les pommes de table sont beaucoup moins riches en composés phénoliques que les pommes à cidre et pour proposer de nouvelles variétés plus adaptées aux besoins nutritionnels, encore faut-il mieux comprendre les déterminants génétiques et moléculaires qui gouvernent la biosynthèse des différentes catégories de composés phénoliques. Aujourd’hui, le patrimoine des fruits à cidre en France se compose de plusieurs centaines de variétés. Celui-ci constitue une ressource génétique précieuse qui servira demain à l’élaboration de variétés nouvelles conciliant à la fois des qualités agronomiques (en particulier les résistances naturelles aux bio-agresseurs), mais aussi gustatives et aromatiques avec une plus grande richesse en micronutriments phénoliques.

La santé, une démarche de filière

Ainsi, il est possible de sélectionner des variétés de fruits et légumes pour la composition en micronutriments et donc d’améliorer l’intérêt santé de celles-ci. Toutefois, les effets de l’environnement peuvent être importants. La mise en marché de variétés améliorées pour un intérêt santé doit faire l’objet d’une démarche de l’ensemble de la filière afin de bien valoriser leur potentiel.

Fig. 1. Variation pour la teneur en caroténoïdes et anthocyanes chez la carotte selon le type coloré.

1 – Voir les articles de Marie-Josèphe Amiot-Carlin et Véronique Coxam dans ce dossier

2 – Voir l’article de Laurent Urban dans ce dossier

3 – capacité d’un composé d’atteindre le tissu cible pour un intérêt santé, voir l’article de E. Reboul dans ce dossier

4 – Voir aussi : www.jardinsdefrance.org/les-couleurs-cachees-du-potager/ et www.jardinsdefrance.org/carottes-sauvages-et-cultivees-sources-dune-diversification-annoncee/

5 – Travers E., 1896. Traduction de « De Vino e Pomaceo » (Traité du Vin et du Cidre) de Julien Le Paulmier (1592). Lestringant Éd, Rouen.

6 – Voir aussi : www.jardinsdefrance.org/le-gout-du-cidre-a-la-loupe

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