Fruits charnus : une qualité à conserver après récolte

Françoise Corbineau

La grande diversité des fruits charnus : baies (banane, citron, kiwi, kumquat, orange, myrtille), drupes (nectarine, pêche), fruits multiples (mûre), fruits complexes (fraise, nèfle, pomme, poire, fraise) et fruit composé (ananas) - © D.R.
La grande diversité des fruits charnus : baies (banane, citron, kiwi, kumquat, orange, myrtille), drupes (nectarine, pêche), fruits multiples (mûre), fruits complexes (fraise, nèfle, pomme, poire, fraise) et fruit composé (ananas) – © D.R.

Les fruits charnus sont principalement destinés au marché du frais mais 16 à 20 % de la production sont transformés en différents produits : jus, nectars, compotes, confitures, fruits au sirop, fruits surgelés, …. Or les fruits sont des produits vivants qui évoluent et qui peuvent se dégrader après la récolte.

 Les qualités gustative et technologique des fruits charnus dépendent des conditions de production, du stade de maturation à la récolte et des conditions après récolte (transport et stockage). Les technologies de transformation doivent donc tenir compte de leurs spécificités physiologiques pour contrôler la qualité de la matière première. Il faut aussi considérer leurs caractéristiques biochimiques et structurales pour améliorer les procédés d’extraction des jus et d’obtention de produits à base de fruits.

Les étapes de la vie des fruits

Malgré leur diversité botanique (voir encadré), la vie de tous les fruits comporte trois phases : la croissance après la pollinisation, la maturation et la sénescence. La durée de développement entre l’anthèse* et la maturation varie de 25 jours (fraise) à 14-15 semaines pour de nombreux fruits (abricot, pêche, raisin) et peut atteindre 400 jours pour l’orange (variété Valencia). La maturation, processus spécifique des fruits charnus, s’accompagne d’un changement de couleur, de l’acquisition d’une saveur sucrée et d’un parfum caractéristique, d’une perte d’acidité et d’une diminution de la fermeté. Les fruits entrent ensuite en sénescence et finissent par mourir. Ils perdent alors progressivement leur qualité gustative.

L’anthèse est la période pendant laquelle une fleur est complètement ouverte et fonctionnelle. Source Wikipédia

La maturation : un bouleversement biochimique

Figure 2. Modifications biochimiques et organoleptiques des fruits au cours de la maturation.
Figure 2. Modifications biochimiques et organoleptiques des fruits au cours de la maturation.

Le déverdissement est dû à la dégradation des pigments verts (chlorophylles), ce qui démasque les pigments jaunes (xanthophylles, flavones) et rouges (carotènes) et les anthocyanes de couleur allant du bleu au rouge ; la coloration s’intensifie par la synthèse de ces derniers. Le fruit immature est riche en amidon et en acides organiques, tels que l’acide malique (pomme, poire), l’acide citrique (agrumes, framboise, groseille) et l’acide tartrique (raisin). Lors de la maturation, l’amidon et les acides organiques sont transformés en sucres, à l’origine de l’acquisition de la saveur sucrée et d’une diminution de l’acidité. Les composés pectiques de la lamelle moyenne entre les cellules sont hydrolysés entrainant la séparation des cellules et une perte de fermeté du fruit qui devient fondant et plus juteux.

À maturité, la composition moyenne des fruits est de 80-90 % d’eau, moins de 1 % de lipides et de 3 % de protéines, 10-17 % de glucides (glucose, fructose et saccharose) et 0,2-1 % d’acides organiques. A coté de ces constituants majeurs, d’autres composés peuvent avoir des impacts technologiques. Les composés pectiques interviennent dans la stabilité colloïdale des jus et la fabrication des confitures. Les composés phénoliques sont à l’origine du brunissement ou des tanins sources d’amertume. D’autres encore, participent à la qualité aromatique (terpènes, esters et alcools) ou nutritionnelle telle que la vitamine C[1] et les sels minéraux dont le potassium (de 120 mg/100 g pour les pommes et poires à 380 mg/100 g pour la banane), le calcium (de 5 à 45 mg/100 g), le magnésium et le phosphore[2].

Maturation sur la plante ou après la cueillette ?

Figure 3. Influence de la température sur l’évolution, au cours du temps, de l’intensité respiratoire de fruits climactériques. La réfrigération retarde la maturation (M). Mc, maximum climactérique ; mc, minimum climactérique. UA, unité arbitraire.
Figure 3. Influence de la température sur l’évolution, au cours du temps, de l’intensité respiratoire de fruits climactériques. La réfrigération retarde la maturation (M).
Mc, maximum climactérique ; mc, minimum climactérique. UA, unité arbitraire.

Deux types de fruits sont distingués : les fruits climactériques dont la maturation s’accompagne d’une crise respiratoire (ou crise climactérique) et les fruits non-climactériques qui mûrissent sans crise respiratoire. L’intensité respiratoire des fruits climactériques augmente pendant la maturation pour atteindre un maximum (maximum climactérique) (fig. 3 courbe 20°C) à la fin de celle-ci, alors qu’elle diminue continuellement pour les fruits non-climactériques. Il est possible de récolter les fruits climactériques avant la maturité. Les bananes, les mangues, les kiwis, les tomates, les pommes et les poires continuent leur maturation après cueillette. Au contraire, les fruits non-climactériques ne peuvent murir que s’ils restent attachés à la plante-mère. C’est le cas des agrumes, des fruits rouges (cerises, framboises, fraises, groseilles, mûres) et des raisins. Ils doivent donc être récoltés au stade le plus proche de la maturité.

Les fruits non-climactériques, comme les agrumes, ne peuvent murir que s’ils restent attachés à la plante-mère - © J.-F. Coffin
Les fruits non-climactériques, comme les agrumes, ne peuvent murir que s’ils restent attachés à la plante-mère – © J.-F. Coffin

La maturation des fruits climactériques est régulée par l’éthylène (C2H4), hormone synthétisée par le fruit. Sa production passe d’environ 0,1-0,5 ml kg-1 h-1 au minimum climactérique à 10-150 ml kg-1 h-1 à la fin de la maturation, alors qu’elle reste très faible (inférieure à 0,3 ml kg-1 h-1) chez les fruits non-climactériques. Appliqué de façon exogène, ce gaz induit la maturation des fruits climactériques, la sénescence les fruits non-climactériques et le déverdissement des agrumes.

Le froid pour ralentir la perte de qualité après la récolte

Les fruits climactériques, comme les pommes et les poires, continuent leur maturation après cueillette - © J.-F. Coffin
Les fruits climactériques, comme les pommes et les poires, continuent leur maturation après cueillette – © J.-F. Coffin

La réfrigération ralentit les activités biologiques dont la respiration, la synthèse d’éthylène et la production de formes réactives de l’oxygène à l’origine d’altérations des cellules. Elle permet donc de retarder la sénescence des fruits.

Dans le cas des fruits non-climactériques récoltés mûrs, la durée moyenne de conservation au froid dépend des espèces. Pour les petits fruits rouges placés à -1/0 °C, elle varie de quelques jours (framboises, mûres) à 2-3 semaines (cassis, groseilles, myrtilles), mais elle peut atteindre 1 à 4 mois pour le raisin.  Dans le cas des fruits climactériques, le froid décale dans le temps la crise climactérique et retarde la maturation (Fig. 3). La conservation peut atteindre 2-3 mois pour les kiwis et 3-5 mois pour les pommes et poires.

Plus la température est basse plus la conservation peut être longue. Attention, certains fruits originaires de climats chauds ou méditerranéens sont altérés à des températures inférieures à 3 – 7 °C (oranges, citrons, mandarines, mangoustans) ou 7 – 16 °C (ananas, bananes, citrons verts, mangues, ..)2, [3].

 

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Origine et diversité des fruits charnus

Après la pollinisation, avec ou sans fécondation, la paroi de l’ovaire donne naissance aux tissus du fruit, le péricarpe1. Ce dernier se lignifie dans le cas des fruits secs (akènes, gousses, siliques) alors qu’il se développe en une structure succulente chez les fruits charnus. Le péricarpe est constitué d’un parenchyme dans sa partie médiane (mésocarpe) délimité dans sa partie interne d’un endocarpe membraneux dans le cas des baies (citron, orange, pomelo, myrtille, groseille, raisin, tomate) ou lignifié dans le cas des drupes (abricot, brugnon, cerise, mangue, nectarine, olive, pêche, prune). Dans sa partie externe, il se différencie en épiderme (épicarpe) plus ou moins épais, généralement recouvert d’une cuticule et pouvant porter des poils. On distingue les fruits simples (baies et drupes) et les fruits multiples (polydrupes : framboise et mûre). Les parties succulentes peuvent aussi provenir du réceptacle floral (fruits complexes : fraise, pomme) ou de l’inflorescence (fruits composés : ananas, figue). Par exemple, le réceptacle participe à la formation des tissus charnus des piridions (coing, nèfle, pomme, poire) ou se développe totalement en « fruit » (fraise, cynorrhodon de l’églantier).

Le développement de fruits parthénocarpiques, obtenus en l’absence de fécondation, peut être recherché par les horticulteurs. Les plus classiques sont l’ananas, certains pamplemousses, les oranges Navel, les bananes communes, les clémentines, des pommes et des poires[1].

[1] Voir aussi l’article de Michel Pitrat https://www.jardinsdefrance.org/la-parthenocarpie-des-fruits-sans-graines/  et celui de Françoise Corbineau et Emmanuel Gendreau https://www.jardinsdefrance.org/de-pollinisation-a-formation-graines-fruits/ .

 

[1] 1 à 4 mg de Vitamine C /100 g chez le raisin, la prune, ou la cerise, de 100 à 500 mg/100 g  chez les agrumes, les pommes, le kiwi, et le cassis)

[2] Voir aussi le dossier 645 de Jardins de France. : Fruits et Légumes, le plein de vitamines

[3] Voir aussi l’article de Françoise Corbineau https://www.jardinsdefrance.org/le-froid-pour-mieux-conserver-les-fruits/