Forsythia spp : petite histoire d'un grand genre

Alain Cadic

Sa floraison lumineuse annonce l'arrivée du printemps et des beaux jours. Pour certains, le forsythia n’est qu’une plante banale de nos jardins, présente en Europe depuis la nuit destemps. Il n'en est rien. Son développement horticole date de l'introduction des espèces asiatiques et des efforts de sélection qui ont suivi… Un long chemin parcouru…

La collection de variétés de Forsythia de l'INRA a été mise en place à Beaucouzé (49) dans le cadre d'un programme de sélection visant à obtenir des variétés compactes et très florifères. A l'arrêt du programme, elle a été reprise par le Geves à Brion (49) comme collection de référence UPOV. © A Cadic

D'abord simple curiosité de botaniste, le genre Forsythia est devenu de plus en plus populaire au fur et à mesure de l'introduction de nouvelles espèces et de la création de variétés nouvelles. De nos jours, une collection quasi complète comporterait environ 150 taxons. Quelques étapes clés jalonnent la diversification du genre dans les cultures et chez les utilisateurs.

 

Venu d’Asie…

Le Forsythia est connu de longue date en Asie (Chine, Japon, Corée), son aire principale de diversification, où ses fruits font partie de la pharmacopée traditionnelle. Il a été mentionné pour la première fois par Engelbert Kaempfer (1651-1716), lors de son  séjour au Japon, et sommairement décrit, sous le nom de « ren-gyo », dans son ouvrage Amoenitatum exoticarum, publié en 1712. En 1784, C.P. Thunberg (1743-1828) en donne une description plus complète sous le nom de Syringa suspensa, une appellation vite controversée. En 1805, la publication posthume de M. Vahl (1749-1804) établira définitivement le nom de genre en l'honneur de W. Forsyth (1737-1804), l'un des fondateurs de la Société Royale d'Horticulture de Grande-Bretagne. Toutefois, pendant plusieurs décennies, le nom Rangium survivra au côté de Forsythia, par exemple dans le Dictionnaire des Sciences Naturelles de F. Cuvier (1773-1838), publié en 1822 ou plus tard, dans les
années 30 et dans les oeuvres du botaniste japonais J. Ohwi (1905-1977). La première espèce asiatique (Forsythia suspensa var. sieboldii) a été introduite aux Pays-Bas par V. Pistorius en 1833. La seconde (F. viridissima) a été introduite en Grande-Bretagne en 1844 ou 1845 par Robert Fortune (1812-1880), suite à ses prospections en Chine. Ces deux espèces, plantées dans le jardin de Göttingen, ont donné naissance à un semis repéré par H. Zabel en 1878 et décrit par lui en 1885 sous le nom de F. x intermedia.


 

Une grande diversité

Au fil du temps, plusieurs espèces ont été découvertes en Asie et en Europe et introduites, en Europe et aux États- Unis. La seule européenne, F. europaea, a été découverte, en 1899, en Albanie et au Kosovo dans une aire très restreinte. Près d'une quinzaine d'espèces ont été décrites. Compte tenu des synonymies et des réorganisations systématiques, il en reste une dizaine que les phylogénéticiens, se basant sur des analyses moléculaires du génome chloroplastique (contenu dans les chloroplastes, chez les algues et les plantes supérieures), classent en trois groupes : F. ovata, F. nakaï, F. japonica d'une part, F. viridissima, F. giraldiana, F. europaea d'autre part, et enfin F. koreana, F. suspensa, F. saxatilis, F. x intermedia. Cette classification montre que l'espèce européenne (Forsythia europea) dérive d'espèces chinoises et que sa dispersion est d'origine récente, sans doute introduite lors d'échanges entre l'Asie et l'Europe. L'analyse moléculaire pose aussi la question de l'origine du F. x intermedia. L'histoire retient qu'il s'agit d'un hybride entre les espèces F. viridissima et F. suspensa, les deux seules présentes au jardin botanique de Göttingen, mais les données moléculaires infirment cette origine sans que les auteurs de l'analyse n'y apportent de réponse.


Forsythia x intermedia 'Lynwood' © Snezana GerbaultLe Forsythia x intermedia, à l’origine de nouvelles variétés

La proximité avec F. suspensa pourrait suggérer que F. x intermedia est exceptionnellement un descendant en autofécondation de cette espèce. En effet, on devra se rappeler que le forsythia est un genre autostérile (il ne s'autoféconde pas). L'autostérilité est liée au dimorphisme floral : certains taxons ont des filets d'étamines plus longs que le style (brévistylés), pour d'autres (longistylés) c'est l'inverse. Ce dimorphisme avait été analysé dès 1878 par Charles Darwin (1809-1882).
La découverte de F. x intermedia a ouvert la porte à l'apparition et à la sélection de nouvelles variétés, dans les pépinières européennes et nord-américaines. Des semis de fécondation libre ont permis de découvrir la variabilité importante conservée par des plantes dont le mode de reproduction naturel est le croisement obligatoire. La première de ces variétés, F. x intermedia 'Vitellina' a été présentée par les pépinières Späth, dans leur catalogue de 1898-1899. Elle a été suivie de quelques autres comme 'Densiflora' et 'Primulina'...
 

Des mutants naturels

Dans les années 30, ce sont deux mutants naturels qui vont retenir l'intérêt des pépiniéristes et des jardiniers. Le F. x intermedia 'Lynwood', mutant de F. x intermedia 'Spectabilis', a été découvert en Irlande du Nord et diffusé, dès 1935, par les pépinières Slieve Donard. Le F. x intermedia 'Spring Glory' est un mutant de F. x intermedia 'Primulina', découvert en 1930 et mis au commerce en 1942, par les pépinières Wayside Gardens de Mentor dans l'Ohio (USA). Ces deux variétés exceptionnelles figurent encore dans les catalogues professionnels.
Un nouveau tournant est pris dans les années 40 aux USA par le cytogénéticien K. Sax (1892-1973), peu de temps après la découverte des propriétés de la colchicine sur la division cellulaire. K. Sax entreprend ainsi de doubler le nombre de chromosomes du forsythia le faisant passer de l'état diploïde (28 chromosomes) à l'état tétraploïde (56 chromosomes). Résultat : il obtient des polyploïdes de manière indéniable, mais par la suite, des croisements naturels, ou provoqués avec des variétés diploïdes, ont généré des descendants di-, tri- ou tétraploïdes dont certains sont commercialisés, tels 'Arnold Giant', 'Karl Sax' ou encore 'Béatrix Farrand'.
 

Variétés, plus rustiques et plus originales

À partir des années 50, des programmes de sélection sont lancés au Canada, en Pologne et aux USA, essentiellement pour sélectionner des variétés très résistantes au froid. En effet, certains hivers, l'absence de protection par la neige permet au froid intense de détruire les ébauches florales formées l'été précédent et restées dormantes dans les bourgeons floraux. Ces variétés ne sont pratiquement pas connues dans nos régions à climat océanique ou continental modéré.
Plus tard, au début des années 70, à Angers, l'INRA a initié un programme de sélection utilisant la mutagenèse provoquée pour favoriser l'apparition de mutants. Les objectifs principaux étaient la modification de couleur des fleurs et la recherche de plantes à port compact. Le premier objectif n'a pas été atteint, la seule diminution d'intensité du jaune de la corolle ne pouvait suffire. Des modifications de la période de floraison, des panachures du feuillage sont parmi les résultats les plus significatifs. Une seule variété à port plus dense, F. x intermedia 'Courtalyn' WEEK END®, a été commercialisée. Il s'agit d'un mutant de la variété 'Lynwood'. Dans le même temps, un mutant de la variété 'Spring Glory' a produit des fruits en abondance. Les graines ont été semées et 480 plantes ont été plantées pour observation et sélection. Comme attendu, une très grande variabilité des caractères a été observée qui a permis la sélection de 5 variétés dont au moins deux connaissent un bon succès international : 'Courtasol' MAREE D'OR® (ou GOLDEN TIDE®) et 'Courdijau' CASQUE D'OR® (ou Golden PEEP).
 

Panachés, à floraison abondante, au port compact…

De nouvelles mutations naturelles sont apparues en France ('Mindor', mutant non panaché de 'Fiesta') ou aux USA ('Mc KCitrine', mutant panaché de 'Bronxensis') et sont protégées par un brevet américain ou un Certificat d'Obtention Végétale (COV) européen.
Depuis mai 2011, deux variétés nouvelles des Pépinières Minier, 'Minfor6' et 'Nimbus' sont en demande de protection par COV.
Une collection de référence servant à l'attribution des COV est maintenue par la station du Groupe d'Etude des Variétés et des Semences (GEVES), à Brion, dans le Maine et Loire. Cette collection est référencée par le Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées (CCVS).
L'intérêt pour le forsythia ne semble pas faiblir. Les nouvelles variétés ont permis une diversification des caractéristiques : fleurs plus grosses et floraison abondante des variétés tétraploïdes comme 'Parkdekor' ou 'Goldzauber', port compact pour un usage en couvre-sol ou en jardinières. Venues le plus souvent par mutations naturelles, d'assez nombreuses variétés à feuillage panaché ont été sélectionnées, telles 'Fiesta' ou 'Golden Times'. Il y a moins de 10 ans, les pépinières Spring Meadows du Minnesota (USA) ont mis au commerce la variété 'Komson', découverte dans un jardin botanique coréen et qualifiée comme une « variété panachée », dont le graphisme, provoqué par les nervures foliaires décolorées, laisse penser à une contamination virale sévère.
La floraison éclatante et précoce, parfois décriée par certains, a fait la popularité de ce genre pas si banal.

en savoir plus

- Kaempfer E. 1712 Rengjo in : Amoenitatum exoticarum politico-physico-medicarum., p. 907
- Thunberg C.P. 1784, Syringa suspensa in : Flora japonica - Descriptiones has plantarum rarissimae et remotissimae florae japonicae, p. 19-20 +XXVI-XXVII tab.3
- Zabel H. 1885 Forsythia intermedia, Gartenflora, Vol.34, p. 37 + ill. 1182
- Wyman D. 1961 The Forsythia story., Arnoldia, Vol.11, N°5, p.35-41.
- Cadic A., Martin Denise, Renoux A., (1980). Amélioration du Forsythia par mutagenèse. PHM-Revue horticole (204) 13-19.
- Cadic A. (1988). Les Forsythias d'allure nouvelle. Jardins de France. Déc.- Janv. 87/88 : 26-28.
- http://www-intranet.angers.inra.fr/forsy/

Forsythia suspensa © Revue Horticole 1861         Forsythia suspensa © Botanical Magazine 1857 Forsythia intermedia et suspensa © Revue Horticole 1930 - 1931